Prier dans la sobriété : Matthieu 6,5-8a

5Lorsque vous priez,
ne soyez pas comme les hypocrites, qui se plaisent à prier debout
 dans les synagogues et aux coins des grandes rues,
 pour se montrer aux gens.
Amen, je vous le dis, ils tiennent là leur récompense.


6Mais toi, quand tu pries,
entre dans la pièce la plus retirée,
ferme la porte
et prie ton Père qui est dans le secret ;
et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

7En priant,
 ne multipliez pas les paroles,
comme les non-Juifs, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés.

8Ne faites pas comme eux, …

Si la foi est une rencontre, la prière est un rendez-vous.

Mais c'est un rendez-vous personnel. La prière ne peut pas être une obligation, ni intime, ni communautaire, ni même liturgique. En effet, si elle peut être commune, elle n’est pas « publique » au sens où elle reste une rencontre personnelle même dans un cadre communautaire. La prière ne peut être imposée à personne dans le double sens où il ne peut pas être exigé d’une personne qu’elle prie et il ne devrait pas être demandé à quelqu’un qui ne le souhaite pas d’entendre la prière des autres (auquel cas elle n'assiste pas à l'assemblée...).

Selon Jésus, il s’agit d’entrer dans la pièce la plus retirée de la maison, celle dans laquelle je suis le moins susceptible d’être dérangé. Cette suggestion de Jésus peut s’entendre littéralement en terme de lieu, mais elle peut aussi s’entendre en terme d’intériorité de notre esprit auquel l’Esprit de Dieu s’adresse pour me « confirmer » que je suis enfant de Dieu (Romains 8,16).

Quelle est cette récompense (qui est implicite dans le verbe grec traduit ici par rendre) qui viendra du Père si je le prie dans le secret ? Les hypocrites cherchent leur récompense dans l’ostentation, la mise en évidence de leur grande piété. Si aujourd'hui celle-ci ne s’acquiert plus au coin des grandes rues, au sein des églises la tentation peut être grande d’apparaître comme un homme ou une femme dévoué(e) à la prière. Mais l’apparence n’a jamais sauvé personne quand bien même je cherche souvent coûte que coûte à la sauver. Si le regard des autres peut être une récompense, celle-ci n'est pas compatible avec la véritable récompense qui vient de ce que la prière est un moment privilégié, un moment privé, que dès lors personne ne peut juger de l’extérieur. Lorsque j’ai un rendez-vous pour boire un café ou une bière (ça dépend de l’heure) avec un ami ma récompense c’est ce moment même que je passe avec lui. Si j’ai des intentions cachées ou utilitaristes dans ce moment, le moment en question n’est plus une récompense en soi. La récompense est ailleurs et non seulement elle devient aléatoire, mais elle perd énormément de sa valeur.

La (vraie) prière a lieu dans le secret. Cela est vrai quand je me cache pour prier, mais cela reste vrai quand je suis en communauté, car même si cela est plus difficile je peux me « retirer » dans le secret de mon intimité avec Dieu. Dieu voit ce qui est dans le secret, c’est là qu’il se trouve : il est un Dieu qui se cache (Esaïe 45,15 — la Croix en est une « preuve »), il aime que je le cherche et il se laisse trouver (Jérémie 29,13-14). S’il récompense le secret c’est parce que la récompense c’est Lui-même, sa présence, que la Bible appelle sa « gloire ».

Il n’est pas dit qu’il ne voit pas ce qui est public, mais il est dit qu’il ne le récompense pas. Prier dans le secret est une preuve pour Dieu (et par la même occasion pour moi-même aussi) de l’importance que j’accorde à ma relation avec Lui. Prier dans le secret est la preuve que je crois. Prier en public n’en n’est pas une.

Imaginons un rendez-vous amoureux. Comment est-ce que je me prépare pour ce moment ? 
Je m’organise (j'expédie mes derniers mails et sms) ; je choisi un « bon » moment (sans présence parasite) ; je m'installe dans un endroit où nous serons bien (le canapé ? un banc dehors ? un parc plein de fleurs... ?) ; et quand le moment arrive... je tressaille... puis je savoure : je ne réponds pas au téléphone, je ne regarde aucun écran, je me consacre à l'autre et uniquement à elle/lui. Nous discutons, je parle mais j'écoute aussi et je raconte : ce que je vis, les gens que je rencontre, mes opinions, mes émotions, mes projets, mes problèmes, mes joies...

Mais la métaphore du rendez-vous amoureux n’épuise pas ce que Jésus nous dit ici. Car il est aussi possible de voir la prière autrement. Dans notre passage, après la critique des religieux juifs, vient la critique des religieux païens : il y en a pour tout le monde. Jésus critique la multiplicité des paroles dans la prière (remarquons qu'il place au même niveau la prière juive et la prière païenne). Parler pour parler ne fait pas bouger Dieu. Si en multipliant les paroles incantatoires on peut atteindre l’extase (comme dans certains cultes païens ou certaines pratiques juives dans lesquelles la répétitions des paroles à l’aide de phylactères permettait d’entrer dans une euphorie) cela est artificiel. Dieu ne se trouve pas dans les manifestations neurologiques extatiques comme peut l'être le parler en langues (appelé glossolalie) dans certaines églises d’aujourd’hui et qui conduit à des extases parfois collectives.

Combien de temps faut-il prier ? C’est là que la métaphore du rendez-vous a ses limites : un rendez-vous galant peut durer longtemps. La prière que Jésus propose en Matthieu 6, même dite lentement dure tout au plus 30 secondes ! Mais la question est mal posée. Il ne s’agit pas du temps qu’il faut. Mais du temps nécessaire. Il s’agit de qualité et non de quantité. Et c'est là qu'un autre vision de la prière apparait.

En Luc 18, 1-8 Jésus enseigne une parabole pour montrer qu’il faut toujours prier, sans se lasser. Dans ce passage une veuve parle à un juge inique et à force de parole le convainc de lui rendre justice. Jésus termine en disant que Dieu fera justice bien vite à ceux qui crient vers lui jour et nuit. Jésus souligne par là que « Dieu n’est pas inique ». Et que s’il fait justice bien vite, finalement il n’y aura pas besoin de prier jour et nuit ni de multiplier les paroles.

Prier n’est donc pas « une activité » ni « un exercice ». C’est une disposition du cœur qui oriente toute notre vie. Prier dans la sobriété ne consiste pas forcément ni exclusivement à parler à Dieu, mais à être en présence de Dieu c'est-à-dire reconnaître au plus profond de soi que l’humain est humain et que Dieu est Dieu. C’est ce que montre la suite du modèle de prière que donne Jésus.

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