D’où vient « notre » diable ?
1. L’histoire littéraire du diable
Jusque là nous n’avons pas encore évoqué l’histoire du Satan qui tombe du ciel ; du dragon ; de la guerre cosmique. Et pour cause, ce n’est pas une histoire « biblique » au sens propre du terme, mais plutôt un patchwork de versets interprétés d'une certaine manière et assemblés les uns aux autres pour « créer » une histoire. En effet aucun des textes invoqués pour créer cette histoire ne parle de Satan. Voici les principaux extraits :
Ésaïe 14 qui parle de la chute de « Lucifer ». Or Lucifer dans ce passage est en fait le roi de Babylone, un souverain humain dont l'arrogance le conduit à sa perte, c'est-à-dire à sa chute. « Lucifer » est la traduction latine de "helel ben shachar" (étoile du matin, fils de l'aube), qui est une insulte poétique.
Ezéchiel 28 décrit le roi de Tyr comme un être de l'Eden, paré comme un dieu, qui est jeté dans l'opprobre. Encore une fois, il s'agit d'un roi humain, et non d'un ange déchu.
Apocalypse 12, écrit à la fin du 1er siècle de notre ère, nous fournit l'imagerie dramatique de la guerre dans le ciel. Un dragon ; des anges ; une bataille cosmique. Là effectivement le dragon est maintenant appelé « le serpent ancien, le diable ou Satan ».
« Ce combat cosmique, qui a des précédents notamment à Qumran, reprend un motif très ancien : le combat du dieu créateur contre le chaos où le mal est symbolisé par un dragon ou un serpent aquatique. »1
L’auteur de l’Apocalypse connaissait 1Hénoch, un livre du même genre littéraire et qui développait l'histoire de l'ange déchu et l’associait aux textes prophétiques sur les rois arrogants, en passant par les drames poétiques de la salle d'audience comme dans le livre de Job. Jean de Patmos, auteur de l’Apocalypse, rassemble tout cela en une seule histoire. C'est ainsi que le serpent de l’Eden, l'accusateur de Job, les rois déchus d'Esaïe et d’Ézéchiel, le dragon de l’Apocalypse sont tous « Satan ».
C’est une histoire fascinante. Mais construite de toute pièce au cours du temps. Comme dit Thomas Römer :
« Les idées courantes du diable, que l’on retrouve dans de nombreux films à grand public, sont largement tributaires des textes sur le diable dans le Nouveau Testament et dans des écrits apocryphes juifs et chrétiens. »2