Dieu est-il omniscient omniprésent omnipotent ?
Question :
Je suis en réflexion en ce moment par rapport à l'omniprésence et omniscience de Dieu ; Est-ce que Dieu "se tient au courant" de toute chose sur terre ? Nos prières le font-il réagir et s'intéresser au monde, en particulier aux non-chrétiens ? Du coup je me demande aussi s'il est impliqué dans la vie de chaque personne ? Si la vérité est qu'il agit selon nos prières pour les non-chrétiens, combien notre responsabilité de prier est grande !
Paola
Éléments de réponse :
Déjà le psalmiste (Psaume 139,7-10)1 se demandait :
7Où pourrais-je aller pour échapper à ton souffle,
où pourrais-je fuir pour t’échapper ?
8Si je monte au ciel, tu y es ;
si je me couche au séjour des morts, tu es encore là.
9Si je prends les ailes de l’aurore pour aller demeurer au-delà de la mer,
10là aussi ta main me conduira, ta main droite me saisira.
Quand on veut « contempler » Dieu, on se pose souvent en premier lieu la question de son omniprésence (Dieu est partout) et de son omniscience (Dieu connait et sait tout) et on peut rajouter son omnipotence (Dieu peut tout). C’est un2 point de départ mais c’est un point de départ humain, car alors nous tentons de trouver les caractéristiques de Dieu en les comparant à celles de l’humain3. Savoir si ce point de départ est valable est un enjeu majeur de la théologie et de grands noms se sont opposés sur ce sujet (Thomas d’Aquin contre Augustin, Le concile de trente contre Luther, ou plus récemment Pannenberg contre Barth).
L’omniprésence de Dieu est en réalité quelque chose qui nous dépasse (Psaume 139,6) et que nous ne pouvons que tenter d’approcher. C’est ce que fait la Bible : elle tente de nous faire toucher l’idée de Dieu, idée qui est inexprimable, si ce n’est par un langage symbolique4. Par exemple, dans le Psaume 139 on parle du ciel et du séjour des morts, deux lieux inaccessibles aux hommes, pour montrer que Dieu est bien au delà de ce que les hommes peuvent non seulement atteindre, mais même penser. Cependant ce qui est encourageant dans ce psaume, c’est que où que nous allions, ciel, séjour des morts, ou au delà de la mer, Dieu est là. Mais pas « là » (שָׁם- sham) comme une présence cachée ou mystérieuse, mais « là » pour nous conduire par la main5.
En Exode 3,14 Dieu se présente à Moïse comme « celui qui est ». Mais de la même manière, il n’est pas seulement un « être » mais il est « avec toi » (v12) ou « vers vous » (v15). L’« être » de Dieu est encore une notion qui nous dépasse. Mais le fait que Dieu soit « avec nous », est plus facile à comprendre.
Ainsi l’omniprésence de Dieu n’est pas à envisager comme une présence liée à un lieu mais plutôt une présence à nos côtés c’est à dire relationnelle. Où que nous soyons, Dieu veut être avec nous. Et le « où » n’est pas seulement un lieu, mais peut aussi être un état (cf. le séjour des morts). Pour le dire autrement : si nous ne voulons pas que Dieu soit là, il s’efface et il n’est plus « là », ce qui ne crée aucun désordre physique dans le monde autour de celui qui refuse6 constamment Dieu, mais souvent des désordres d’ordre psychologique, moraux ou sociétaux. Ces désordres ne sont pas des punitions, mais plutôt des conséquences.
C’est ce que nous révèle la Bible dans la grande histoire qu’elle nous raconte. Et c’est ce que nous pouvons observer dans le monde ou dans nos vies.
On peut traiter de l’omniscience ou de l’omnipotence de la même manière.
On dit que Dieu est omniscient parce qu’on se dit que la divinité qui a créé le monde doit tout savoir de son fonctionnement et de son destin. Un ingénieur ne connaît-il pas la machine qu’il a inventé ? On retrouve ce raisonnement dans les questions que Dieu lui-même pose à Job (39-42). Mais dans l’ensemble, ce que l’écriture nous dit de la connaissance de Dieu c’est qu’elle concerne surtout la relation entre l’homme et Dieu.
