Nous arrivons à la cinquième partie du deuxième livre de Luc que constituent les Actes. Après la conversion de Saul, Luc remet les projecteurs sur Pierre. Le chevauchement des récits sur les deux personnages, sert à montrer que tous deux prêchent le même évangile avec la même énergie.
Actes 9,32
Pierre en Actes bouge beaucoup : il est
- l'envoyé des « apôtres qui sont à Jérusalem » (Actes 8,14 voir aussi 2,42 ; 6,2 ; 9,27)
- l'envoyé « de l'église qui est à Jérusalem » (Actes 11,22)
- l'envoyé « de l'église, des apôtres et des anciens » (Actes 15,4)
La guérison d'Enée et la résurrection de Tabitha (Actes 9,32-43)
Ces deux passages évoquent le ministère de Jésus :
- La guérison d'Enée rappelle Luc 5,24-26 quand Jésus guérit un paralytique.
- La résurrection de Tabitha rappelle Luc 8,49-56 quand Jésus ressuscite1 la fille de Jaïre.
En racontant ces deux évènements, Luc veut montrer2 que l’Église continue l'œuvre de Jésus (cf. Actes 1,1 tout ce que Jésus a commencé de faire...) et qu'elle a comme lui le pouvoir sur la maladie et la mort. Seulement ce pouvoir ne lui est pas donné dans le seul but de faire de bonnes œuvres, mais pour que ces bonnes œuvres puissent accréditer la nouvelle foi en Jésus (9,42).
La conversion de Corneille (Actes 10,1 à 11,18)
De nouveau Luc répète deux fois la même histoire (comme pour la conversion de Saul) en Actes 10 d'abord, en Actes 11 ensuite : une fois il raconte à la troisième personne, l'autre fois il la fait raconter à Pierre à la première personne. Pour Luc cet événement est capital car il signe l'entrée des Gentils dans la communauté. Ce texte évoque deux problèmes de l’Église primitive (Actes 11,1-3) :
- Les Gentils sont-ils liés à l'observance des règles juives notamment à propos de la nourriture3 ?
- Les Gentils qui se convertissent doivent-ils être circoncis pour être sauvés ?
Etienne avait commencé à montrer que le temple n'était pas le seul lieu où adorer Dieu. Mais ce point ne fait pas controverse en Luc-Actes, car au moment ou Luc écrit et où ses lecteurs le lisent, le temple n'existe plus, il a été détruit par l'armée romaine. Mais les deux points soulevés ici par Luc poseront problème pendant d'autant plus longtemps qu'après la destruction du temple, les Juifs vont réfléchir à leur culte et centrer leur singularité sur trois piliers essentiels :
- la circoncision
- l'observance du Sabbat
- la casherout alimentaire (nourriture qui convient ou nourriture casher).
Luc a déjà traité le problème du Sabbat dans son premier livre4. En Actes il va montrer comment furent traités les deux autres problèmes par l’Église entre Actes 10 et Actes 15 (rencontre de Jérusalem) et il y reviendra encore en Actes 21 (rencontre de Paul et Jacques).
Pierre habite chez un disciple, corroyeur5 de son métier. Pour les Juifs, les tanneurs étaient impurs car ils travaillaient avec des animaux morts (cf. Lévitique 11). La grande toile que voit Pierre (Actes 10,11) est peut-être liée aux peaux qui séchaient sur le toit de Simon. Donc pendant que quelqu'un d'impur lui prépare un repas impur, il a une vision de nourriture impure qu'il refuse de manger (10,14-16). Et il reste perplexe quant au sens de cette vision (10,17.19)6. Entre Jacques le traditionaliste et Paul qui se fait tout à tous, Pierre est l'homme de la transition.
L'Esprit pousse Pierre à suivre les émissaires de Corneille. Quant à Corneille, ce n'est pas l'Esprit qui lui parle, mais un ange. L'Esprit lui tombera dessus seulement en 10,44 et nous verrons ce que cela veut dire précisément.
La petite Pentecôte : Actes 10,44-48 et Actes 11,15-17
On appelle parfois ce passage ainsi car on a ici le début de l’Église des Gentils, avec des manifestations de l'Esprit, comme lors de la Pentecôte à Jérusalem. C'est d’ailleurs l'interprétation de Pierre lui-même en Actes 11,15-16 Lorsque je me suis mis à parler, l'Esprit saint est tombé sur eux comme il était tombé sur nous au commencement. 16 Alors je me suis souvenu de cette parole du Seigneur, qui disait : Jean a baptisé d'eau, mais vous, vous recevrez le baptême dans l'Esprit saint (NBS).
