Pourquoi le Père délègue-t-il le jugement au Fils ?

Question :

Salut Pierre Louis. Peux-tu m’expliquer en Jean 5,22 pourquoi Dieu ne juge personne, mais donne l’autorité à Jésus pour le faire ?

Madison


Jean 5

19Jésus leur répondit donc : Amen, amen, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, sinon ce qu’il voit faire au Père ; ce que celui-là fait, en effet, le Fils aussi le fait pareillement. 20Car le Père est ami du Fils, et il lui montre tout ce que lui-même fait ; il lui montrera des œuvres plus grandes encore, pour que, vous, vous soyez étonnés. 21En effet, tout comme le Père réveille les morts et les fait vivre, ainsi le Fils fait vivre qui il veut. 22De plus, le Père ne juge personne, mais il a remis tout le jugement au Fils, 23pour que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui n’honore pas le Fils n’honore pas le Père qui l’a envoyé.
24Amen, amen, je vous le dis, celui qui entend ma parole et qui croit celui qui m’a envoyé a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement, il est passé de la mort à la vie. 25Amen, amen, je vous le dis, l’heure vient – c’est maintenant – où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l’auront entendue vivront. 26En effet, tout comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même, 27et il lui a donné le pouvoir de faire le jugement, parce qu’il est fils d’homme. 28Ne vous en étonnez pas, car l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix 29et sortiront, ceux qui auront fait le bien pour une résurrection de vie, ceux qui auront pratiqué le mal pour une résurrection de jugement.
30Moi, je ne peux rien faire de moi-même : je juge selon ce que j’entends ; et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé.


Éléments de réponse :

Le v22 s’insère dans un passage plus large dont il fait partie. Ce verset participe à l’argumentation générale du passage qui parle surtout de la manière dont le Fils agit. Le point principal c’est que le Fils ne fait rien de lui même mais ne fait qu’imiter ce que fait le Père. Or, ce que fait le Père, personne ne peut le savoir. Le Fils a donc comme mission de montrer aux hommes qui est, et en conséquence ce que fait, le Père.
Pour nous, nous pourrions dire que le Fils n’est pas important, ce qui compte c’est le Père, le Dieu transcendant. Sauf que le Père, on ne peut pas le voir. On ne peut que fantasmer sur lui des théories métaphysiques, et souvent celles-ci finissent par nous faire vivre dans la peur de Dieu, de sa colère et de sa punition.
Par chance (on devrait dire : par grâce) le Fils est pour nous l’image du Père, le seul chemin vers le Père (Jean 14,6). Celui qui nous permet de vraiment connaître le Père. Le Fils est la révélation complète du Père. Jusqu’à la venue du Fils, on avait une révélation partielle de Dieu. Avec le Fils nous pouvons connaître tout ce qu’il est possible pour un humain de connaître de Dieu, en particulier son amour.

Dans son amour, le Père ne juge personne. Nous pouvons donc être sans crainte lorsque nous nous approchons de Dieu : car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas accompli dans l’amour (1Jean 4,18). Le jugement est celui du Fils : quand le Fils parle de jugement, nous pouvons le croire. Si nous ne le croyons pas, nous ne pouvons pas dire que nous faisons confiance à Dieu. Et que dit-il donc ce Fils sur le jugement qui lui appartient et qui va dans l’exact et même sens que le jugement du Père ? Et bien il nous explique que celui qui entend ma parole et qui croit celui qui m’a envoyé a la vie éternelle ; il ne vient pas en jugement (v24). Incroyable : littéralement difficile à croire pour un juif ou un grec de l’époque de Jésus : pas de jugement pour celui qui croit (c’est à dire qui fait confiance) qu’il n’y a pas de jugement !
Il n’y a donc de jugement que pour ceux qui croient qu’il y a un jugement (ou qui ne croit pas en Dieu du tout — le deux sont possibles dans ce texte).

Cette idée n’est pas unique dans le Nouveau Testament :

On la retrouve en Jean 12,44-50 dans un passage très important qui constitue la première conclusion de l’évangile (juste avant que ne commence la longue discussion entre les disciples et Jésus lors du dernier repas avant la mort de Jésus). Dans ce passage, qui suit une critique des pharisiens qui refusent de croire, Jésus explique que si quelqu’un entend mes paroles et ne les garde pas, moi, je ne le juge pas, car je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. Celui qui me rejette et qui ne reçoit pas mes paroles a bien un juge : c’est la parole que j’ai dite qui le jugera au dernier jour. Jésus ne juge pas car il n’a pas à le faire. En effet les gens se jugent tout seuls en ignorant ou ne respectant pas l’enseignement de Jésus. Paul dans l’épître aux Romains est sur la même longueur d’onde : il explique que le péché contient intrinsèquement une punition en lui-même (lire Romains 1,28 par exemple).