Quand Adam et Eve se sentent coupables d’avoir négligé la volonté de Dieu, ceux-ci au lieu de grandir et de passer à l’étape suivante (qu’on pourrait appeler l’apprentissage de la repentance) préfèrent se cacher (Genèse 3,8). Dieu est décrit comme celui qui parcourt le jardin avec la brise du soir et qui cherche ses créatures. Peut-il en tant que Dieu ne pas savoir où sont ses créatures ? Ou fait-il semblant de ne pas savoir ? Ce que le texte veut nous dire c’est que Dieu est avant tout celui qui veut être avec nous (et ce, même si on a péché). Le pire dans l’histoire de Genèse 3 c’est qu’on pense que ce qui n’est pas bien c’est d’avoir trahit Dieu en écoutant le serpent et en mangeant le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin alors qu’en réalité ce qui est mauvais et qui porte à conséquence c’est de se cacher de Dieu. Dieu est d’abord et avant tout celui avec qui nous pouvons bâtir une relation avant d’être celui qui sait tout, connaît tout, ou juge de tout. Cette relation est possible malgré le péché, si nous ne nous cachions pas.
Quand Anne, la mère de Samuel prie et dit que « Le Seigneur est un Dieu qui connaît tout », elle parle en réalité de la connaissance du cœur des hommes (cf. . Salomon va plus loin dans sa prière de consécration du temple en exprimant que Dieu seul connaît le cœur de tous les humains (1Rois 8,39).
On pourrait multiplier les exemples, mais il y en a un qui est interessant car il ne fait pas seulement qu’ajouter de l’eau au moulin de l’idée de départ. En effet en Matthieu 7 Jésus enseigne que Dieu ne connaît pas ceux qui commettent le mal tout en étant religieux (v23). Cela va dans le même sens que Jésus qui fustige l’hypocrisie et qui dit que les collecteurs de taxes et les prostituées devanceront les pharisiens dans le royaume des cieux (Matthieu 21,31). Si Dieu était omniscient au sens de la philosophie grecque, il ne pourrait pas juger les pécheurs par défaut, c’est à dire en ne les jugeant pas. Car le Dieu que Jésus nous présente ne juge pas les hommes sur leurs actions mais sur la qualité de sa relation avec eux. Un Dieu dont la connaissance est d’abord relationnelle avant d’être factuelle.
Avant de revenir sur la prière et de son lien avec l’omniscience je voudrais aborder aussi l’omnipotence de Dieu qui elle aussi, nous le verrons, est liée au sujet de la prière.
Dieu peut-il tout ? Cette question peut sembler absurde. S’il est le créateur du monde, alors il peut faire ce qu’il veut à l’intérieur de ce monde qui est son œuvre. Il peut en particulier, s’il le veut, transgresser les lois de la nature qu’il a lui-même créées. Pourtant cette question a été et est toujours très débattue. Car force est de constater que si éventuellement Dieu peut tout il ne fait pas tout ce qu’il peut. Pour ne donner qu’un seul exemple, le Psaume 73 constate qu’il ne sauve pas toujours le juste et il qu’il ne punit pas les méchants, ce que la justice élémentaire semblerait exiger.
Pourquoi le Dieu qui a fait la terre et qui sur elle a créé l'homme et qui de ses propres mains a déployé le ciel, (Ésaïe 45,13) est-il une divinité (אֵל- El) qui se cache (Ésaïe 45,15) ?
Il faut se rappeler la conclusion à laquelle la Bible arrive à travers l’histoire qu’elle nous raconte : Dieu est amour (1Jean 4,8.16). Cette description de Dieu est aux antipodes de la description philosophique de Dieu qui cherche les attributs de Dieu. Ainsi Dieu s’est donné à lui-même7 une contrainte, celle de l’amour. Dieu aime sa création et ses créatures. Pour cela il doit se cacher, sinon nous tomberions tous à genou devant lui sans avoir le choix de le faire (cf. Apocalypse 1,17).
Or l’amour ne peut pas tout car il ne peut accomplir le mal ce qui revient à dire que si Dieu aime, il donne à l’être aimé une part de liberté permettant une acceptation ou un rejet de l’amour offert sans représailles directes liées au refus. Ce qui nous amène sur un autre terrain de questionnement : le libre arbitre. Les théologiens qui rejettent le libre arbitre de l’homme le font au nom de l’omnipotence de Dieu, mais ils oublient que pouvoir n’est pas vouloir ni faire.
