Etait-ce la volonté de Dieu que Jacob aille en Egypte ?

Question :

Voici un passage qui m'a interpellé : Josué 24,3-6

J’ai pris Abraham, votre père, de l’autre côté du Fleuve et je lui ai fait parcourir tout Canaan ; j’ai multiplié sa descendance et je lui ai donné Isaac. J’ai donné à Isaac Jacob et Esaü. J’ai donné en possession à Esaü la région montagneuse de Séir, mais Jacob et ses fils sont descendus en Egypte. J’ai envoyé Moïse et Aaron, et j’ai frappé l’Egypte par les fléaux que j’ai produits en son sein ; puis je vous en ai fait sortir. J’ai fait sortir vos pères de l’Egypte, et vous êtes arrivés à la mer. Les Egyptiens ont poursuivi vos pères à la mer des Joncs, avec des chars et leurs attelages.

Ce qui m'interpelle c'est que c'est toujours Dieu qui fait, sauf au v4 où c'est le choix de Jacob et de ses fils d'aller en Égypte.
Évidemment tout ce que je vais mentionner ne peut servir que d'observation. On n'en fera pas un enseignement. On n'en arrivera pas à des conclusions fermes. C'est une réflexion. Pour les trois grands patriarche, face à la famine, le choix d'aller chercher la subsistance en Égypte se présente :
- Abraham fait face à une famine et va en Égypte : Genèse 12,10s
- Isaac fait face à une famine, et ne va pas en Égypte : Genèse 26,1-6. Dieu a changé ses plans initiaux, et il semble qu'Isaac a eu raison d'obéir : Genèse 26,12. Je suppose que Jacob connaissait cette histoire (et même si on suppose que les chapitres 25 et 26 ne sont pas écrits dans un ordre chronologique
- Jacob fait face à une famine et semble ne pas vouloir aller en Égypte. Il y envoie ses fils (sauf Benjamin) : Genèse 41,53 à 42,5. Pourtant il semble être contraint d'y aller lui-même : Genèse 45,28 à 46,4. Était-ce son plan ? Était-il attiré par le confort et par la sécurité (Genèse 45,10-13.17-20) ? Ou voulait-il seulement revoir Joseph ?

Voici les questions que je me pose : Quel était le plan de base de Dieu ?
- Que Jacob et ses fils récupèrent de la nourriture et qu'ils reviennent à Canaan ?
- Que Joseph, lui-même, abandonne sa situation pour rentrer à Canaan ? Les années de famine auraient largement pris fin (Genèse 47,28).

Bien-sûr, tout cela ne veut pas dire que Jacob a péché, qu'il a désobéi à Dieu et que Dieu a dû revoir ses plans ! Au contraire, cet exemple montre que quoiqu'il arrive, à la fin Dieu réalise son plan (ici, ramener son peuple à la terre promise).

On se pose souvent la question: « quel est le plan de Dieu pour ma vie ? »
Pourquoi ne pas se poser plutôt la question: « quelle est ma place dans le plan de Dieu ? » comme Joseph (Genèse 50,20) ?

Comme beaucoup de passionnés, je suis parti en mission avec l'église et quelques années plus tard je suis revenu en France. Je me suis souvent demandé si je n’étais pas allé contre la volonté de Dieu en revenant. Mais ce genre de passages me montrent (encore une fois) que ce type de raisonnement n'a pas de sens. Dieu a un plan, il nous fait une proposition pour y participer et si on ne le fait pas, il n'est pas fâché ou désorienté. Il utilisera un autre moyen pour y arriver. Et nous utilisera d'une autre manière.

Un frère qui veut garder l'anonymat


Éléments de réponse :

Cher frère, je trouve ton raisonnement excellent ! Au point que ta question devient l'article principal à lire, ce qui suit n'est que commentaire.

Excellente réflexion d'abord parce qu’elle est compatible avec une exégèse soit synchronique (prendre le texte dans l’ordre tel qu’il se présente au lecteur d’aujourd’hui) soit diachronique (lire le texte en fonction des connaissances historico-critiques qui considèrent que les histoires des patriarches constituent un montage de diverses traditions du sud (Abraham) et du nord (Jacob) d’Israël pendant la période exilique et post-exilique — lecture qui a ma préférence personnelle). Quelle que soit l'option exégétique qu'on préfère, ta réflexion conduit au même résultat spirituel.

Excellente réflexion ensuite parce que tu poses la bonne question sur la recherche de la volonté de Dieu. En posant la question comme tu la poses, on se sort d’une lecture individualiste de la Bible qui consiste à chercher des réponses pour soi-même et on va vers la recherche de réponses existentielles qui sont plus à même de considérer comment l’amour (c’est à dire ma présence et mon action dans une communauté croyante et plus largement, humaine) est plus important que ce que Dieu voudrait pour « moi » personnellement. Ce qui n'enlève rien à ma valeur, et supprime toute pression coercitive de la part de Dieu qui ne m'oblige pas à "faire", mais qui me conduit plutôt à « être », et en particulier à être « sujet » face à Lui. Dieu, qui est le premier psychologique, sait bien que si nous sommes, nous ferons alors que l'inverse risque de ne pas être vrai.

Enfin, comme conséquence de ma deuxième considération, ta réflexion conduit à une foi débarrassée d’un désir (inconscient) de contrôler Dieu par la prière ou par la perfection. Je m’explique : quand on recherche la volonté de Dieu « pour soi » on cherche en réalité au fond à connaître ce que seul Dieu connaît. Or si Abraham est appelé père de la foi, ce n’est pas parce qu’il connaissait la volonté de Dieu « pour lui » mais parce qu’il a fait confiance à Dieu pour « aller vers lui-même » (le fameux לֶךְ-לְךָ de Genèse 12,1). La foi c’est marcher sur le chemin de la vérité et de la vie (Jean 14,6) mais c'est pour chaque pas, ne pas savoir ce qui va se passer ni où on va poser le pied pour faire le pas suivant. Là, réside la vraie confiance en Dieu. Chercher la volonté de Dieu « pour soi-même » c’est vouloir faire face à nos peurs et nos angoisses par le contrôle : je prie pour influencer Dieu, ou j’essaie de pécher le moins possible pour « plaire à Dieu ». Paradoxalement ces attitudes religieuses sont alors le signe d'un désir de toute puissance, c’est à dire une idolâtrie issue d’une fausse image de qui est Dieu (qui n’en a rien à faire qu’on pèche plus ou moins : pécher moins sert à rester fidèle et à ne pas se détruire soi-même ni ce que Dieu a fait mais pas à « plaire » à Dieu). Ce qui plaît à Dieu c'est que nous soyons en relation avec Lui, pas que nous péchions moins. Car Dieu qui est le meilleur des pasteurs sait que si nous sommes (vraiment) en relation avec Lui, nous pécherons moins.

Merci pour ta réflexion : elle est profonde, biblique, théologique, et donne une bonne image de qui est Dieu.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.