L’unité des chrétiens est-elle possible ?

Il est probablement important de se situer quant à la signification du geste que Jésus nous demande de vivre en tant qu’église. Mais il est aussi important de se rappeler que beaucoup d’hommes et de femmes intelligents et spirituels ont adopté des positions assez éloignées les unes des autres.

Par ailleurs nous ne devons jamais perdre des yeux que, même si nous sommes persuadés d’avoir raison, il est possible d’avoir tort. En matière de repas du Seigneur cela est peut-être plus vrai encore. Car quand je parle d’avoir tort, je ne parle pas d’un raisonnement intellectuel qui pourrait être déficient et qu’on pourrait prendre en défaut dans une démonstration par A+B à partir des écritures. Non, je parle de ce que notre conception du repas du Seigneur que nous considérons juste, que nous considérons révélée et indiscutablement conforme aux écritures, que nous considérons être vraiment et absolument la volonté de Dieu, nous conduit à être séparés des autres croyants parce qu’ils ont tort, ce qui est … le contraire de la volonté vraie et absolue de Dieu. Si nous sommes séparés d’autres croyants à cause de ce thème précis du dîner du Seigneur, il est probable que bien qu’ayant raison, nous ayons tort.

L’élément le plus discriminant aujourd’hui est ce que j’appellerai la matérialisation, pour englober les conceptions charnelles/matérielle de la présence du Christ (représentées par les catholiques et le luthériens), ou la symbolisation (représentées par les réformés et les anabaptistes).

Les différentes factions peuvent-elles jeter l’anathème sur les autres à cause de ce sujet ? Il est probable, comme souvent, que ce soit l’arbre qui cache la forêt et que les raisons réelles de rejet se trouvent ailleurs, car il semble tout à fait possible de concilier non pas la théologie sous-jacente, mais au moins la pratique et la participation au même Repas du Seigneur tout en ayant des vues différentes sur ce qui se passe du côté de Dieu.

Rappelons-nous de 1Corinthiens 10,16-17 :

16La coupe de bénédiction, sur laquelle nous prononçons la bénédiction, n’est-ce pas une communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-ce pas une communion au corps du Christ ? 17Puisqu’il y a un seul pain, nous, la multitude, nous sommes un seul corps ; car nous partageons tous le même pain.

Le repas du Seigneur est une communion au sang et au corps du Christ. Le reste est cuisine divine, sur laquelle il est bon d’avoir des opinions mais qui ne justifie pas que nous nous ridiculisions aux yeux des non-croyants par des querelles sur un mystère insondable.

Car qu’est-ce qui est vraiment important ?

Le Christ (contrairement à Luther ou au concile de Trente) n’a jamais menacé personne à cause d’une mauvaise conception de l’eucharistie. Mais :

23Il disait à tous : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix et qu’il me suive. 24Car quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi la sauvera. 25Et à quoi sert-il à un être humain de gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même ? 26En effet, quiconque aura honte de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme aura honte de lui quand il viendra dans sa gloire, dans la gloire du Père et des saints anges.

Il a dit aussi

26 Si quelqu’un vient à moi et ne déteste pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. 27Et quiconque ne porte pas sa croix pour venir à ma suite ne peut être mon disciple. (…) 33Ainsi donc, quiconque d’entre vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple.

Et encore

44 … Celui qui met sa foi en moi, ce n’est pas en moi qu’il met sa foi, mais en celui qui m’a envoyé ; 45et celui qui me voit voit celui qui m’a envoyé. 46Moi, la lumière, je suis venu dans le monde, pour que quiconque met sa foi en moi ne demeure pas dans les ténèbres. 47Si quelqu’un entend mes paroles et ne les garde pas, moi, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. 48Celui qui me rejette et qui ne reçoit pas mes paroles a bien un juge : c’est la parole que j’ai dite qui le jugera au dernier jour. 49Car moi, je n’ai pas parlé de ma propre initiative ; c’est le Père, qui m’a envoyé, qui m’a donné lui-même un commandement sur ce que je dois dire et ce dont je dois parler. 50Et je sais que son commandement est vie éternelle. Ainsi, ce dont, moi, je parle, j’en parle comme le Père me l’a dit.

Ne transformons pas les paroles de Jésus qui appelle à ne pas le rejeter, à le suivre, et à l’imiter (spirituellement) en portant notre croix1. Penser que la vraie foi, c’est considérer que le pain se transforme ou qu’au contraire il ne se transforme pas, est un leurre qui nous détourne non seulement de ce que Jésus voulait mais aussi d’un but initial primordial du repas du Seigneur qui est justement … l’unité. Comme le dit avec justesse Ulrich Luz :

« Quand les définitions et interprétations ecclésiales du dîner du Seigneur sont considérées comme les conditions de base de la fraternité eucharistique, et quand elles prennent la place de l’invitation du Christ au dîner du Seigneur, le sens de tout texte biblique concernant l’eucharistie est grossièrement négligé »2.

Si considérer que le pain devient charnellement le corps de Jésus vous aide à aimer Dieu et les autres, alors croyez-le. Si au contraire à travers la force du symbole, vous trouvez la force d’aimer Dieu et les autres, tant-mieux, continuez ! Mais n’imposez pas un point de vue aux autres qui ne soit vraiment nécessaire au salut.

Bien évidemment quelques discussions sont nécessaires afin que chacun, par la pratique collective, se sente respecté dans sa conviction personnelle. En particulier sur la forme (dont nous avons parlé au paragraphe précédent). Mais par pitié, n’assimilons pas la foi à la bonne croyance concernant la chimie divine des espèces. Et ensemble, vivons une vie de disciple qui n’a pas honte du Seigneur, et ne lui faisons pas honte non plus en nous querellant et en nous divisant pour ce qui aux yeux du monde représente des broutilles religieuses d'un autre temps.

Jésus a donné sa vie pour renverser les idées reçues, les traditions inaccessibles et les règles insupportables. Ne remettons pas en place, en son nom, ce qu’il est venu abolir. Ce ne sont pas les églises ni leurs théologiens, qu’ils aient tort ou qu’ils aient raison, qui nous appellent à table. C’est le Seigneur qui nous invite à dîner avec Lui.


Notes

1 Rester uni avec des chrétiens qui ne voit pas les choses de la même manière, ça fait partie de porter notre croix.

2 Ulrich Luz, Matthew 21-28, Fortress Press, Coll. Hermeneia, 2005, p.384 (les italiques sont dans le texte).