Certains sujets sont-ils tabous
dans les églises protestantes ?

Voici la réponse dialoguée (en bleu) à une question à entrées multiples posée par Henri (en noir) :


Nous avons correspondu il y a quelques semaines sur une question d'églises et de baptême, et tu m'as répondu de façon très satisfaisante et je t'en ai remercié. Alors aujourd'hui je voudrai aborder quelques questions doctrinales très difficiles à aborder dans les milieux protestant et pourtant ça ne devrait pas être le cas. Je vais pour l'instant essayer de faire bref et concis pour ne pas prendre trop de ton temps. Il s'agit de doctrines couramment employées et développées dans des écrits et lors de cultes Evangéliques et même dans le Crédo.

Dans le Credo (Symbole de Nicée Constantinople) il n’y a pas tant de liens que ça avec les doctrines que tu cites ci-dessous, à part peut-être la trinité, et encore pas de façon réellement explicite. De manière intéressante entre le Symbole Des Apôtres (qui n'est pas issu des apôtres)1 et le Symbole De Nicée Constantinople, la référence à la descente aux enfers a été supprimée.

Le protestantisme dans son ensemble a rejeté la plupart des fausses doctrines et traditions de la religion Catholique

Ce qu’on appelle le « protestantisme », qui n’a commencé à s’appeler ainsi qu’à partir de la deuxième diète2 de Spire en 15293 (soient 12 ans après les thèses de Luther) et qui se voulait d’abord un mouvement de réforme de l’Église n’est pas, à l’origine un rejet du Catholicisme. Luther était lui-même un moine catholique. Si le protestantisme existe, c’est entre autre parce que Luther a été excommunié au tout début de l’année 1521. Rejeté par son église il en a fondé une autre. Ce n’est que petit à petit que le rejet du « papisme » est devenu un leitmotiv pour les partisans de la réforme. Mais Luther a conservé un certain nombre de doctrines issues de son passé catholique. L’église réformée est née du sentiment que Luther n’allait pas assez loin dans la « réforme » doctrinale. Et l’anabaptisme (qui n’est pas un mouvement uniforme) est apparu comme « réforme radicale » en voulant aller encore plus loin (d’où « radicale ») et en particulier séparer l’Église et l’État.

mais pour moi il subsiste des fausses doctrines fondamentales qui ne sont pas dans les Saintes Ecritures, telles que l'Enfer en tant que châtiment « ETERNEL »,

Cette doctrine est probablement d’origine « deutérocanonique » en particulier liée à 1Hénoch, et Sagesse de Salomon.
Jean-Baptiste parlait du « feu qui ne s’éteint pas ».
Jésus parlait beaucoup de la géhenne (métaphore pour parler d’un endroit peu agréable, car ce mot vient de l’hébreu gey (vallée) hinnom , endroit ou on jetait les restes des sacrifices qui pourrissaient ainsi à l’air libre et ou la pestilence des charognes et du sang coagulé était probablement repoussante).
Il parlait aussi de l’Hades, traduction en grec du Sheol hébreu, et qui correspond au « séjour des morts » (cf. Matthieu 16,18). Mais ce n'est pas parce qu'il en parlait qu'il voulait y jeter l'humanité. En réalité sa mort sur la croix nous montre le contraire. Il voulait sauver les gens. Le séjour des morts biblique n'est pas l'enfer d'Augustin ou de Thomas d'Aquin. C'est un lieu obscur (Job 17,13) de poussière (Job, 17,16) et de silence (Psaume 115,17) dans lequel les morts ne font rien et ne pensent rien (Ecclésiaste 9,10) ; ils ne peuvent même pas « louer le Seigneur » (Psaume 6,6). Mais l'âme du croyant (encore faut-il définir ce que ça veut dire) en sera retiré par Dieu. Si cette interprétation est juste, le sheol/hades doit être distingué du feu éternel et ce dernier n'est qu'une métaphore, pas une réalité littérale (Apocalypse 20,14) suggérant qu'à la mort nous attendons la manifestation du jugement de Dieu. Mais que veut dire attendre lorsqu'on est mort ?

l'immortalité de l’âme, la vie au ciel dès la mort, en contradiction avec la résurrection (même si là certains on trouvé une explication scabreuse et non biblique),

Pour moi, ces doctrines sont spéculatives en ce sens qu’elles ne s’imposent pas quand on lit la Bible. Elles sont donc tolérables en ce sens que chacun de fait une idée de ce qu’il y a après la mort. Ce qui est dangereux ne sont pas ces idées elles-mêmes mais le dogmatisme qui les accompagne parfois. Quand quelque chose n’est pas clair, personne ne devrait pouvoir l’imposer. Donc pour reprendre tes mots, plus c’est scabreux, moins il faut y faire attention. Chacun doit pouvoir être ouvert à ce que les autres ont découvert (malheureusement, beaucoup ne font que répéter sans y réfléchir ce qu'on leur a dit - d'où la nécessité de la « béreenne-attitude »).

la Trinité, même si Jésus est légal de Dieu comme je pense moi aussi.