En Matthieu 25,14-30 on lit ce qu'on appelle communément la parabole des talents. Dans cette histoire, le troisième serviteur à qui est confié un (seul) talent (pièce d’argent grecque de forte valeur) préfère le cacher plutôt que le faire fructifier. Quand revient le maître, celui-ci demande des comptes : il veut savoir si cet argent a bien été utilisé (non pas parce qu’il veut la récupérer, car il l’a donnée, mais plutôt pour s’assurer que son don était utile). Le troisième serviteur dit : Maître, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes où tu n’as pas semé, et tu récoltes où tu n’as pas répandu ; j’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. C’est sa vision de Dieu : il a peur d’un Dieu qu’il s’est imaginé et il n’a pas compris que Dieu lui donnait un potentiel au point qu’il veut le lui rendre. En gros : il n’a rien fait de sa vie. Alors que lui répond Dieu ? Esclave mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé et que je récolte où je n’ai pas répandu ? Alors tu aurais dû… Le serviteur est traité selon ce qu’il a compris de Dieu, pas selon qui est Dieu réellement.

Tout cela nous enseigne donc que l’image qu’on a de Dieu est ce qui nous juge face à Dieu. Il ne s’agit pas de ce qu’on fait de bien ou de mal ! mais de l’image qu’on a de Dieu : la véritable question n'est pas « comment Dieu me juge », mais « est-ce que je connais Dieu ? » (Matthieu 7,21-23).
Qu’est-ce que cela implique au point de vue religieux ? Je dirais (au moins) trois choses :


1/ que l’aspect spirituel de notre vie est primordial. Peut-être plus important (à long terme) que tout le reste. Si l’on comprend cela, chercher Dieu devient la priorité de notre vie.


2/ qu’il ne faut pas s’imaginer qu’il « suffit de croire ». En effet le mauvais serviteur de Matthieu 25 croit. Il croit mal certes, mais il aurait pu faire quelque chose de ce qu’on lui avait donné. Qu’on ait un bonne vision de Dieu ou une mauvaise, nous avons tous quelque chose à faire avec ce que Dieu nous a donné. Le danger d’une mauvaise vision de Dieu c’est qu’à long terme elle risque de nous amener à des actions inappropriées « au nom de Dieu ». Ou alors à l'inaction, c'est à dire à vivre notre vie pour nous-mêmes.

3/ Mais le mieux, c’est de rejoindre le premier point en « cherchant Dieu ». Seulement grâce au deuxième point on comprend que « Chercher Dieu » implique d’être capable de se laisser déranger dans notre vision de Dieu.

Pour conclure il est intéressant de regarder la fin du passage en Jean 5. Jésus dit que Dieu lui a donné l’autorité de faire le jugement parce qu’il est Fils d’homme. Non seulement nous ne pouvons connaître Dieu (le Père) qu’à travers Jésus (le Fils) mais nous ne pouvons être jugés que par le Fils car il est aussi fils d’homme. le Père ne peut pas juger les hommes de manière juste. Le Fils peut le faire, car il sait ce que veut dire être un homme (v27) et il sait aussi ce que veut dire « faire la volonté de Dieu » (v30).
En introduction je disais que ce passage parle de la façon dont le Fils agit. Le jugement est une action (Jésus à l’autorité pour faire le jugement - κρίσιν ποιεῖν). Cette action c’est qu’il donne la vie, la vraie, celle qui est en dehors du temps et qui va au delà du tombeau. Simplement, Jésus propose aux hommes, les hommes disposent. A nous de saisir cette proposition de vie, et de faire passer le message autour de nous : « Dieu vous propose la vie ! ».

Oui ! Dieu est bon ! même avec les méchants ! Est-il naïf ? non, ce sont les méchants qui sont méchants, ce n’est pas la responsabilité de Dieu mais la liberté de chacun de choisir par qui ou par quoi il veut être inspiré dans la vie.