Suis-je le gardien de mon frère ?

En Genèse 4, après avoir tué Abel, Caïn fait face à Dieu qui lui demande : Où est ton frère ?
La réponse de Caïn est frappante : Suis-je le gardien de mon frère ?

Le texte est construit de telle manière que le lecteur qui se met à la place de Caïn veut répondre « oui ». Car c'est effectivement ce que Dieu nous demande. Et dans ce texte qui fait référence aux débuts de l'humanité, il ne s'agit pas de frères dans la foi, mais bel et bien de frères en humanité.

Pour s'en convaincre, écoutons le sermon sur la montagne :

Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les non-Juifs eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? Vous serez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait (Matthieu 5,47).

Il semble que la perfection (grec τέλειος – teleios c'est à dire l'épanouissement, l'accomplissement, l'achèvement) passe par aimer nos frères en humanité, pas juste notre communauté. C'est ce que Jésus prêchait. C'est aussi ce qu'il faisait. Ιl mangeait avec des collecteurs d’impôts et des pécheurs (Luc 5,27-32), il avait parmi ceux qui le suivait des femmes (Luc 8,1-3), certaines étant impures de surcroit. Et même il osa passer du temps avec une samaritaine (Jean 4). Il a ressuscité le fils de la veuve de Naïn, sans lui demander si elle était une bonne juive (Luc 7). Et il a guérit, involontairement, mais en la félicitant pour sa foi, la femme atteinte d'une perte de sang, ce qui pour un juif était synonyme d'impureté contagieuse (Luc 8,43-48). Bref, Jésus n'avait pas peur d'être le gardien de ses frères en humanité. Notamment les plus faibles :

Ce ne sont pas ceux qui sont en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades (Luc 5,31).

Et il nous exhorte à faire de même (Matthieu 25,31-46).

Mais alors que ferons nous alors de l'exhortation de Paul en 2Corinthiens 6,14-16 :

Quelle part, pour le croyant, avec le non-croyant ?

Paul nous met en garde : il s'agit de ne pas compromettre notre notre morale, notre doctrine ou notre spiritualité. Mais aimer, ce n'est pas se compromettre, au contraire. La ségrégation sous prétexte de non compromission serait déjà une compromission. Comme la pluie tombe sur les bons et les mauvais, notre amour peut se répandre aussi sur nos frères en humanité1. Paul lui même le dit en 1Thessaloniciens 5,15

poursuivez toujours le bien, les uns envers les autres comme envers tous.

Et Pierre aussi en fidèle disciple (mais ayant eu besoin d'une vision quand même pour comprendre) dit :

Dieu m'a montré qu'il ne fallait dire d'aucun homme qu'il est souillé ou impur
(Actes 10,28 – sous entendu, par des pratiques non juives).

Mais alors, quelles sont les limites ? Doit on devenir le meilleur ami de tous ceux qu'on croise dans la rue ? Devons nous inviter à la maison tous ceux qu'on rencontre ? Bien évidement cela n'est ni possible, ni sage2. « Ce n'est pas un ami que l'ami de tout le monde » disait Aristote3. Mais il y a... nos voisins, les associations dont nous faisons (devrions faire ?) partie, les collègues de travail, les parents d'élèves, les clubs sportifs... et tous les endroits où nous allons pour vivre notre vie. Chaque personne que nous rencontrons, est notre frère en humanité.

Pourquoi les chrétiens sont-ils les gardiens des autres ? Parce qu'en aimant, ils peuvent transmettre l'amour de Dieu et la foi en lui. Est-ce possible ? Humainement non. C'est pourquoi en tant que croyant, nous avons besoin de Dieu, pour avoir la force de faire briller un amour sincère, à l'image de celui Dieu, pour nos frères en humanité.

Questions pour méditer :

- Suis-je assez fort pour sortir de ma communauté et faire briller mon amour ?
- Comment Dieu veut-il que je sois dans le monde ? Comme les autres ? Sans les autres ? ou avec les autres mais différent par mon amour, ma joie, ma paix, ma patience, ma bonté, ma fidélité, ma douceur... ?


Notes

Citation du livre de F. Lagard Smith, Who is my brother, facing a crisis of identity and fellowship, Costwold Publishing, Malibu (CA), 1997, p86

Je me souviens d'une chrétienne qui avait offert ses chaussures à une femme de la rue alors qu'elle se rendait à un rendez-vous d'embauche. Malheureusement cela n'a pas été bien interprété par le recruteur.

Aristote, Éthique à Nicomaque, IX, 10, 1171 a 15-20

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