De multiples approches sont possibles. Certains voudront se limiter à l’étude des textes bibliques puisqu’ils sont le seul témoignage autorisé sur l’enseignement de Jésus et de l’église primitive. Mais d’autres l’ont fait avant nous, et personne n’a su proposer de solution plus pertinente qu’une autre sur cette seule base. Ainsi il est aussi intéressant de réfléchir sur l’histoire du dîner dans l’Église au cours des siècles ce qui permettra de comprendre comment se sont développées les traditions qui existent aujourd’hui ainsi que ce qui empêche certains de renoncer à ces traditions pour revenir à cette simplicité à laquelle l’apôtre nous appelle en 2Corinthiens 11,3.
Ce faisant, en examinant le problème (puisque le dîner du Seigneur en est devenu un !) sous différents angles nous serons peut-être amenés à nous répéter, mais la répétition est parait-il pédagogique...
Commençons par nous interroger sur le nom à donner à ce moment si particulier que Jésus à demandé à ses disciples de pérenniser en mémoire de Lui. Selon la chronologie qu’on adopte (celle de la date des écrits bibliques ou celle de l’histoire1 que nous raconte le Nouveau Testament) deux termes se disputent la primauté historique :
1/ « Le partage ou fraction du pain »2 issu du verbe « rompre le pain »3 est le terme employé par Luc pour décrire l’un des éléments essentiel des réunions des tous premiers chrétiens. En Actes 2,42-47 dans ce que les théologiens appellent un « sommaire » et qui est un résumé des principes que veut développer l’évangéliste celui-ci décrit le contenu des réunions de l’Église après la pentecôte : enseignement, communion, partage du pain et prière. Mais ce terme ne parle pas du vin, élément essentiel du geste que le Seigneur nous a laissé.
2/ « Le dîner du Seigneur » tel que Paul le nomme en 1Corinthiens 11,20 dans le document le plus ancien (aux alentours de 51 ap. J.C.) qui parle de ce moment de commémoration en église. Souvent appelé « Repas du Seigneur », le mot grec deipnon désigne cependant le repas du soir. Les repas de Sabbat ou de Pâque avaient lieu le soir après la tombée de la nuit ce qui n’a rien d’étonnant puisque pour les juifs le jour commence à la tombée de la nuit et se termine avec la tombée de la nuit du lendemain (Genèse 1,5). Cette appellation suggère un lien fort entre ce que Jésus a fait lors de son dernier repas avec ses disciples (avant sa mort4) et la commémoration après sa mort et sa résurrection. On trouve aussi ce terme en Jean 13,2.4 et en Apocalypse 19,9.17.
D’autres noms ont été donnés à cette cérémonie :
3/ « La communion » est un terme qui insiste sur le fait d’être une communauté pour prendre le dîner du Seigneur. Ce terme ne se trouve pas dans les évangiles, mais est associé à la commémoration du dernier repas du Christ avant sa mort grâce à 1Corinthiens 10,16 où il est utilisé deux fois en relation avec le pain et le vin. Pourtant c’est le moins spécifique des noms donnés au dîner du Seigneur puisque le mot est largement employé dans le Nouveau Testament sans lien avec lui.
4/ « L’eucharistie » : ce terme est une transcription du verbe grec eucharisteô5 qui veut dire rendre grâce ou remercier et que l’on trouve en Marc 14,23 ; Luc 22,17.19 ou 1Corinhtiens 11,24 le Seigneur Jésus, dans la nuit où il allait être livré, prit du pain ; après avoir rendu grâce (eucharistèsas), il le rompit. Une traduction littérale donnerait : ayant rendu grâce. Ce verbe décrit ce que devrait être notre disposition de cœur quand nous participons à la réitération du dernier dîner du Seigneur. Ce terme est souvent associé à des scènes des évangiles ou des Actes qui semblent n’avoir aucun rapport avec notre étude mais dont le vocabulaire est tellement proche qu’on ne peut manquer le rapprochement comme lors des multiplications des pains ou lorsque Paul « a pris du pain, il a rendu grâce à Dieu devant tous, puis il l'a rompu et s'est mis à manger » en Actes 27,35.
5/ « Les agapes », encore une transcription du grec en français d’un mot qui, comme « communion » n’est pas très spécifique de notre sujet puisque on le retrouve dans 105 versets du Nouveau Testament pour décrire l’amour. En Jude 12 il décrit le dîner du Seigneur. De nombreuses traductions donnent « repas fraternels ». Ce terme met la lumière sur l’ambiance d’amour qui devrait régner pendant ces moments particuliers de célébration.
6/ Un sixième nom a aussi été donné tardivement à ce moment du culte chrétien : « la messe ». A Rome probablement aux alentours du 7ème siècle, lorsque le repas était terminé l’officiant disait en latin : « ite missa est » ce qui veut dire « allez, vous pouvez partir » ou bien préférablement « allez, vous êtes envoyés » sous-entendu en mission « dans le monde pour témoigner de votre foi ». Du mot missa on a tiré le nom de messe qui a pris officiellement un sens sacrificiel précis aux cours des siècles qui suivirent (sens qu’il avait déjà pour de nombreux croyants dès le 2ème siècle, mais de manière bien moins précise).
7/ Enfin encore plus tardivement, et en réaction à la terminologie catholique, les protestants utilisèrent le mot « Cène » pour désigner le sacrement du pain et du vin. Ce mot est issu du latin cena qui veut dire dîner du soir. Mais à l’usage, quand le repas du Seigneur a été célébré au cours de réunion dominicale qui avaient lieu le matin, la Cène a perdu sont sens vespéral6.
Pour notre étude nous parlerons du « dîner du Seigneur » ou du « repas du Seigneur » (selon les circonstances) car ces deux noms peuvent réunir en un seul terme à la fois fraction du pain, nécessité de communion et ambiance d’amour et de reconnaissance.
Notes
1 Pour être précis nous devrions parler de l’« historiographie néotestamentaire », c’est à dire l’histoire telle qu’elle est interprétée par les auteurs bibliques (et pas seulement racontée comme le ferait un historien moderne à partir de ses sources).
2 τῇ κλάσει (tei klasei)
3 κλάω (klaô)
4 Précision importante car Jésus lui-même a pris des repas avec des disciples après sa mort, en particulier avec ceux qu’on appelle les disciples d’Emmaüs (Luc 24) qui le reconnurent on pas à son aspect physique mais à sa façon de rompre le pain ce qui fait un lien évident avec ce moment de commémoration que nous étudions.
5 εὐχαριστέω (eucharisteô)
6 Lié au soir.