Le cas particulier de Jean 6 (1ère partie)

Dans l’évangile de Jean on trouve bien un discours qui ressemble au discours du dernier repas (un discours « eucharistique » diraient les théologiens), mais contrairement aux évangiles synoptiques1 ce discours n’est justement pas prononcé lors du dernier repas que Jésus prend avec ses disciples avant sa passion. En Jean le geste du dernier repas n’est pas le partage du pain et du vin mais le lavage des pieds. Mais avant d’aller plus avant dans ce commentaire, je vous propose de prendre le temps de lire le passage lui-même, qui est certes assez long, mais dont l’explication suivante qui sera centrée sur la notion de pain, ne peut pas se passer de la lecture.

Jean 6,1-15 puis 22-71

L’enseignement sur le pain de vie (tournure qui indique ce qui est nécessaire à la vie) se trouve au chapitre 6 après la multiplication des pains (6,1-15) qui fournit le prétexte et le contexte du discours et qu’il ne faut pas oublier, même si entre la multiplication des pains et le discours, on trouve l’épisode racontant Jésus qui marche sur l’eau et calme une tempête.

En Jean les miracles (gr. : dunamis) ne sont pas appelés ainsi. L’évangéliste n’utilise jamais ce mot pour les sept prodiges que Jésus accomplit. Il utilise le mot semeion qui veut dire signe. En effet il ne veut pas qu’on s’arrête à l’émerveillement face au spectaculaire, mais il veut qu’on comprenne le sens de ce que Jésus accomplit.

La multiplication des pains a lieu alors que la Pâque, la fête des Juifs, était proche (v4) ce qui renvoie à une autre Pâque, celle dont il est question en Jean 11,55. Avant de multiplier les pains, Jésus met ses disciples (en particulier Philippe) à l’épreuve. Comme à chaque fois que Jésus veut enseigner dans l’évangile de Jean, la réponse de son interlocuteur reste attachée à l’expérience quotidienne de la vie humaine. Ici Philippe ne sait pas comment il pourrait être possible de nourrir une foule avec le peu d’argent que doit contenir la bourse du groupe. Et André se demande comment nourrir une foule de peut-être 10.000 personnes2 avec le seul pic-nique apporté par un jeune garçon. Pourquoi Jésus met-il Philippe dans l’embarras ? Il s’agit pour le maître d’aider son disciple à se poser la question de l’essentiel. De quoi l’homme a-t-il besoin pour vivre ? Il a besoin de manger.

Jésus prend les pains et les poissons du jeune garçon et les distribue, comme si dans ses mains il y en avait toujours, jusqu’à ce que les besoins de chacun soient comblés et même plus puisqu’il y a des restes. Avec Jésus il y a abondance.

Mais attention, nous ne pouvons pas nous en arrêter à nous réjouir de ce que Jésus pourrait répondre à nos besoins physiques. Ce serait faire la même erreur que la foule qui veut faire de lui un roi. Le signe3 est une réalité qui en indique une différente, d’un autre ordre. Ici la multiplication des pains indique non pas que Jésus va nous donner du pain tous les jours, mais qu’il va pourvoir à notre essentiel, et en abondance. Seulement, si on pense que l’essentiel est le pain ou le poisson, on se trompe. C’est ce que le discours nous révèlera.

On retrouve dans la façon de faire de Jésus trois des quatre gestes que nous avions identifiés dans les évangiles synoptiques : il prend, il rend grâce, il distribue. On ne peut donc pas dissocier le signe de la multiplication, du discours (v26-59) et de son explication (v60-71).

Une autre différence entre le discours (peut-être) eucharistique en Jean et celui des synoptiques est sa longueur. Dans les synoptiques tout était centré sur le geste, accompagné de quelques paroles. Ici c’est le contraire. Jésus veut qu’on voit au delà du geste. Il veut qu’on entre dans sa signification. C'est à cela que sert ce discours que nous analyserons dans l'article suivant.


Notes

1 Matthieu Marc et Luc sont dits synoptiques car ils peuvent être lus en synopse (ce qui veut dire : d’un seul coup d’œil) quand on les met en parallèle. L’évangile de Jean propose un scénario et une chronologie trop différents pour lui permettre d’être lu en parallèle des 3 autres.

2 Le texte mentionne 5.000 hommes (masculins) or il devait y avoir des femmes et des enfants.

3 A ne pas confondre avec un symbole qui est plus qu’un signe, nous en reparlerons plus tard.