La fraction du pain dans les Actes

Dans les Actes, il est intéressant de tenter de retrouver les traces du dîner du Seigneur puisque ce document relate l’expansion de l’église de Jérusalem à Rome (donc vers le Nord de la Méditerranée) jusque dans les années 60 soient environ les trente premières années de l’église.

Actes 2,42.46

Dès le deuxième chapitre d’Actes 2, est mentionnée la fraction du pain, au v42 on peut lire :

42Ils étaient persévérants dans l’enseignement des apôtres, et la communion et la fraction du pain et les prières

Au v46 également on peut lire :

46chaque jour persévérant unanimement dans le temple rompant à la maison le pain ils prenaient de la nourriture dans l’exultation et la simplicité de cœur

Les versets 42 à 47 sont ce qu’on appelle un sommaire du livre des Actes. Ce sont de petits passages (celui-ci est l’un des plus long) qui font transition entre des périodes de la vie de l’église. Ils résument ce que Luc vient de dire tout en pointant vers l’avenir. Ils ont donc une importance théologique, et surtout ecclésiologique1 car ils donnent un bon aperçu de la pensée de l’évangéliste2 concernant ce que devrait être une église qui a vécu la pentecôte.

Ce sommaire nous présente la manière dont l’église vivait3 dans les tous premiers temps et l’impact que cela avait. Le v42 décrit probablement le culte4 mais aussi la vie de la communauté qui incluait quatre composantes spécifiquement chrétiennes : - l’enseignement des apôtres, c’est à dire pour Luc l’enseignement de ceux qui ont vécu le ministère avec Jésus (Actes 1,21-22) et qui ont été témoins de la résurrection ; - la communion est un mot qui pourrait aussi être traduit par communauté, et qui renvoie au v44 : ils avaient tout en commun. Il ne s’agit pas seulement de passer de bons moments ensemble, mais de mettre en commun sa vie (dont les finances5). Il faut noter que ce mot (communion) est distinct de celui qui désigne la fraction du pain, alors que dans la suite de l’histoire de l’église il décrira le moment de la fraction du pain aussi ; - la fraction du pain désigne un moment spécifique : celui de la célébration du dernier repas de Jésus avant sa mort (Luc 22). Mais il n’est pas décrit en détail ; - les prières qui ici ne sont pas seulement juives mais aussi spécifiquement chrétiennes.

Pour autant les « croyants » puisqu’ils sont appelés ainsi, participent aussi à la vie cultuelle du temple de Jérusalem.

Ce que nous apprenons sur le dîner du Seigneur ici, c’est qu’il s’appelle fraction du pain6, et n’est peut-être plus un dîner. Certains détails (Qui ? Où ? Comment ? Y-a-t-il du vin ?) ne nous sont pas connus. Un détail cependant l’est : ils persévéraient dans la célébration de ce moment, et lors des premiers temps ils rompaient le pain chaque jour. La joie qui y est associée fait penser à la qualification d’agapes pour décrire ce moment.

Actes 20,7.11

Luc raconte les péripétie de Paul. Alors qu’il est à Troas7 lors de ce qu’on appelle traditionnellement le troisième voyage missionnaire, l’église se réunit « pour rompre le pain ». On se sait pas si la réunion fut provoquée à l’occasion du départ de Paul (le lendemain) ou si Paul a attendu avant de partir de passer ce premier jour de la semaine avec l’église pour rompre le pain avec les chrétiens de la ville. Toujours est-il que Luc prend la peine de nous indiquer qu’il s’agit du premier jour de la semaine, c’est à dire le jour de la résurrection (Luc 24,1).

C’est Paul qui préside ce moment (v11) qui a lieu le soir (c’est à dire au début du jour pour les juifs). Après l’accident (réparé !) d’Eutyque, Paul reprend la réunion qui se déroule ainsi : il rompt le pain, mange et discute8 jusqu’à l’aube ! Ce qui fait penser à une lettre de Pline le jeune au début du deuxième siècle (en l'an 111) dans laquelle cet avocat qui devait juger des chrétiens explique qu’à un jour marqué, ils s'assemblaient avant le lever du soleil, et chantaient tour à tour des vers à la louange de Christ, comme s'il eût été dieu »9.

Actes 27,35

Dans ce passage, Paul est en route vers Rome. Il est prisonnier et doit aller à la capitale de l’empire pour y être jugé. Alors qu’il est sur un (gros) bateau avec 276 personnes à bord, une tempête se déclenche qui dure 14 jours pendant lesquels l’équipage tente de sauver ce qu’il peut (et aussi à un moment de se sauver avec le canot de sauvetage).

Pendant ces deux semaines, l’équipage ne mange pas. Paul, qui malgré son statut de prisonnier à pris la direction du sauvetage du bateau, exhorte les marins à se nourrir. Et pour cela il commence par prendre du pain, le rompre et en manger (sans le distribuer). A la suite de quoi tous alors, reprenant courage, se sont alimentés à leur tour.

Il est évident que Luc en décrivant ce que Paul fait utilise le même vocabulaire que dans son évangile au chapitres 22 et 24. Il fait référence au dernier dîner de Jésus. Pour quelle raison Paul peut-il accomplir un tel geste sur une bateau en perdition ? Pour rappeler que le vrai sauveur c’est le Christ.

Autres passages des Actes

D’autres passages du livre des peuvent évoquer de loin le dîner du Seigneur. Ainsi en Actes 6,2 les apôtres évoquent-ils le dîner du Seigneur lorsqu’ils expliquent qu’ils ne peuvent plus « servir aux tables » ? De même pour Actes 13,2 qui parle des prophètes et enseignants de l’église d’Antioche célébrant le culte10 ? Ou encore le geôlier de Philippes en Actes 16,34 célèbre-t-il le dîner du Seigneur juste après son baptême ?

Ces passages ne nous seront pas d’une grande utilité car les associer au repas du Seigneur est conjectural (surtout Actes 13,2 puisque les participants au cultes sont en train de jeûner). Et quand bien même évoquerait-il le repas du Seigneur il ne nous renseigneraient que sur une sorte de spontanéité dans l’organisation de ce moment.


Notes

1 C'est à dire en ce qui concerne la notion d’église.

2 Cette pensée doit être analysée à la lumière des autres auteurs bibliques et surtout à la lumière de Jésus et de la Croix.

3 Pour les plus sceptiques, cela n’a pas d’importance de savoir si c’est une description historique. C’est de toute façon une description idéale.

4 Cf. note de la TOB 2010 sur Actes 2,42

5 Un autre sommaire, en 4,32-35 montre qu’il ne s’agit pas d’abolir la propriété individuelle : chacun a ses biens, amis il en fait profiter les autres selon les besoins. Actes 5,1-11 le suggère de cette manière aussi : cf. v4.

6 C’est le même mot qu’en Luc 24,35 lorsque les disciples racontent le geste qui leur a permis de reconnaître Jésus. Il est de la même racine que celui employé en Luc 22,19 ou 24,30.

7 Anciennement appelée Troie.

8 Le verbe discuter ou converser vient du même mot qui a donné homélie.

9 Lettres de Pline à Trajan, livre X,96

10 λειτουργούντω (leitourgountô) qui a donné liturgie