Volonté de Dieu et Liberté

Je n’ai cessé de répéter que la volonté de Dieu est un désir d’amour de Dieu envers nous. Nous avons vu que cet amour s’exprime sur la Croix qui elle-même exprime en particulier l’acceptation par Dieu de la souffrance.

Mais cette souffrance, c’est Dieu qui la suscite !

Dieu est-il masochiste ? Non : il est simplement logique : s’il veut aimer, il doit laisser la liberté à l’homme de l’aimer en retour… ou pas. Et si l’homme n’aime pas Dieu, Dieu souffre.

A travers la Croix, Dieu démontre combien nous sommes libres. Libres de lui faire violence, libres de le tromper, libre de répandre toutes sorte de fausses paroles sur lui, libres de l’insulter et de lui cracher dessus, libres de le torturer et même libres de le tuer.

Dieu est un dieu qui se cache1 pour ne pas nous impressionner et ainsi ne pas nous soumettre. Dieu nous donne la responsabilité de ce monde qu’il a créé (Genèse 1,28). Et Dieu va même jusqu’à se soumettre à l’homme. Paradoxe si fort qu’il est presque insoutenable. Aussi insoutenable que la mort du Messie sur la croix qui est l’expression de cette soumission de Dieu lui-même à la liberté de l’homme.

Car, comme nous l’avons déjà évoqué, la puissance de Dieu ne s’exprime pas par la puissance au sens ou les humains la définissent. La puissance de Dieu c’est la Croix2, la puissance de Dieu est une sorte d’anti-puissance3 qui annihile les puissances de ce monde.

La liberté de l’homme n’est d’ailleurs possible que parce que Dieu la lui donne et l’accepte. Et il l’accepte sans aucune limite si ce n’est celles qui existent dès le commencement : chacun doit faire avec ces limites qui constituent ce que le théologiens appellent notre finitude. celle-ci est un aiguillon qui doit nous rappeler qui nous sommes et nous remettre à notre place. Car il y a des choses qu’on ne choisis pas : être un homme ou une femme, venir au monde dans telle famille ou dans telle autre, ne pas pouvoir être à plusieurs endroits en même temps, etc. L’homme d’aujourd’hui a beau se rebeller4 contre cet état de fait, (par exemple en usant de la technologie ; cf. le trans-humanisme) il y a une contrainte naturelle ultime à laquelle il ne peut se soustraire, c’est la mort.

La mort fait partie du processus naturel de la création. Sans la mort, l’homme n’existerait pas. Elle est un phénomène « créateur » au sens ou elle est garante de la diversité biologique de la vie. Mais pour nous qui sommes des animaux conscients de notre mort, elle représente un obstacle. Cet obstacle terrible, puisque nous ne pouvons l’éviter, est la limite de notre liberté tout en étant aussi un aiguillon pour nous faire réfléchir sur le sens de notre vie5.

Lorsqu’aux funérailles de quelqu’un l’officiant commence en disant : « Nous sommes réunis ici parce que Dieu a rappelé à lui son enfant bien aimé », il ne faut pas se tromper sur ce que cela veut dire. Dieu n’a pas provoqué la mort. Par exemple, ce n’est pas Dieu qui a suscité un frein défectueux pour rappeler plus vite (et de manière arbitraire de notre point de vue) son enfant auprès de lui6. Tous, nous sommes destinés à mourir7, plus ou moins tôt, et tous nous sommes aussi destinés à une glorification prévue par Dieu (Romains 8,30 ; 1corinthiens 15,42). Mais mourir et être glorifiés sont deux choses différentes8. Dès la naissance nous sommes destinés à trouver Dieu. Le moment auquel les retrouvailles sont prévues n’est pas forcément voulu par Dieu même s’il est connu par Dieu et si Dieu dans son vouloir va susciter des rencontres, des évènements, des situations, des circonstances nous permettant de nous poser la question de son existence et de notre ration avec lui.

Mais entre notre naissance (ou plutôt notre adolescence voire même le début de notre vie d’adulte) et notre mort Dieu respecte les choix que nous faisons, même si ces choix sont orientés par notre culture, nos origines et notre expérience personnelle. En particulier, Dieu respecte notre choix de l’aimer ou non. Il respecte même notre choix de le crucifier.

Dieu, liberté incréée, se soumet à notre liberté qu’il a lui-même créée. Il se rend vulnérable. Non pas parce qu’il n’est plus tout puissant, mais parce que comme n’importe quel amoureux, il prend le risque d’être éconduit. Comme diraient les jeunes, il prend le risque de « se prendre un râteau ». Ou bien comme le père de celui qu’on appelle le fils prodigue9, il accepte que son fils lui dise : « écoute papa, on va faire comme si t’étais mort et tu vas me donner ma part d’héritage ». Et il accepte.

Notre modèle du divin doit changer. La Bible est là pour nous aider à cela : elle part du concept de créateur, ce qui est culturellement déjà révolutionnaire à l’époque Babylonienne, mais elle ne s’en arrête pas là. Car elle n’en reste pas à des considérations métaphysiques et nous montre à travers l’histoire du peuple, la révélation progressive d'un Dieu d’amour, qui veut parler aux hommes « face à face »10

Mais alors, lorsqu’il s’incarne et se soumet à notre liberté, souhaite-t-il être crucifié ? Nous allons étudier cela.

Pour méditer :
- Comment la Croix est-elle une démonstration que dieu nous laisse libre ?
- Est-ce que je connais des paradoxes chrétiens ? Qu'est-ce qui permet de comprendre ce paradoxe que Dieu Tout Puissant se soumet à l'homme (qui n'est pas tout puissant) ?
- La mort est-elle pour moi une punition ou un phénomène naturel ?
- Pourquoi se contenter de savoir que Dieu est créateur ne suffit pas pour connaître Dieu ?


Notes

1  Ésaïe 45,15

2  1Corinthiens 1,24

3  Une contre-intuition de la puissance.

4  Par exemple lorsque des humains pensent que leur genre ne correspond pas à leur sexe.

5  Ce qui implique que nous devions être sauvé même si nous étions sans péché. Jésus lui-même a été sauvé de cette limite qu’est la mort (Hébreux 5,7). Sauvé, mais pas exempté, justement pour indiquer que Dieu ne nous laissera pas dans la mort (Philippiens 3,10-11 ; 1Thessaloniciens 4,13-18).

6  D’ailleurs les auteurs bibliques ne considèrent pas que la mort est un rappel de Dieu.

7  Psaume 89,49

8  Être glorifié, selon la logique de Paul nécessite de mourir au péché (par la repentance et le baptême) afin que l’a mort n’ai plus d’emprise sur nous comme elle n’en n’a pas eu sur Jésus. Il nous faut donc mourir physiquement aussi avant de voir la glorification (Voir Romains 6, 1Corinthiens 15, 1Thessaloniciens 4 et 5, et Hébreux 2 qui est d’inspiration paulinienne).

9  Luc 15,11-13

10 Genèse 32,31 ; Exode 33,11 ; Nombres 14,14 ; Deutéronome 34,10 ;

La formule פָּנִים בְּפָנִים (panim bepanim) ou פָּנִים אֶל פָּנִים (panim el panim) qui veut dire : face dans face exprime une notion d’égalité. Dieu a pour but ultime de nous parler comme s’il parlait à un autre lui-même.