C'est Platon qui a conceptualisé la séparation entre l'âme et le corps. Pour lui l'âme doit faire l'effort de s'élever vers le Bien en ne se laissant pas illusionner par les perceptions trompeuses des sens, c'est à dire du corps. Selon lui la sexualité, qui relève du corps, doit être maîtrisée par l'âme cherchant à s'élever.
Il est étonnant que les théologiens anciens n'aient pas perçu la différence radicale entre la vision de la sexualité dans le monde grec et celle de la Bible qui dit de la création telle qu'on l'observe qu'elle est bonne (Genèse 1,3.10.12.18.21.25) et que l'ensemble est très bon (Genèse 1,31).
Des générations de théologiens ont fait porter aux chrétiens le fardeau du péché originel et de la chute de la perfection humaine de sorte que cette belle et bonne création aurait été corrompue et en premier lieu la chair et son instinct sexuel1.
Pourtant, l'évangile de Jean n'hésite pas à dire que la Parole est devenue chair (Jean 1,14) et la première lettre de Jean témoigne qu'on a pu l’appréhender avec nos sens : entendre, voir, contempler et même toucher (1Jean 1,1). S'il manque sentir ou goûter, le Christ lui-même enseigne qu'à travers le repas communautaire, nous pouvons « manger sa chair ». Non, l'instinct sexuel n'est pas une mauvaise chose. Il n'est pas à l'origine de « ce corps de mort ». Il est au contraire, l'une des causes de notre venue à la vie.
Ayant constaté cela, peut-on maintenant faire n'importe quoi de notre corps sous prétexte que celui-ci est déclaré bon par Dieu qui le prouve en s'incarnant ? Tout comme c'est l'amour de l'argent qui corrompt et non l'argent lui-même, c'est l'amour du sexe et non le sexe lui-même qui est mauvais :
Sache que dans les derniers jours surgiront des temps difficiles. Car les gens seront égoïstes, amis de l'argent, (…) sans maîtrise de soi, (…) amis du plaisir plus que de Dieu ; ils garderont la forme extérieure de la piété, mais ils en renieront la puissance. Eloigne-toi de ces gens-là (1Timothée 2,3-4).
Mais au delà de l'aspect théologique, dès avant l'avènement de la médecine moderne, on savait qu'il faut prendre soin de son corps si l'on veut le préserver. Mal manger, trop boire, faire trop ou pas assez de sport, manquer de sommeil, fumer... tout cela détériore notre corps. Mais qu'en est-il de la sexualité ? Y aurait-il possibilité d'abimer notre corps par une sexualité débridée ? En réalité, il n'en va pas de la sexualité comme de la nourriture ou de la boisson (1Corinthiens 6,13), car le sexe ne se consomme pas, il se vit à deux, et c'est là toute la différence. Citons Jean-Paul II :
« Goûter le plaisir sexuel sans traiter pour autant la personne comme un objet de jouissance, voilà le fond du problème moral sexuel ».
On pourrait objecter que dès lors qu'il y a consentement, même si c'est une seule fois « en passant »2, alors un homme et une femme peuvent se donner du plaisir l'un à l'autre sans pour autant considérer l'autre comme objet de jouissance. Mais c'est oublier que notre corps n'est pas si séparé de notre âme que Platon ou Descartes voulaient bien le croire. Les psychologues en sont bien conscients. Nous allons donc explorer les liens entre la sexualité et ce qu'on appelle le sentiment amoureux.
Pour méditer :
- Est-ce que je comprends comment la pensée de Platon sur la séparation entre corps et âme a pu influencer la pensée chrétienne sur la sexualité ?
- Que penser de la chair (au sens de « condition humaine ») ?
- Quelle théologie est à l'origine du fardeau de la culpabilité sexuelle ?
- Peut-on considérer la sexualité comme n'importe quel besoin humain ? Pourquoi ?
Notes
1 Rappelez-vous ce que nous disions précédemment sur la concupiscence si chère à Augustin.
2 En écrivant cela je pense à la chanson de Michel Fugain : « Une belle histoire ».