Il est alors préférable de voir l’amour de Dieu non pas comme le fait que Dieu peut et fait toute chose, mais plutôt que rien ne lui est impossible (Luc 1,37). Dieu est amour et en conséquence il ne peut pas tout car il ne veut pas tout. En particulier, Dieu veut sauver le monde (Jean 3,16 - 1Timothés 2,4) par amour, mais par amour Dieu n’impose pas son salut (comparer 1Timothée 2,4 et 2Timothés 3,7).
Tout ce discours n’est bien évidemment qu’une ébauche en surface de la réflexion sur Dieu. Des milliers de livres ont été écrits sur ces sujets. Mais tentons de conclure en réfléchissant à la prière. En effet à quoi sert-il de prier Dieu ?
En Matthieu 6 Jésus enseigne ainsi :
5Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui se plaisent à prier debout dans les synagogues et aux coins des grandes rues, pour se montrer aux gens. Amen, je vous le dis, ils tiennent là leur récompense. 6Mais toi, quand tu pries, entre dans la pièce la plus retirée, ferme la porte et prie ton Père qui est dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
7En priant, ne multipliez pas les paroles, comme les non-Juifs, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. 8Ne faites pas comme eux, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez.
Il y a un lien entre ce que Dieu sait et ce que nous prions : Dieu sait quel est notre besoin. Nous, nous pensons le savoir, et nous le lui exprimons, pour nous et pour les autres. Mais Jésus insiste sur le fait de ne pas être hypocrite, se retirer dans le secret, ne pas multiplier les paroles. Pour Dieu c’est cela qui est important : la relation.
Que nous prions ou que nous ne prions pas, Dieu prend soin ; des chrétiens et des non-chrétiens (Jésus est mort pour enlever les péchés du monde, pas seulement ceux des chrétiens — Jean 1,29 ; Romains 5,18 ; Tite 2,11). Nous ne prions pas pour que Dieu en fasse plus8 pour ceux qui sont dans nos prières que pour ceux que nous oublions. Car nous ne prions pas pour obtenir des choses de Dieu, mais pour entretenir notre relation avec lui et avec les autres.
Même la parabole du juge qui ne craint pas Dieu ne dit pas qu’il faut prier plus pour obtenir plus. A travers elle, Jésus explique que ce qui compte c’est la foi (Luc 18,8) une foi que nous entretenons par la prière, par une relation totalement opposée à celle décrite dans la parabole entre le juge et la veuve.
Jésus renverse les raisonnements humains : la prière n'a pas pour but premier de mendier auprès de Dieu mais plutôt 1/ de nous aider à reconnaître qui est Dieu 2/ de nous faire reconnaître que nous dépendons de Lui 3/ d’entretenir ou augmenter notre foi-confiance dans ses promesses 4/ une relation vraie avec Lui. Et c'est ce qu'enseigne Jésus à travers le plan de prière qu'il nous donne ensuite et qu’on appelle traditionnellement le « Notre Père ».
Si nous prions pour les autres c’est pour exprimer notre amour (ou notre désir de les aimer) pour eux à Dieu, et pour trouver auprès de Dieu la force de faire ce que nous voulons faire pour eux.
Notre responsabilité d’hommes et de femmes de prière ne consiste pas à dire à Dieu ce qu’il doit faire, ni à faire réagir Dieu, mais à recevoir de Dieu l’amour dont nous avons besoin pour aimer les autres. Sans prière pas de véritable amour. Telle est la grande responsabilité de ceux qui prient : ils prient parce qu'ils veulent aimer comme Dieu nous a aimé.
Notes
1 Le Coran reprend la formulation de ce psaume : « A Allah seul appartiennent l'Est et l'Ouest. Où que vous vous tourniez, la Face (direction) d'Allah est donc là, car Allah a la grâce immense; Il est Omniscient » - Coran II,115
2 C’est « un » point de départ car ces trois attributs de Dieu sont philosophiquement étroitement liés.
3 On appelle ça la théologie par la suréminence qui consiste à dire en observant le monde que Dieu est comme les hommes en beaucoup plus grand. Si l’humain a une certaine connaissance, Dieu a toute la connaissance. Si l’humain est capable de grande choses, Dieu est capable de tout…
4 Cf. Paul Tillich dans Dynamique de la foi : « seul le langage symbolique est capable d’exprimer l’absolu »
5 Le Psaume est attribué à David. Dans la tradition le roi d’Israël est à la droite de Dieu. Mais nous pouvons tout à fait nous approprier cette place aussi en tant que chrétiens car nous sommes un « sacerdoce royal ».
