26… toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe,
c’est la mort du Seigneur que vous annoncez, jusqu’à ce qu’il vienne.1
Si Paul dit qu’en prenant le pain et le vin on annonce la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne, alors le Christ est il seulement quelqu’un qu’on annonce, mais qui finalement n’est pas là ? C’était au départ la position des réformés Suisses qui sur ce point ont su changer de cap. Nous avons vu qu’aujourd’hui personne ne doute de la présence de Jésus lors de la Cène, que ce soit spirituellement à travers un symbole incontournable, ou physiquement, matériellement à travers du pain et du vin eucharistié. La signification est donc à trouver ailleurs.
Il y a deux axes d’interprétation de cette écriture qui ne s’excluent pas forcément l’un l’autre.
- D’abord il y a un lien entre manger et boire d’une part et annoncer d’autre part. Ce que Paul explique donc c’est que faire c’est dire. Tous le monde comprend bien cela mais l’adapte à sa propre tradition liturgique. Les Catholiques le comprennent en disant qu’après la prédication vient l’eucharistie parce que la prédication nous conduit à accepter l’eucharistie qui est le sommet du culte. Les Luthériens le comprennent en disant qu’avec la prédication orale vient le geste de la Cène, parole non orale ; les deux sont « Parole » venant de Dieu. Les Réformés le comprennent en disant que la Cène est au service de la prédication puisque le but est de « manger la Parole » et d’être nourrit par elle. C’est un symbole. Enfin les anabaptistes diraient que là où deux ou trois sont rassemblés pour son nom (le repas), il est au milieu d'eux2.
Comme Nicodème qui ne comprenait pas le symbole du baptême et se demandait si pour naître de nouveau il fallait retourner dans le sein de sa mère, comme les disciples qui ne comprennent pas que « faire la volonté de son père » est pour Jésus une nourriture, comme la samaritaine qui ne comprend pas comment Jésus peut lui donner de l’eau vive sans avoir un seau pour la puiser, la foule puis les juifs qu’on rencontre en Jean 6 ne comprennent pas que ce n’est pas la chair qu’il faut manger physiquement mais l’incarnation et la Croix qu’il faut accepter spirituellement.
- L’autre axe d’interprétation est moins clivant confessionnellement. Il consiste à analyser le sens eschatologique de ce passage. L’eschatologie3 est ce qui concerne la fin des temps. Le retour du Christ est typiquement un sujet eschatologique. Le geste que nous accomplissons maintenant (Paul dit : toutes les fois) en prenant le pain et le vin est la reproduction du geste passé de Jésus renvoyant à sa mort (passée aussi) mais qui annonce l’avenir. Cet avenir ici c’est la venue du Seigneur.
Jésus lors du dernier repas a aussi dit :
Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai avec vous, nouveau, dans le royaume de mon Père.4
Cette phrase renvoie au royaume des cieux. Il est difficile de dire si elle renvoie à la fin des temps, ou si elle renvoie au dîner du Seigneur lors duquel Jésus est présent. Les deux ne sont pas incompatibles puisque comme nous l’avons vu le repas du Seigneur est à la fois l’actualisation du passé et l’irruption du futur dans notre présent.
En reproduisant ce que Jésus a institué, nous célébrons notre futur, dans lequel Jésus est déjà, où il nous prépare une place et où nous le rejoindrons. C’est un repas de fête qui nous réjouis autant par ce qu’on mange et par les convives qui sont nos frères et sœurs, que par ce qu’on y évoque : les nouveaux cieux, la nouvelle terre et les nouvelles créatures :
1Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus. 2Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la ville sainte, la Jérusalem nouvelle, prête comme une mariée qui s’est parée pour son mari. 3J’entendis du trône une voix forte qui disait :
La demeure de Dieu est avec les humains ! Il aura sa demeure avec eux, ils seront ses peuples, et lui-même, qui est Dieu avec eux, sera leur Dieu. 4Il essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu.
5Celui qui était assis sur le trône dit : De tout je fais du nouveau. Et il dit : Ecris, car ces paroles sont certaines et vraies.5
Dans le repas du Seigneur il n’y a rien de nouveau : nous rappelons le passé qui a eu lieu une fois pour toutes6 et en même temps, tout est nouveau car nous ne savons pas ce qu’est cette éternité que nous espérons. Nous anticipons non pas que nous irons au paradis, comme on l’entend trop souvent, mais que Dieu viendra établir sa demeure au milieu de nous dans une création glorifiée et débarrassée des souffrances liées à la finitude7. Ainsi celui qui participe au repas est un prophète qui annonce le retour de Jésus-Christ.
Notes
1 1Corinthiens 11,26
2 Matthieu 18,20 ; cependant utiliser ce verset pour cette explication est probablement une erreur. L’idée est bonne mais ce n’est pas la bonne écriture à utiliser pour le montrer car Matthieu 18,20 s’inscrit dans le cadre du pardon et de la discipline, pas seulement dans le fait de constituer l’église par un rassemblement.
3 En grec Eschatos (ἔσχατος) veut dire l’extrémité, la fin.
4 Matthieu 26,29 // Marc 14,25
5 Apocalypse 21,1-5
6 Voir Hébreux 7,27 ; 9,12 ; 10,1-18
7 La finitude exprime les limites des créatures. Nous serons débarrassés de ces souffrances non pas parce que nous deviendront omniscients et omnipotents, mais parce que nous nous serons purifiés en nous débarrassant du désir de pouvoir, du désir de puissance et de l’idolâtrie que cela entraîne et qui sont la source de notre souffrance. Heureux les pauvres en esprit, ceux qui pleurent, ceux qui sont doux, ceux qui ont faim et soif de justice, ceux qui sont compatissants, ceux qui ont le cœur pur, les artisans de paix.