Prier le Père céleste : Matthieu 6,9bα

Père de nous, …

Il y a de multiples manières de comprendre le terme de Père.

Déjà l’Ancien Testament1 comparait la relation des membres du peuple (ou de leur roi) comme une relation de père et de fils.

Par ailleurs, une telle comparaison conduit à penser qu’un père est père que s’il est de genre masculin et s’il a au moins un enfant. Ici c’est un fils. Explorons cela... Dans l’orthodoxie chrétienne « il n’y a donc pas pour commencer une paternité humaine, et ensuite, par analogie, une prétendue, paternité divine. C'est le contraire qui est vrai. »2 Ainsi Dieu est Père parce qu'il a un Fils. Et c’est grâce à ce Fils que nous pouvons connaître Dieu3.

Pour autant, Dieu n’est pas seulement Père, il est notre Père. Ici encore il y a un piège. Car il n’est pas père en étant masculin avec une grosse voix rassurante ou effrayante (selon ce qu’a pu être notre père terrestre4), mais parce-qu'il est celui qui nous arrache à la condition terrestre à notre état charnel c'est-à-dire naturel ou encore existentiel. Il est le seul à pouvoir faire cela. Ainsi il n’est pas Père en étant créateur car alors il serait plutôt une Mère... ce qu’il est aussi d’ailleurs ! Mais la tradition, influencée par ce qu’on appelle aujourd’hui le patriarcat5, n’a retenu que le coté Père. Après 2600 ans de monothéisme dans lequel on a parlé de Dieu comme Père, et après 2000 ans de récitation d’une prière commençant par Notre Père, nous y sommes plus que culturellement habitué. Cependant, Dieu ne détesterait probablement pas que nous le priions en disant : « Notre Mère qui es aux cieux... ».

Cela ne veut pas dire qu'il faille abandonner le symbole du Père. Dieu est aussi notre Père parce qu'il nous a adoptés6. En effet, en soi, l’humain n’est qu’une créature7 et ce n’est qu'en lien avec l'Esprit de Dieu, un Esprit d’adoption filiale8, que nous pouvons l'appeler אַבָּא Abba9. Dans l’antiquité il était rare qu’une femme adopte des enfants. C’était plutôt « une affaire d’homme »10, et c’était rarement une affaire de compassion pour un orphelin. Il s’agissait d’assurer une descendance ou une continuité (comme Auguste qui fut adopté par Jules César) ou d’accepter les enfants d’une femme et qui n’étaient pas de lui (cf. Joseph qui adopte Jésus en ne répudiant pas Marie).


Notes

1-Deutéronome 14,1 ; 32,6 ; 2Samuel 7,14 ; Ésaïe 63,16 ; 64,7s ; Jérémie 3,4.19 ; 31.9 ; Osée 11,1s ; Malachie 1,6 ; 2,10 ; Psaume 89,27 ; 103,13.

2- Karl BARTH, Esquisse d’une dogmatique, Labor et Fides 1984, 19461, p.62

3- Matthieu 11,27 ; Jean 1,14.18 ; 12,45 ; 14.9 etc.

4- Un passage comme Hébreux 12,7-11 montre qu’il n’est pas souhaitable de coller l’image de notre père terrestre sur notre Père qui est au cieux. Car ce passage ne dit pas que Dieu est comme nos pères naturels…c’est plutôt le contraire ! Nos pères sont charnels alors que Dieu est un Père spirituel. Nos pères nous corrigent comme ils leur semble bon, Dieu nous corrige pour que nous soyons saint comme lui. Ce n’est pas la même correction. Ni le même mode de correction.

5- De nombreuses études historiques, archéologiques et textuelles permettent de comprendre que l’affirmation du monothéisme (cf. Ésaïe 40-55) a été accompagnée de l’affirmation du côté masculin de Dieu. Pour autant dans la Bible il y a des écritures intéressantes sur le côté maternel de Dieu. Elles ne sont pas légion, mais dans une culture très patriarcale elle sont remarquables : Ésaïe 42,13-14 ; 44,2.24 ; 46,3 ; 49,15 ; 66,12-13 ; Psaume 131,2 ; Osée 11,3-4. Il est intéressant aussi de comparer Deutéronome 32,6 avec 18 (TOB).
 Enfin en Jean 1,18 Dieu le Fils unique est « dans le sein du Père » [ὁ ὢν εἰς τὸν κόλπον τοῦ πατρὸς]. Le Père a donc un ventre pour accoucher du Fils ! c'est-à-dire qu’il a les attributs d’une Mère.

6- Galates 4,5  ; Romains 8,15.23  ; Ephésiens 1,5

7- Hébreux 12,7 dit de Dieu qu’il s’occupe de nous comme des fils, c'est-à-dire comme si nous étions des fils, ce que nous ne sommes pas. Sinon il aurait dit comme ses fils. Ce que dit le passage c’est que Dieu est le Père des esprits, ce que les humains ne sont pas. Nous devenons des Fils parce que Dieu s’occupe de nous et qu’il nous donne l’Esprit.

8- Romains 8,15-16

9- Marc 14,36  ; Galates 4,6  ; Romains 8,15

10- Philippe MOREAU, « L’adoption, une affaire d’hommes », L’Histoire, N°32, 2006

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