Sujet difficile s’il en est. Mais qui est cependant important. En particulier la divinité de Jésus. Si Jésus est l’égal de Dieu, il est divin (de nature divine) puisque :

שְׁמַע, יִשְׂרָאֵל:  יְהוָה אֱלֹהֵינוּ, יְהוָה אֶחָד

(Deutéronome 6,4)

Si Jésus est Dieu incarné, c'est-à-dire « Dieu dans la chair » (et non pas « Dieu » tout court) alors Jésus est la Parole de Dieu (Jean 1,1-3.14), c’est à dire qu’il « dit » Dieu par sa vie, son enseignement, ses souffrances, sa mort et sa résurrection.

Mais si Jésus n’est pas divin, s’il n’est pas Dieu incarné, comme il n’y a pas plusieurs degrés de divinités, il est « seulement » un homme. Le Christ n’est alors pas plus qu’un sage, il n’est plus Dieu qui nous sauve. Il n’est pas plus qu’un prophète, il est n’est plus Dieu qui parle en personne. Il n’est plus « l’épiphanie de la grâce de Dieu » (Tite 2,11) parmi les hommes.
Et surtout la croix perd sa puissance car alors ce n’est plus Dieu qui se donne aux hommes mais un simple bouc émissaire. Ce n’est plus Dieu qui vient prendre le péché des hommes, mais Dieu qui sacrifie un de ses fils, fut-il le plus parfait, dans un sacrifice sanglant qui démontre un Dieu conforme aux dieux païens qui ont soif de sacrifices.

Des bouquins entiers ont été écris sur ce sujet, et il est difficile de justifier la trinité en quelques lignes. C’est un sujet complexe, mais qui récompensent ceux qui le creusent même s’ils n’arrivent jamais au bout, car Dieu est Dieu et nous ne sommes que des hommes.

Mais justement ! Si Jésus est Dieu dans la chair, alors Dieu devient accessible, par et seulement par Jésus-Christ. Or si Jésus n’est pas Dieu dans la chair alors Dieu reste un dieu platonicien, qui évolue dans le ciel des Idées.

Vu sous cet angle, on comprend mieux pourquoi cette doctrine est si importante, alors qu’au premier abord elle pourrait sembler spéculative et secondaire. En effet comme dit un auteur que j’apprécie beaucoup :
«  L’intensité de notre Amour pour Dieu ne dépassera jamais la beauté de l’image que nous avons de Dieu »4. (Pour aller plus loin : voir les articles sur Jésus Fils de Dieu)

Je ne site dans mes propos aucune référence livresque car je sais que tu les connais mieux que moi (qui n'ai pas fait de théologie), mais il n'y a qu'à ouvrir n'importe quelle encyclopédie  pour avoir une foule de renseignements sur tous ces sujets et qui font à priori pas mal d'émules même dans les milieux Protestants tous confondus.
Pour moi la doctrine de l'Enfer doit malheureusement freiner beaucoup de personnes à s'intéresser à la Bible. Même la traduction Segond 21 a traduit "Géhenne" par Enfer les 12 fois où ce mot se trouve dans l'NT. Pour moi c'est une erreur de traduction (Enfer = infernum, donc "Inférieur, donc Shéol et Hadès et non "'Enfer de Feu éternel" qui n'avait pas sa place dans l’AT).

Il ne s’agit pas d’adapter notre doctrine à ce que les gens ont envie d’entendre. Car de toute façon ça ne changera pas la rébellion du monde contre Dieu. Mais tu as raison en ce sens qu’il est affreux de présenter Dieu pour ce qu’il n’est pas. Et il est bon mais difficile de savoir faire entendre aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre !

Alors Jésus aurait-il créé un Enfer, une âme Immortelle ainsi qu'une Trinité ?

En tout cas comme tu le soulignes, il est certain qu'on ne convertit personne par la prédication de l'enfer. Au mieux les âmes tourmentées s’intéresseront à Jésus pour être sauvées de l'enfer (si elles ne fuient pas en courant), mais elles ne le seront vraiment que lorsqu'elles réaliseront que Dieu « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1Timothée 2,4). Il ne veut jeter personne en « enfer ». Il ne crée donc pas d’enfer. Si enfer il y a, ce sont les hommes qui le créent et qui s’y jettent eux-mêmes (Romains 1,28).

La corrélation étroite qu'il existe de façon indéfectible entre le premier et le second Testament se trouve être parfois affectée par certaines doctrines tirées de diverses philosophies pour la plupart Grecques et donc païennes, et n'étant apparues dans le Christianisme que tard dans son histoire (par exemple : Platon et Augustin ou Aristote et Thomas d'Aquin).

