Il est important de se rappeler que Paul écrivait bien avant que les évangélistes eux-mêmes ne prennent la plume. Ainsi la première épître aux Corinthiens leur a-t-elle été envoyée environ 25 ans après la mort et résurrection du Christ et donc rédigée 15 ans avant l’évangile de Marc.
Avant le chapitre 11 de la première aux Corinthiens dans lequel il parlera de la tradition qu’il a reçue pour la célébration du dîner du Seigneur, Paul évoque ce repas au chapitre 10. Voyons ces passages et tentons de saisir ce qui pourrait nous concerner pour notre étude sur le dîner du Seigneur.
1Mes frères, je ne veux pas que vous l’ignoriez :
nos pères ont tous été sous la nuée,
ils sont tous passés au travers de la mer,
2ils ont tous reçu le baptême de Moïse, dans la nuée et dans la mer,
3ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle
4et ils ont tous bu le même breuvage spirituel
– ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les suivait,
et ce rocher, c’était le Christ.
5Pourtant, la plupart d’entre eux n’ont pas été agréés par Dieu, puisqu’ils ont été abattus dans le désert. 6Ce sont là des exemples pour nous, afin que nous n’ayons pas de mauvais désirs, comme ils en ont eu. 7Ne devenez pas idolâtres, comme certains d’entre eux, ainsi qu’il est écrit :
Le peuple s’assit pour manger et pour boire ; puis ils se levèrent pour s’amuser.
Paul fait allusion au baptême et au repas spirituel que le Christ nous offre. La technique qu’il utilise est la typologie c'est à dire qu’il utilise un modèle (issu de l’Ancien Testament) pour montrer que certaines réalités d’aujourd’hui (l’aujourd’hui de Paul !) ont un ancrage dans l’historiographie du passé. Ainsi le passage à travers la mer rouge est apparenté au baptême, et la manne (Exode 16) et l’eau de Mara et Meriba (Exode 17) sont apparentées au dîner du Seigneur.
Le lien entre baptême et dîner du Seigneur est intéressant. Il montre que ces deux « gestes » sont importants pour la vie de l’église telle que Paul et les Corinthiens la conçoivent. La pointe du passage ici est le risque de perdition, mais les images utilisées pour avertir les Corinthiens empruntent aux habitudes des chrétiens et à la manière de prêcher de l’époque.
Paul explique que ce n’est pas parce qu’on est baptisé ou qu’on participe au dîner du Seigneur qu’on est exempt du risque d’idolâtrie et donc de mort spirituelle.
Un peu plus loin dans le même chapitre il écrit :
14Aussi, mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie. 15Je vous parle comme à des gens avisés ; jugez vous-mêmes de ce que je dis. 16La coupe de bénédiction, sur laquelle nous prononçons la bénédiction, n’est-ce pas une communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n’est-ce pas une communion au corps du Christ ? 17Puisqu’il y a un seul pain, nous, la multitude, nous sommes un seul corps ; car nous partageons tous le même pain. 18Voyez l’Israël selon la chair : ceux qui mangent des animaux offerts en sacrifice ne sont-ils pas en communion avec l’autel ?
19Que dis-je alors ? Que la viande sacrifiée aux idoles aurait de l’importance ? Qu’une idole aurait de l’importance ? 20Non, mais ce qu’on sacrifie, on le sacrifie à des démons et non à Dieu ; or je ne veux pas que vous soyez en communion avec les démons. 21Vous ne pouvez pas boire à la coupe du Seigneur et à la coupe des démons ; vous ne pouvez pas partager la table du Seigneur et la table des démons. 22Ou bien voulons-nous provoquer la jalousie du Seigneur ? Sommes-nous plus forts que lui ? 23Tout est permis, mais tout n’est pas utile ; tout est permis, mais tout n’est pas constructif.
Ici Paul continue son exhortation contre l’idolâtrie. Et une fois encore il utilise le dîner du Seigneur comme une référence, quelque chose que ses interlocuteurs connaissent et pratiquent. Ici nous avons plus de détail sur ce que les premiers chrétiens comprenaient de ce moment communautaire dont on voit l’ancrage puissant dans les habitudes de l’église.
Le pain et le vin sont une communion (κοινωνία) au corps et au sang du Christ. Le terme inclus les notions de partage, de convivialité et de participation. Le lien communautaire se fait donc par le vin et le pain. Ces deux aliments, et les gestes et prières qui les accompagnent (ici la bénédiction, la fraction et le partage) créent la communion entre les chrétiens (même avec Paul, qui n’est pas là mais qui dit « nous ») et avec le Christ. C’est comme si le ciment de l’église était fortifié par la participation des membres au dîner du Seigneur.
D’ailleurs Paul parle d’une communion au corps du Christ, puis il parle d’être un seul corps en partageant un seul pain.
Les comparaisons que Paul fait aux versets suivants sont interessantes pour notre étude. En effet il explique d’abord que le même phénomène communautaire a lieu au temple de Jérusalem : ceux qui mangent la viande sont en communion avec l’autel c'est à dire la table sur laquelle on a fait le sacrifice, c’est à dire le temple lui-même et tout le judaïsme obéissant à la loi de Moïse que Paul appelle l’Israël selon la chair. Personne n’a jamais argumenté pour savoir si la viande mangée au temple de trans-substantait en Temple ou en Israël... Ainsi ici il est clair que Paul ne pense absolument pas que le pain de transforme en corps de Jésus. Et s’il est vrai qu’il enchaine avec le même genre de considération vis-à-vis des sacrifices faits dans les temples païens et qu’il dit : « je ne veux pas que vous soyez en communion avec les démons », il ne veut pas dire qu’en mangeant de la viande sacrifié aux idoles on devient un démon ni même un idolâtre, auquel cas il n’aurait jamais expliqué ce qu’il explique aux v28-29 :
28si quelqu’un vous dit : Ceci a été offert en sacrifice, n’en mangez pas, à cause de celui qui vous a informés, et par motif de conscience. 29Quand je dis « par motif de conscience », je ne parle pas de votre conscience à vous, mais de celle de l’autre.
Paul avertit les chrétiens de Corinthe : tout est permis, mais tout n’est pas constructif. La liberté que j’ai en Christ n’empêche pas mes actes d’avoir des conséquences. Si ce que je fais ne construit pas, mieux vaut s’abstenir. En matière religieuse en particulier : cherchant, non pas mon propre intérêt, mais celui de la multitude, afin qu’elle soit sauvée (v33).