6 Refuser le don de Dieu ne consiste pas seulement à considérer que Dieu n’existe pas, mais plutôt à faire des choix « comme si » Dieu n’était pas « là ». Cela concerne en réalité chaque instant de notre vie.
7 A moins que cela ne fasse partie de lui-même. Mais si on part du principe que la Croix est le sommet de la révélation de Dieu, on peut penser que l’amour est une décision de Dieu. Une décision en laquelle nous pouvons avoir confiance (Hébreux 13,8).
8 Comment Dieu pourrait-il en faire plus que ce qu’il a fait par Jésus sur la Croix ? (cf. Jean 3,16, Philippiens 2,5ss etc.) Non seulement il est omnipotent, mais ce qu’il voulait faire il l’a déjà fait.
Cher Pierre-Louis, tu écris :
« Ainsi Dieu s’est donné à lui-même, une contrainte, celle de l’amour. Or l’amour ne peut pas tout car il ne peut accomplir le mal ce qui revient à dire que si Dieu aime, il donne à l’être aimé une part de liberté permettant une acceptation ou un rejet de l’amour offert sans représailles directes liées au refus. »
Que penser du fait que Dieu endurcit pharaon ? (Exode 7.3)
Qu’en est-il de Judas, “choisi” pour la perdition ? (Jean 17.12)
Y a t’il des personnes choisies pour la perdition et d’autres pour le salut? (Cela me questionne face à 2Pierre 3.9)
Romains 9.18 dit que Dieu fait grâce à qui il veut et qu’il endurcit qui il veut; ou est le libre-arbitre dans tous ces exemples ?
Quand j’ai écrit cela j’ai fait de la théologie. La théologie a pour but de « parler » (logos) de Dieu (theos). La théologie se base sur la Bible, mais elle ne peut pas dire exactement ce que dit la Bible à chaque verset pour la simple raison que la Bible ne dit pas la même chose à chaque verset (exemple typique : comparer 2Samuel 24,1 et 1Chroniques 21,1). La théologie cherche donc à comprendre Dieu à partir de l’histoire Biblique dans son ensemble et à partir de la réalité de ce qu’on observe dans le monde.
Personnellement, quand je fait de la théologie à partir de la Bible, je considère entre autres que :
- la Bible contient une révélation progressive de Dieu jusqu’à Jésus-Christ (celui qui l’a fait connaître — Jean 1,18) qui est la pierre de l’angle, la lumière qui éclaire l’ensemble.
– dans le cadre de cette révélation progressive, les auteurs Bibliques ont tâtonné (1Pierre 1,10-12) pour découvrir petit à petit des choses qui ont été annoncées clairement en Jésus-Christ. Ils ont donc une vision partielle de la vérité.
– par conséquent, en particulier dans l’Ancien Testament (mais cela reste un peu vrai aussi pour le Nouveau) ce n’est pas parce qu’on attribue à Dieu quelque chose, que cette chose vient de Dieu.
- ce qui permet de savoir ce qui vient de Dieu ou pas, ce n’est pas parce que c’est écrit, mais parce que Jésus-Christ qui est la vérité ultime de la révélation, la Parole de Dieu (Apocalypse 19,13), l’aurait fait ou dit.
Si je reprends l’exemple de Pharaon, peut-on imaginer le Dieu Jésus-Christ endurcir le cœur de quelqu’un pour rendre encore plus difficile la sortie d’Egypte ? Serait-il pervers au point de susciter le mal pour que sa victoire paraisse plus éclatante que s’il avait simplement adoucit le cœur de pharaon ? Comme le dit Gregory Boyd dans son livre Crossvision (livre que je recommande même si je ne suis pas d’accord avec tout) : « there must be something else going on — il y quelque chose d’autre en jeu ».
Dans la logique de 1Pierre 1,10 je peux dire que l’auteur d’Exode 7 (probablement un prêtre) avait une vision « déterministe » de Dieu, une vision qui considère que Dieu est tout puissant et que donc rien de ce qui se passe en ce monde n’échappe à son contrôle (bien ou mal) : si Pharaon a été aussi obstiné, selon cette vision, c’est Dieu qui en est la cause.
Mais Jésus dans la parabole du semeur n’enseigne pas que Dieu endurcit les cœurs, mais que nous sommes responsables de notre cœur face à la Parole de Dieu (Matthieu 13). De même en Marc 7 lorsqu’il enseigne que ce qui rend impur vient de notre cœur. Et de même au jeune homme riche (Marc 10), etc.
