En Jean 1,14 il est écrit que :
La Parole est devenue chair.
Les théologiens ont remarqué depuis longtemps1 que l’évangéliste Jean n’utilise pas le mot corps, mais le mot chair (d’où dérive le mot incarnation). La Parole de Dieu n’a pas seulement pris un corps, mais en devenant chair elle a subit « un processus évolutif devant aboutir à un changement d’état » ; c'est la définition du verbe « devenir ». Et le nouvel état de la Parole de Dieu est : « chair » (tout en ne cessant pas d'être « esprit »).
Il y a une implication théologique profonde à ce verset : si la Parole de Dieu a accepté de traverser un processus de changement d'état pour ne plus être uniquement spirituelle mais aussi charnelle, elle est certes devenue « quelqu’un » mais cela veut aussi dire qu’elle est devenue une partie de cet univers (spatio-temporel) duquel nous, humains « normaux » sommes issus selon un processus complexe dont la Parole de Dieu elle-même est le principe organisateur. Elle devient dès lors participante de ce qu’elle a elle-même organisé2 à partir de la nature. Il y a là un mystère au sens d’« une révélation de quelque chose d’impossible à comprendre spontanément par l’humain ».
Cette Parole ne parle plus à travers des songes, ou des théophanies3 comme dans la Bible Hébraïque. Maintenant elle parle à travers la vie d’un humain singulier, Jésus de Nazareth. De sa naissance jusqu’à sa mort en passant par ses interactions avec les autres humains pendant sa vie, il a « parlé » non seulement par son enseignement mais aussi et surtout par sa manière d’être et d’agir.
Il ne faut pas oublier non plus sa résurrection qui donne aux humains l’espoir que la mort n’est pas une annihilation de leur vie, qu’il y a plus, et que Dieu est avec ceux qui lui font confiance. Ce n’est pas seulement parce que Jésus-Christ était Parole de Dieu qu’il est ressuscité, mais parce que Dieu était de son côté, du côté de la honte et du rabaissement c'est-à-dire de la chair plutôt que du côté de la puissance et du prestige. En tant qu’incarnation celui qui est ressuscité n’apporte pas de l’espoir qu’aux humains mais aussi à toute la création comme nous le verrons dans les articles suivants.
Selon Luc Jésus naît dans une étable parce qu’il n'y a pas de place pour lui dans l’hôtellerie. C’est une manière différente de celle de Jean de parler de l’incarnation. Matthieu qualifie Jésus de Christ4 avant même sa naissance. Pourtant Jésus, tout Messie qu’il est, est rejeté dès son apparition dans le monde : les humains ne peuvent lui faire de place dans leur vie ni dans leur société car ils sont trop occupés à leurs propres affaires.
Dès sa naissance Jésus le Christ accepte la SOBRIÉTÉ. Ses parents n’ont certes pas eu le choix, mais c’est un signe : Dieu vient parmi les humains et leur montre où est la sagesse. Il ne s’agit pas d’un message écologique mais d’un message théologique. Pour autant si nous voulons être à l’image de Dieu le moyen le plus direct selon les chrétiens est l’imitation de Jésus5. Sa manière d’être au monde, sa manière d’être en relation à l’Autre (Dieu) et aux autres (les humains) sont les principes d’une vie qui plaît à Dieu. Cette « vie qui plaît à Dieu » ne passe pas par le respect de règles arbitraires édictées par un dieu religieux, mais par l’imitation de celui qui est parfaitement à l’image du Dieu qui veut le meilleur pour sa création et les créatures qui vivent en son sein. La sobriété (qui n’est pas la pauvreté) de Jésus est un des multiples principes qui permettent cette mises en pratique de l’imitation de Jésus.
Mais les humains sont trop occupés, disais-je, pour pouvoir entendre la révélation de la Parole de Dieu aux humains. Qu’est-ce qui peut bien les détourner de ce fait si important ? Ils sont occupés à exploiter la terre et ses ressources pour accroitre leur contrôle sur elle. En agissant ainsi ils pensent pouvoir se sauver eux-mêmes des aléas de la vie et de la souffrance. Mais cette soif de puissance qui grâce au pétrole est devenue de mieux en mieux satisfaite s’accompagne d’un aveuglement sur les conséquences d’une exploitation massive des énergies fossiles. Le désir de l’humain de contrôler son environnement va conduire à un emballement qui aboutira au contraire : l’humain ne contrôlera bientôt plus les modifications de cet environnement.
La « Sagesse », autre caractéristique de la Parole de Dieu incarnée par Jésus-Christ, est bafouée. De nombreux chrétiens eux-mêmes y participent trop attaché au sens religieux du christianisme et oublieux de ses implications charnelles, c'est-à-dire matérielles. Car si la sobriété était le mode de vie du Christ, elle devrait l’être pour ses disciples non seulement par principe d’imitation, mais d’autant plus qu’elle correspond à la sagesse permettant de s’adapter aux circonstances écologiques.
La sobriété de Jésus est totalement cohérente avec la démonstration de non-puissance que représente la Parole incarnée. La non-puissance n’est pas l’impuissance6. Mais ce n’est pas la puissance7 non-plus. La non-puissance est le choix de ne pas faire ce qu’on est en capacité de faire8. Or Dieu à la capacité de faire ce qu’il veut. Il n’a techniquement pas besoin des humains pour quoi que ce soit. Il pourrait même obliger les humains à suivre ses plans et sa volonté. Mais il a choisit délibérément de ne pas le faire. Il a choisit la non-puissance dont l’incarnation de la Parole de Dieu est une des manifestaions très significative. Si par l'incarantion de la Parole, Dieu a choisi la non-puissance comme mode d’être au monde, pourquoi ne ferions nous pas la même chose dans tous les domaines de notre vie y compris dans notre façon de consommer les ressources de la création ?
Notes
1- Voir : Elizatbeth A. JOHNSON, « Jesus and the cosmos: soundings in deep christology », in: Niels H. Gregersen (Ed.), Incarnation: on the scope and depth of christology, Fortress Press, Minneapolis, 2015, p.133-156