L’humain ne comprend pas qui est Dieu et il se prend souvent inconsciemment1 (et même parfois consciemment2) pour Dieu. Mais s'il veut prendre la place de Dieu, c'est la place d'un dieu qu’il imagine. L’homme fantasme Dieu et au fond de lui-même il pense que s’il était dieu à la place de Dieu, il ferait mieux que Lui. Et s’il ne le pense pas il agit comme s’il pouvait faire mieux.
Dieu dans la Bible et donc dans le dogme chrétien, est « tout puissant »3. Mais contrairement à ce qu’on peut penser de prime abord, la puissance du dieu de la Bible n’est pas celle qu’on imagine. Sa puissance n’est pas celle qui foudroie ses ennemis, ni celle qui s’oppose aux méchants. Bien au contraire, la puissance de Dieu est celle qui supporte, qui attend, qui contient celle de ses ennemis. La puissance de Dieu c’est en réalité la « non-puissance »4. Le summum de la démonstration de la puissance de Dieu est celle démontrée par le Christ sur la croix :
18En effet, la parole de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte,
mais pour nous qui sommes sur la voie du salut, elle est puissance de Dieu.
19Car il est écrit : Je détruirai la sagesse des sages,
j’anéantirai l’intelligence des intelligents.
(…)
22Les Juifs, en effet, demandent des signes, et les Grecs cherchent la sagesse.
23Or nous, nous proclamons un Christ crucifié,
cause de chute pour les Juifs et folie pour les non-Juifs ;
24mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs,
un Christ qui est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu.
25Car la folie de Dieu est plus sage que les humains,
et la faiblesse de Dieu est plus forte que les humains.
Tout est dit dans ce passage magistral de la théologie de l’apôtre Paul !
Les humains veulent un dieu qui fasse des miracles extraordinaires ou qui explique le monde. S’ils sont déçus, au lieu de remettre en question le dieu qu’ils imaginent ils tentent de le créer et de prendre sa place à travers la science qu’ils érigent en miracle et en vérité. Mais Dieu n’est ni l’un ni l’autre5. Il est celui qui démontre sa puissance sur une croix. Comme le dit Marc Vial :
« le point de départ du discours sur la toute-puissance (…) divine est constitué par une théologie de la croix. »6
Lorsque nous prions nous ne prions pas seulement un esprit céleste déconnecté de notre réalité. Nous prions le Dieu de Jésus-Christ, le Dieu de celui qui est puissance et sagesse par la Croix. Nous prions le Dieu qui a décidé de sauver le monde à travers un crucifié et non à travers la puissance et la sagesse telles que les humains la conçoivent avec leur lot de démonstrations spectaculaires ou rhétoriques.
En tant que chrétiens, si nous voulons participer au salut du monde, certes nous devons agir de manière à faire connaître Jésus, mais pas n’importe quel Jésus. Pas un Jésus qui fait des miracles ou des discours de sagesse7, mais un Jésus qui est le Christ. Le vrai Christ : celui qui est mort sur une croix.
Certes ce Christ est ressuscité. Mais cette résurrection ne s’est pas passée avec puissance. Elle a eut lieu dans l’intimité d’un tombeau, à l’abri des regards. Personne n’a vu la résurrection à proprement parler. Ce qui fait de cette action de Dieu un non-évènement. Ce n’est pas la résurrection qui signe la puissance de Dieu. La résurrection signe plutôt la démonstration que la croix est bel et bien la Parole de Dieu pour le monde (cf. le début du v18). Le but n’était pas la résurrection en soi, mais la croix. La résurrection a pour but de montrer à ceux qui ont un esprit capable de l’accepter que Dieu était du côté du crucifié et non du puissant empire qui a inventé la crucifixion et la honte absolue qui lui était associée, ni du côté de la religiosité traditionnelle qui a intrigué pour que l’empire crucifie Jésus.
Le Jésus que nous devons faire connaître est le Christ crucifié8 qui est paradoxalement le Christ puissance et sagesse de Dieu.