Donc Pharaon était responsable de l’état spirituel de son cœur.
Ce raisonnement que je viens de tenir est le même que celui de Paul quand il s’interroge sur le salut du peuple d’Israël. Si on ne lit que Romains 9,14-18 on a l’impression que Paul souscrit au déterminisme de l’auteur d’Exode 7. Mais il faut prendre en compte l’ensemble des chapitres 9 à 11 de Romains qui représente un seul raisonnement global qui exprime des idées dans un sens puis dans un autre, comme un philosophe qui explore toutes les possibilités de raisonnement qui lui sont offertes. D’ailleurs pour raisonner ainsi Paul utilise la diatribe qui consiste à dialoguer avec un interlocuteur fictif. Dans ce dialogue, il utilise une parabole : la greffe de l’olivier dont le but est de montrer que c’est la foi qui greffe et c’est la « non-foi » qui retranche. Ce qu’il faut craindre c’est de perdre la foi, et non pas craindre Dieu qui est bon. Sa sévérité n’est en fait rien d’autre que son impartialité (pour plus de détail voir mon commentaire sur l’épître aux Romains).
Si on reprend les mêmes principes pour étudier le cas de Judas, il faut déjà regarder le grec qui ne dis pas que Judas est « choisi pour la perdition », mais qu’il est « fils de la perdition ». Et on peut dire qu’il a choisi sa famille tout seul (même si le diable l’a aidé — Jean 13,2), et non pas que c’est Dieu qui l’a mis du mauvais coté pour servir son dessein. Dieu n’a que l’embarras du choix s’il veut utiliser quelqu’un au cœur dur, il n’a pas besoin de d’endurcir lui-même des cœurs.
Tu as raison de rappeler 2Pierre 3,9 car au fond ce verset exprime le cœur de Jésus qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Luc 19,10).
Autre point concernant la prière, tu écris: « Que nous prions ou que nous ne prions pas, Dieu prend soin ; des chrétiens et des non-chrétiens » et : « nous ne prions pas pour obtenir des choses de Dieu, mais pour entretenir notre relation avec lui et avec les autres » puis : « Notre responsabilité d’hommes et de femmes de prière ne consiste pas à dire à Dieu ce qu’il doit faire, ni à faire réagir Dieu. »
Pourtant la Bible nous encourage à prier pour TOUS, « afin que nous menions une vie paisible » (1Timothée 2.1-4). Et que dire d’Abraham qui « négocie » avec Dieu et le fait changer d’avis sur Sodome et Gomorrhe ?
Souvent je demande à Dieu de changer le cœur d’un-tel, ou d’ouvrir le cœur d’un-tel, ou d’attirer le cœur d’un-tel à Jésus ; est-ce que ce sont des prières qui amènent à faire réagir Dieu ? Sachant que Dieu désire encore plus que nous le salut de toute âme, est-ce un manque de confiance en lui et de l’orgueil (de dire à Dieu ce qu’il « doit » faire pour les autres) ? Ou juste notre cœur épanché pour lui faire connaître nos désirs les plus profonds ?
Je suis convaincu que prier est indispensable. Mais je suis convaincu aussi que Dieu n’a pas « besoin » de nos prières au sens ou cela le pousserait à l’action. Il en a besoin comme j’ai besoin de voir ma femme et de parler avec elle, ou comme j’ai besoin de passer du temps avec mes enfants (ce que je ne fais probablement pas assez 🙂
Pour montrer que Dieu prend soin de nous, même si nous ne prions pas, je prendrai l’exemple typique (c’est-à-dire qui est un modèle type) de Caïn en Genèse 4,1-16. Ce passage est d’une richesse phénoménale, mais je n’explorerai très rapidement que ce qui nous intéresse ici au v14-16 alors que Caïn exprime qu’il a peur des conséquences de son péché :
Tu me chasses aujourd’hui de cette terre ; je serai caché, tu ne me verras plus, je serai errant et vagabond sur la terre ; et si quelqu’un me trouve, il me tuera. Le Seigneur lui dit : Alors, si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois. Et le Seigneur mit un signe sur Caïn pour que ceux qui le trouveraient ne l’abattent pas. Puis Caïn se retira de devant le Seigneur et s’installa au pays de Nod (« Vagabondage »), à l’est d’Eden.
Caïn a choisi d’être en colère malgré l’avertissement de Dieu.
Caïn a choisi de tuer son frère malgré l’avertissement de Dieu.
