Reconnaitre le Fils de Dieu
En Marc 15,39 on peut lire la réaction d'un chef militaire romain au pied de la croix :
Voyant qu'il avait expiré de la sorte,
le centurion qui était là, en face de lui, dit :
Cet homme était vraiment Fils de Dieu.
Or le centurion était un militaire païen, c'est-à-dire pas tout à fait le genre de personne à faire de la théologie son dada. Qu'a bien pu comprendre cet homme en voyant Jésus de Nazareth mourir sous ses yeux sur une croix alors qu'ils en avait déjà probablement crucifié tant d'autres auparavant ? Et comment a-t-il pu prononcer cette phrase, lui qui était un soldat pour le compte de celui qu'on appelait aussi « fils de dieu » et qui habitait à Rome ? Ce dernier, dans toute sa gloire, ne devait en rien ressembler à ce pauvre Jésus asphyxié et recouvert de poussière de crachats et de sang coagulé.
Dieu peut-il avoir un Fils ? La question ne choquait personne dans la société romaine. Par contre dire d'un crucifié qu'il est Fils de Dieu relevait du scandale. C'est pourquoi au pieds de la croix :
Les passants l'injuriaient en hochant la tête. Ils disaient :
Toi qui détruis le sanctuaire et qui le reconstruis en trois jours,
sauve-toi toi-même !
Si tu es Fils de Dieu,
descends de la croix !
Les grands prêtres, avec les scribes et les anciens,
se moquaient aussi de lui et disaient :
Il en a sauvé d'autres, et il ne peut pas se sauver lui-même !
Il est roi d'Israël : qu'il descende de la croix, et nous croirons en lui !
Il s'est confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime.
Car il a dit : « Je suis Fils de Dieu ! » (Matthieu 27,39-43).
On pensait au Fils de Dieu comme à celui qui serait capable de se tirer de tout mauvaise passe, même la pire. Et en même temps il devrait être capable de sauver tout le peuple. Si ce Jésus est Fils de Dieu, alors son Père devrait l'aimer mieux que ça ! Pourquoi le laisse-t-il ainsi pendouiller sur le bois de l'infamie ? Non vraiment il ne peut rien y avoir de divin dans ce pauvre ex-prophète.
Mais Dieu n'aime pas le spectaculaire ni le bling-bling. Et dans l'intimité d'un caveau, à l’abri des regards, Dieu l'a délivré de la mort (Actes 2,24). C'est par la résurrection que nos petits esprits peuvent reconnaître le Fils de Dieu dans ce crucifié :
institué Fils de Dieu avec puissance, (...)
du fait de sa résurrection d'entre les morts (Romains 1,4-5).
Environ sept semaines plus tard, les juifs pieux présents à Jérusalem pour la pentecôte de l'an 30 ont pu entendre de la part d'un ex-poissonnier de Galilée une prédication sur la résurrection qui se terminait ainsi :
Que toute la maison d'Israël le sache donc bien :
Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez crucifié ! (Actes 2,36).
Suite à ce message, certains prirent conscience qu'on était peut-être bien passé à côté de la venue du Messie. Pire, on l'avait fait taire en le crucifiant, révélant à quel point l'humanité, même dans le peuple élu, est loin de connaître son Dieu.
Après avoir entendu cela, ils eurent le cœur transpercé … (Actes 2,37)
Voilà l'effet attendu par Dieu. Que notre cœur soit transpercé par l'inconsistance de notre raisonnement et de nos certitudes. Cela ce n'est pas la religion qui nous le permet. Les juifs, pourtant instruits par les prophètes, que Dieu ne pense pas comme les humains, n'ont pas su éviter la méprise. Et les chrétiens au cours des siècles se sont eux aussi laissés prendre au piège. Dès le début du deuxième siècle, en voulant plaire à l'empire, ils ont à nouveau recréé1 une religion qui, si elle proclame bien l'incarnation, la crucifixion, la résurrection et l’ascension du Christ, le fait sans que les cœurs ne soient transpercés. La religion, sous quelque forme qu'elle se manifeste ne transperce pas le cœur des hommes. Elle ne sait pas évangéliser la profondeur humaine. Elle ne permet pas à l'homme de comprendre son besoin de se repentir, car elle fait croire en l’Église ce qui est une erreur fondamentale.
Jésus, arrivé dans la région de Césarée de Philippe,
se mit à demander à ses disciples : (…)
pour vous, leur dit-il, qui suis-je ?
Simon Pierre répondit :
Toi, tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.
Jésus lui dit : (...)
ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela,
mais mon Père qui est dans les cieux ! (…)
sur cette pierre je construirai mon Église,
et les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle
(Matthieu 16,13-18)
Jésus nous demande de croire à l’Église et non en l’Église parce que l’Église n'a aucun pouvoir. Elle reçoit son existence, et doit sa survie, à la volonté du Fils de Dieu. La religion, toute chrétienne qu'elle soit, crée l'illusion du pouvoir de l’Église, car elle fait croire que l’Église maitrise la volonté de Dieu à travers des sacrements, des rituels, des exorcismes, des autels et des sacrifices, etc... alors qu'il n'en n'est rien. La conception de l’Église dont nous héritons notamment du moyen-âge ressemble à une tour de Babel par laquelle l'humanité croyante pensait s'élever vers Dieu.
Le Fils de Dieu est venu nous libérer d'une conception religieuse de la relation avec Dieu. Et nous avons voulu le faire taire parce que cela nous obligeait à accepter non seulement nos errements spirituels, mais aussi qu'on ne peut pas s'en sortir par nous-même. Jésus est Fils de Dieu, même sur la croix, non pas pour nous asservir, mais pour nous libérer, non pas pour nous écraser, mais pour nous émanciper.
Note
1 Pour aller plus loin sur ce sujet : http://bereenne-attitude.com/eglise21-message-jesus/