Pierre fait le lien direct avec la Pentecôte de l'an 30, car entre la « grande Pentecôte » et la « petite », il n'y pas eu d'autre baptême du Saint-Esprit. L'expression « baptême du Saint-Esprit » elle même n'est utilisée par Luc que trois fois :
- Luc 3,16 [Jean-Baptiste] leur répondit à tous: Moi, je vous baptise d'eau, mais il vient, celui qui est plus puissant que moi, et je ne mérite pas de délier la courroie de ses sandales. Lui, il vous baptisera d'Esprit Saint et de feu.
- Actes 1,5 car Jean a baptisé d'eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés d'Esprit Saint.
- Actes 11,16 Alors je me souvins de cette parole du Seigneur: Jean a baptisé d'eau, mais vous, vous serez baptisés d'Esprit Saint.
Un tel événement ne se reproduira jamais dans la suite du récit alors que des baptêmes il y en aura beaucoup. La conversion de Corneille7 est donc une exception. L'Esprit est « tombé » (différent de reçu) sur Corneille avant son baptême pour qu'il soit évident pour Pierre et les autres disciples à Jérusalem, que Dieu voulait que les Gentils entrent dans son royaume. Mais le baptême est bien le moment de la réception de l'Esprit-Saint (cf Annexe 1).
Pierre considère qu'il ne peut pas refuser de baptiser Corneille et ses compagnons, car il a maintenant la preuve que Dieu veut leur baptême : Luc insiste sur le fait que c'est Dieu qui a conduit ces deux hommes à se rencontrer, il parle 5 fois de « visions », 8 fois de l'Esprit. Pierre aurait refusé le baptême au nom de Jésus-Christ à ces gens si la « petite » effusion de l'Esprit n'avait pas eu lieu ! En Actes 11,17 Pierre considère que refuser le baptême à ces gens aurait été synonyme de s'opposer à Dieu. En Actes 10,48 il ordonna, ce qui montre qu'il use de son autorité pour quelque chose qui ne va pas de soit. Par contre il ne circoncit pas Corneille ! Ce problème sera résolu en Actes 15.
Pour méditer :
- Qu'est-ce qu'on apprend sur l'activité de Pierre en Actes 9,32 ? Si j'en suis capable, et surtout si je suis un dirigeant dans mon église, est-ce mon attitude ?
- A quoi servaient les guérisons ? Quand j'entend parler de guérisons miraculeuse, pourquoi est-il important de pourvoir vérifier que ce sont de vraies guérisons ? Y a-t-il aussi des résurrections !?
- Qu'est-ce qu'indique le changement de façon de penser de Pierre sur l'Eglise ? Y a-t-il aussi des choses que je refuse pour l'Eglise ?
- Ai-je été baptisé ? Comment ? A postériori ou au moment de ma conversion ?
Notes
(1) Il faut différencier les résurrections dans la Bible et la résurrection de Jésus. A partir d'Elie et Elisée (1Rois 17,17-24, 2Rois 4,32-37), il y a des résurrections. Jésus ressuscite Lazare, le fils de la veuve de Naïn, la fille de Jaïre, Pierre ressuscite Tabitha, Paul ressuscite Eutychus. Mais il s'agit plus de « réanimations miraculeuses », par l'intermédiaire de quelqu'un. Jésus ressuscite seul (grâce au Père), et pour la vie éternelle ; c'est une anticipation de ce qui se passera au dernier jour.
(2) Ce texte est très riche et nous nous concentrons sur le principal dans le cadre général des Actes, mais la description de Dorcas et de sa vertu est significative, ainsi que le fait que malgré cette vertu, elle tombe malade et meurt... Il y aurait beaucoup à dire !
(3) En Marc 7,14-23 Marc explique que Jésus a purifié (ou autre traduction déclaré pur) tous les aliments. Actes 10,16 dit « ce que Dieu a purifié... ». Peut-être en référence à ce passage de Marc. Contrairement à Marc (et Matthieu) Luc n'a pas traité ce problème dans son évangile, mais dans les Actes. Par contre, dans aucun évangile n'est traité le problème de la circoncision.
(4) - Luc 6,1-5 les épis arrachés
- Luc 13,10-17 Jésus guérit une femme infirme le jour du Sabbat
- Luc 14,1.6 Jésus guérit un hydropique le jour du Sabbat
(5) Un corroyeur assouplit les peaux après le tannage. Littéralement c'est quelqu'un qui fabrique des courroies ou des bandes de cuir.
(6) Luc traite ce problème en Actes alors que Matthieu à la suite de Marc ont traité ce problème dans l'évangile : Jésus déclarait purs tous les aliments (Marc 7,19, Matthieu 15,20).
(7) La personnalité de Corneille n'est qu'un élément de second plan. Car il est la personnalisation de l'ouverture. Pourtant il faut noter qu'il était a) centurion b) un craignant-Dieu c) un homme de cœur d) un homme de prière.