Caïn a choisi de ne pas prendre la responsabilité de son péché.
Caïn a choisi de mentir à Dieu.
Caïn a donc choisi de se cacher de Dieu (cf. Genèse 3,8).
Mais il a peur : peur qu’on lui fasse ce que lui-même a fait à son frère. Que fait Dieu alors que Caïn se retire ?
Il le protège en mettant un signe sur lui. Dieu aurait-il pu ouvrir le cœur de Caïn ? Dieu aurait-il pu attirer Caïn à lui ? En tout cas il a essayé : à quatre reprises il a tenté d’avertir Caïn ou de le ramener vers lui ; en vain.
L’intervention de Dieu, pour laquelle nous prions (ou non — car tout ce que Dieu fait n’est pas le résultat de prières humaines) ne garantit pas le résultat. En effet, pour qu’une relation existe il faut être deux et cela est aussi vrai avec Dieu.
Nous avons besoin de prier. Cela fait partie de notre humanité. Quelqu’un qui ne prie pas renonce à une partie de lui-même, à la partie spirituelle de son humanité, avec des conséquences sur le reste de ce qu’il est et avec des conséquences sur ses relations avec les autres, et donc avec des conséquences sur les autres (ex. : si Caïn avait été proche de Dieu, il n’aurait pas tué son frère).
Nous avons besoin de nous tourner vers Dieu, de nous rappeler que Dieu peut agir et va agir dans notre vie et dans la vie des autres. Il n’y a pas d’orgueil a rappeler à Dieu ses promesses ou à demander si la coupe peut-être bue autrement. Il n’y a orgueil que lorsque nous réagissons mal si la réponse est non.
Pour finir je ne peux éluder l’exemple d’Abraham que tu cites. Ce passage en Genèse 18,16-33 commence en décrivant Dieu qui se demande s’il doit cacher à Abraham ce qu’il va faire. Le dialogue qui va suivre est donc lié à une révélation faite à Abraham. Cette révélation lui est faite parce qu’il est fidèle à la promesse que Dieu lui a faite de devenir une grande nation (ou pour le dire autrement : parce que sa foi se traduit par une obéissance à la voie du Seigneur). Un lecteur du texte qui n’aurait jamais lu cette histoire auparavant ne sait pas ce que Dieu a prévu de faire. Mais Abraham anticipe que si Dieu est juste (comme lui est juste selon le v19) il va détruire Sodome. Cette anticipation laisse place à l’interprétation quand à la réelle volonté de Dieu : est-ce vraiment cela que Dieu a en tête ? Peu importe la réponse, cela traduit la relation intime entre Dieu et Abraham.
En fait le texte n’est pas un enseignement sur la prière. Bien sûr on peut s’en servir pour cela, mais c’est d’abord un enseignement sur la responsabilité collective des peuples (ou des groupes). En effet tout ce dialogue est basé sur l’idée (d’Abraham) que le choix est entre « destruction totale » ou « pas de destruction du tout ». La question d’Abraham est d’abord de savoir jusqu’à combien de juste il faut dans une ville pour que celle-ci survive. D’ailleurs le dialogue s’arrête à dix. Il ne va pas en dessous (5 ou même 1). Donc le but du texte n’est pas réellement une « négociation », mais plutôt une interrogation morale.
Cette interprétation suggère par ailleurs, que si destruction il y a, elle pourrait bien être due à autre chose qu’à l’intervention de Dieu. Mais cela est un autre débat.
L’universalite de l’objet de la puissance divine n’est pas seulement relative, mais absolue, de telle sorte que la veritable nature de la toute-puissance n’est pas clairement exprimee lorsque l’on dit que Dieu peut faire tout ce qui est possible pour lui. En fait, il faut ajouter que rien n’est impossible a Dieu. L’intrinsequement impossible est contradictoire en soi, et ses elements s’excluent mutuellement, il ne peut en resulter rien d’autre que le neant. D’apres Thomas d’Aquin Le paradoxe de l’omnipotence est la contradiction apparente inherente a l’existence d’un etre omnipotent : un tel etre pourrait en effet decider d’actions qui limitent sa propre omnipotence. Certains philosophes pretendent que ceci prouve que l’omnipotence n’existe pas. D’autres expliquent le paradoxe comme etant le fait de ne pas comprendre ce qu’est l’omnipotence ou les differents degres d’omnipotence possibles. Averroes a ete le premier a suggerer ce paradoxe.