Cela peut sauver le monde d’un point de vue spirituel, car cela permet aux humains de comprendre et d’intérioriser l’Esprit de Dieu qui est l’Esprit du Christ. Mais ce n’est pas le seul plan sur lequel Dieu sauve. Prêcher le crucifié c’est prêcher l’humilité de Dieu. C’est encore prêcher la SOBRIÉTÉ de Dieu, ou encore la capacité de Dieu a renoncer à lui-même. C’est prêcher la puissante non-puissance de Dieu. Un renoncement qui n’est pas contrition, ni limitation de son potentiel mais plutôt adaptation au besoin des humains et de la création toute entière. Ce renoncement à sa propre capacité de faire ce que les humains ne font pas est de la part de Dieu la manifestation de son amour dénué d’orgueil et ne désirant absolument ni l’honneur ni la gloire tels que les humains les conçoivent.
Prêcher le crucifié, c’est prêcher la cause des humains qui meurent de l’avidité et de la concupiscence d'autres humains. C’est révéler et dénoncer le désir (inavouable et caché) de chaque humain d’être tout puissant. Cette dénonciation doit commencer par soi-même en enlevant la poutre dans notre œil9 sans pour autant s’empêcher de faire remarquer la paille dans l’œil de notre frère.
Les problèmes écologiques actuels constituent un révélateur du désir humain de toute puissance. La planète meure sous les coups d’une pollution violente, de la combustion excessive des hydrocarbures et d'une consommation démesurée… les trois étant en relation les unes avec les autres. Alors prêcher l’humilité de Dieu en prêchant le Christ crucifié c’est plus ou moins directement prêcher la SOBRIÉTÉ qui permet de fabriquer des produits de meilleure qualité, moins polluants, plus proche des clients et donc au final de brûler moins d’énergie. C’est aussi prêcher de faire attention non seulement à nos gestes quotidiens, mais aussi à ceux qui ont besoin d’aide. Prêcher le Christ crucifié c’est encore prendre des risques comme ceux que le Christ (et tous les prophètes avant lui) a pris : dénoncer les puissants, agir pour désobéir (sans violence) aux diktats d’une politique immorale, lutter contre les mensonges de la société technicienne. Là ou l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté10.
Prêcher la Croix n’a jamais été populaire. L’Église pendant des siècles a préféré prêcher le Christ glorieux sur son cheval blanc avec ses armées11 plutôt que le Christ en Croix qu’elle ne niait pas mais reléguait au passé. La résurrection et la gloire céleste sont bien plus appréciable que la Croix. Mais la résurrection et la gloire céleste sont des notions qui, si elles sont accomplies pour le Christ, sont inaccomplies pour nous : il s’agit d’un futur qui ne concerne pas directement notre vie sur terre, même s’il est indirectement source d’espérance.
Prêcher l’impact écologique de la Croix ne peut pas être populaire.
Notes
1- Les gens de bonne volonté, les chrétiens mêmes, ne se rendent pas compte de leur prétention, même parfois dans leur manière de prêcher le Christ, qu’ils prennent la place de Dieu.
2- Tous ceux qui veulent plus de pouvoir, qui vivent pour accroître leur influence ou leur mainmise sur d’autres êtres humains. Cela concerne évidemment la plupart des hommes ou femmes politiques de haut rang, mais plus souvent encore cela a lieu entre deux personnes, dans les couples.
3- Voir par exemple Apocalypse 1,8 « C’est moi qui suis l’alpha et l’oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-Puissant. » Le terme grec pantokrator est construit avec le mot pouvoir (grec kratos). Dieu a donc tout pouvoir dans le sens où il peut tout ce qu’il veut. Il est « libre » diraient les philosophes et c’est ainsi qu’il faut le comprendre et non en imaginant des pouvoirs spectaculaires. Dans la traduction des Septantes, pantokrator traduit l’hébreu Sabaoth (surtout chez Amos ou Osée) souvent traduit en français par Dieu des armées (Amos 3,13 - NBS). Dans sa liberté incréée Dieu crée une autre liberté que lui-même : des humains qui sont certes libres mais dans un cadre : entre α et ω sans les inclure. Or qu’y a-t-il avant α et après ω ? Seul Dieu le sait.
4- Voir l’article précédent pour la différence entre puissance, impuissance et non-puissance. Être non-puissant est plus puissant que d’être puissant car il s’agit de volontairement ne pas faire ce qu’on est capable de faire. La non-puissance allie la puissance à la sagesse.
5- Certes Dieu fait des miracles dans la bible, mais ils n’ont rien d’extra-ordinaire et sont du même ordre que ceux des autres religions. Le miracle n’est pas la marque spécifique de Dieu.
6- Marc VIAL, Pour une théologie de la toute-puissance de Dieu, l'approche d’Eberhard Jüngel, Classiques Garnier, Paris, 2016, p.9