C’est vrai, l’histoire du christianisme a forgé une tradition. On peut lui reconnaître qu’elle a permis en partie de conserver le souvenir du Christ, des apôtres, et des première générations de chrétien. On peut aussi trouver de nombreuses bonnes œuvres réalisées au nom du Christ. Mais on peut aussi déplorer sa collusion du christianisme avec le « monde » au sens spirituel, qui s’est matérialisée en particulier dans une collusion avec le monde politique à partir du 4ème siècle ou intellectuel à partir du 5ème siècle et qui de « christianisme » est devenu « chrétienté »5. Tout ce que Jésus avait lui même dénoncé. Non pas qu’il faille se désintéresser de ce qui se passe dans le monde, non plus qu’il faille laisser le monde à son triste sort, mais il eut fallut que le christianisme reste l’aiguillon du monde qui lui rappelle quel est le meilleur choix : celui de l’amour (avec tout ce que cela implique).

La philosophie n’est pas une mauvaise chose. Elle n’est pas un monstre à combattre. C’est une méthode d’observation du monde. Ce que les philosophes nous disent doit être entendu : tout doit être examiné pour pouvoir en retenir ce qui est bon (1Thessaloniciens 5,21). Utilisée à bon escient elle peut être utile. Mais c’est donc comme tout le reste (médias, réseaux sociaux…) : elle peut aussi servir à nous détourner de la vérité de Dieu. Ce qui compte est d’avoir un « esprit critique » basé sur la vérité de la révélation de Dieu en Christ. Car il ne faut pas se leurrer. Le monde restera le monde. Et l’Église doit donc demeurer dans le monde sans être du monde (Jean 17,14-19). Dans notre critique cependant il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain car souvent les Pères de l'Eglise utilisent le vocabulaire de la philosophie grecque pour se faire comprendre de leurs contemporains mais en rejettent les principes. Parfois ils se font avoir. A nous de savoir discerner quand ils sont dans le vrai, et quand ils trompent.

Quant à la corrélation étroite et indéfectible entre premier et second Testaments, quand on s'y penche, elle réserve parfois des surprises ! En particulier quand on s’intéresse de prêt à la manière dont Jésus et Paul utilisent les écritures, on s’aperçoit que bien des choses sont nouvelles, et que beaucoup de choses anciennes ont disparues. Développer cela est important mais impossible dans cet article. J'espère un jour pouvoir le faire sur la bereenne-attitude.com.

Désolé d'avoir été un peu long malgré mes intentions, et merci d'avance pour ta lecture.
Je t'en prie ! Quand j'ai le temps, c'est un plaisir que de me repencher (même si c'est bref) sur ce genre de sujets. Ce qui me semble important pour conclure, c'est de bien choisir les sujets qui valent la peine et ceux qu'on peut remettre à plus tard. Si notre objectif est d'aimer Dieu, il nous faut le connaitre et avoir la bonne image de Lui. Ce sont les sujets qui nourriront notre bonne image de Dieu qui sont donc, spirituellement prioritaires à étudier.


Notes :

1 - Cf. Jésus la Pierre de l'Angle

2 - Une diète est une réunion entre représentants des état confédérés de l’empire Romain Germanique. Cette réunion avait pour but de discuter et décider sur certains points sur lesquels s'opposaient les différents états. En allemand on les appelait Reichtag. Ces diètes sont les ancêtres du parlement allemand.

3 - Il est intéressant de se rappeler que les « protestants » ne s’appellent pas ainsi parce qu’ils protestent contre le catholicisme mais parce qu’ils protestaient (dans l’Empire Germanique) contre le manque de liberté individuelle du choix de sa religion par les individus.

4 - Gregory A. BOYD, Cross Vision, How the Crucifixion of Jesus Makes Sense of Old Testament Violence, Fortress Press, Minneapolis, 2017

5 - Pour aller plus loin sur ce thème voir : Une Église pour le 21ème siècle

1 Comment on “

  1. Bonjour Pierre-Louis, je te remercie beaucoup d’avoir fait tous ces efforts pour répondre en disséquant toutes mes questions de manière claire et censée (comme d’habitude).
    Tes réponses m’ont apportées beaucoup d’éclairages et c’est très important, car il est difficile d’avancer sans cela. Ca m’apprend aussi à être un peu moins fondamentaliste, ce qui est un peu mon défaut je le reconnais.
    Pour résumer, merci encore d’accepter de discuter de questions parfois difficiles à aborder car beaucoup, même des personnes chevronnées dans la connaissance des Ecritures, ne veulent pas répondre, ou bien, pire, te répondent à une question par une autre question, ce qui est assez cocasse, mais malheureusement fréquent.
    Très sincères salutations Chrétiennes!

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