Nous pourrions être tenté de comparer certaines des catastrophes décrites par l’Apocalypse de Jean lors de l’ouverture des 7 sceaux (chapitre 6), lors du retentissement des 7 trompettes (chapitre 8) ou lors du versement du contenu des 7 coupes (chapitre 16) avec ce que nous pouvons voir de l’actualité climatique. Grêle, terre et arbres brûlés, créatures marines qui meurent en masse, eaux devenues insalubres, insectes ravageurs… cela est familier pour ceux qui regardent les informations télévisées et peut nous faire penser que Jean avait prophétisé le dérèglement du climat. Mais ce serait faire fausse route. Ce serait faire ce que Jésus nous demande de ne pas faire en Marc 13 c'est-à-dire interpréter les signes catastrophiques du monde comme les signes de son retour. Si le Christ doit revenir, c’est à l’improviste1 et d’une manière qu’on ne peut anticiper2.
Oublions donc l’identification des signes apocalyptique avec les signes de la crise qui s’annonce. Car aujourd’hui nous faisons (encore une fois) face à une crise d’ordre mondial qu'on peut appeler « crise climatique ». Comment la littérature apocalyptique peut-elle nous aider en tant que chrétiens face à cette crise qui si elle ne nous a pas encore touché le fera probablement dans les années à venir soit directement à travers des catastrophes climatiques soit indirectement à travers la lutte (guerres, vols, annexions...) pour le partage des ressources (eau, nourriture, endroit habitable…) ?
Notre monde qu’on croyait immuable, dont on pensait qu’il ne pouvait être ébranlé que par la volonté de Dieu et le retour du Christ, est en danger. Et ce n’est pas la faute de Dieu. Ce qui nous semblait un roc se révèle être du sable. Face à cela l’humanité se divise grosso modo en trois catégories inégales : une première qui ne s’en rend pas encore compte ou ne veut pas en tenir compte, une deuxième qui s’en rend compte passivement, une troisième qui essaye d’agir.
La première catégorie espère que tout continuera comme avant, que l’humanité continuera à produire du « progrès » et que ce que nous observons dans le monde ne correspond qu’à des épiphénomènes que la terre a toujours connue (le monde n’a-t-il pas toujours été en évolution ?). Certains parmi ceux qui en font partie prient pour que tout aille bien (c'est-à-dire que rien ne change).
La deuxième catégorie espère qu’après les quelques fluctuations que nous avons connues récemment (des catastrophes on en a déjà vu !) le monde redeviendra celui que nous avons connu (les sciences et techniques trouverons bien une solution !) même si quelques changements risquent de nous impacter (l’humanité s’est toujours adaptée !). Certains prient pour ça, de toute façon, ce n’est pas la première fois que le monde « semble » arriver à sa fin3, et à chaque fois il a continué sa course4.
La troisième catégorie estime que le monde est déjà bien abîmé, que le réchauffement de la planète est un phénomène irréversible5 que la pollution par les particules nanoplastiques ou chimiques a atteint la quasi totalité de notre planète et que des millions d’espèces vivantes sur terre ont disparu ou vont disparaître déstabilisant encore plus les équilibres qui permettent la vie elle-même. Ils agissent (plus ou moins)6 dans leur quotidien et politiquement7 afin de limiter les dégâts. Certains prient pour que leur action porte du fruit.
Ce tableau est probablement réducteur, mais l’exactitude n’est pas nécéssaire ici. Car ce que je veux souligner c'est que si les non-croyants ne prient pas ou sont d’ex-croyants qui ont cessé de prier, il y a aussi des « croyants » qui appartiennent à chacun de ces groupes. Quelles que soient les motivations des uns et des autres à prier ou non, la question n’est pas « qui a raison ? ».
Car peut-on attendre de Dieu des solutions magiques (que certains appellent « miracles ») pour aider l’humanité qui est en réalité elle-même responsable du désordre qui est en cours d’installation ? Aujourd’hui nous savons que Dieu n’est pas la cause du problème et que de même il ne sauvera pas le monde matériel de ce que les humains en ont fait. Dieu ne punit pas plus le péché qu’il ne sauve les humains de ses conséquences. Depuis Pierre-Simon de Laplace8 nous n’avons plus besoin de « l’hypothèse Dieu » pour expliquer les phénomènes du monde. Même ceux qui sont catastrophiques. Le réchauffement climatique n’est pas le signe de l’Apocalypse au sens spirituel du terme.
Notes
1- Marc 13,36 ; le mot ἐξαίφνης — exaiphnès veut dire soudainement mais il et formé par εκ — èk qui veut dire hors de et αἰφνίδιος — aiphnidios qui signifie improviste, inattendu. Littéralement le maître de maison (Dieu ou le Christ) doit revenir hors de l’inattendu ou sorti de l’inattendu.
2- Voir Marc 13,5-6.21-27
3- D’un point de vue judéo-chrétien ce n’est pas la première crise : 587 avant nôtres ère, destruction du temple de Jérusalem par les Babyloniens ; 167 avant notre ère, introduction d’une statue de Zeus dans le temple de Jérusalem (reconstruit) et révolte des Maccabées ; en 70 le second temple est détruit par les romains ; en 410 Rome est mise à sac par Alaric ; 14ème siècle la peste noire tue la moitié de l’Europe.
4- Mais sommes-nous prêt à en payer le prix : guerres, maladies, restrictions… ?
5- Irréversible à l’échelle humaine puisque il faudra des dizaine de milliers d’années pour faire redescendre la concentration en gaz à effet de serre dans l’atmosphère à partir du moment où l’on arrêtera d’en émettre.
6- Il y a des activistes qui veulent influencer la société rapidement (il y a urgence) et des personnes qui agissent simplement sur leur quotidien.
7- Politiquement ne veut pas dire uniquement dans la gouvernance ou dans les partis politiques mais surtout dans la vie de la cité (associations, politique locale…).
8- Victor Hugo raconte que lorsque Laplace publia son Traité de Mécanique céleste, Napoléon alors empereur lui demanda : « Comment, vous donnez les lois de toute la création et, dans tout votre livre, vous ne parlez pas une seule fois de l'existence de Dieu ! – Sire, répondit Laplace, je n'avais pas besoin de cette hypothèse ».