Pourquoi Jésus se fait-il baptiser ?
Question :
Pourquoi Jésus va-t-il se faire baptiser alors qu'il est sans péché ?
Raphaël
Matthieu 3,13-17
Alors Jésus arrive de Galilée au Jourdain, vers Jean, pour recevoir de lui le baptême. Mais Jean s'y opposait en disant : C'est moi qui ai besoin de recevoir de toi le baptême, et c'est toi qui viens à moi ! Jésus lui répondit : Laisse faire maintenant, car il convient qu'ainsi nous accomplissions toute justice. Alors il le laissa faire. Aussitôt baptisé, Jésus remonta de l'eau. Alors les cieux s'ouvrirent pour lui, il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et une voix retentit des cieux : Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; c'est en lui que j'ai pris plaisir.
Éléments de réponse :
Jésus arrive vers Jean-Baptiste en humble candidat au baptême de Jean alors que Jean vient de décrire aux v11-12 un juge redoutable-puissant-fort1 tenant en main une hache et un van2 dont il serait indigne de délier la sandale.
Est-ce un malentendu ? Jean s'est-il trompé ? A-t-il été déçu ?
Plusieurs indices dans le texte peuvent nous éclairer.
D'abord le verbe du v14 « il s'opposait » est à l'imparfait de l'indicatif actif ce qui en grec implique une notion de durée : au départ, Jean-Baptiste ne voulait absolument pas baptiser Jésus. Mais Jean-Baptiste se considère toujours indigne. Alors Jésus lui dit « laisse faire » et le verset termine en disant que Jean-Baptiste « le laisse faire » : Jean-Baptiste semble lui aussi ne pas comprendre mais il obéit.
Ensuite Jésus nous explique qu'il ne se fait pas baptiser pour la repentance, mais pour la justice. De quelle justice s'agit-il ?
La réponse de Jésus qui est à la première personne du pluriel (nous) montre que la justice dont il est question n'est définie ni par Jésus (baptisé) ni par Jean (baptiseur), mais par Dieu. Donc la justice dont il est question ici n'a rien à voir avec le droit ni avec la morale mais avec la volonté de Dieu. Accomplir la justice, c'est accomplir la volonté de Dieu. Non pas obéir à une loi ou à une morale, mais à un mouvement, un dessein, un plan, que Dieu a fixés, que Jésus connaît et que Jean-Baptiste accepte3.
Jésus est allé voir Jean-Baptiste parce qu'il baptisait. Jean-Baptiste était qualifié de prophète parce qu'il s'était mis à baptiser, ce qui entrait dans le plan de Dieu. Le baptême de Jésus est donc aussi un acte subversif qui remet en cause l'autorité des religieux de Jérusalem.
Dire que la justice c'est obéir à un plan de Dieu ne répond pas complètement à la question de définir ce qu'est cette justice qui passe par le baptême. En réalité, en venant vers Jean-Baptiste (et non l'inverse) pour être baptisé par lui dans les mêmes eaux que ces pécheurs repentant qui confessaient leurs péchés, Jésus veut participer à la détresse spirituelle de son peuple et de l'humanité : dès le début Jésus est dans la compassion, la solidarité, l'abaissement, l'humilité. Rien à voir avec un libérateur puissant tels que le peuple (et probablement Jean-Baptiste lui-même) l'attendait.
Et cet abaissement révèle son identité : il est Fils de Dieu. Dieu le révèle en envoyant l'Esprit sur lui. Il ne s'agit pas ici d'un extase ou d'une émotion. Il s'agit d'un message de Dieu qui révèle qui est son Fils : celui qui s'abaisse et que Dieu élève. Jésus appellera ensuite à imiter cela dans les béatitudes (Matthieu 5) : Est fils de Dieu celui qui imite le Fils de Dieu en s'abaissant et en n'attendant une élévation que de la part de Dieu.
Notes
1 ἰσξυπότερος isxupoteros
2 Instrument ressemblant à une fourche et qui permet de séparer le grain de blé de la paille en jouant sur la différence de densité du grain et de la paille. Sur un tas de blé coupé, avec le van, on lance les gerbes en l'air ; le grain tombe alors que la paille s'envole et part avec le vent.
3 Il est probable que l'évangéliste Matthieu, comme l'évangéliste Jean mentionnent le lien entre Jésus et Jean-Baptiste afin de montrer aux disciples de Jean-Baptiste, toujours existants dans le quatrième quart du premier siècle, que Jean-Baptiste a accepté le plan de Jésus bien qu'il ne l'ai pas toujours bien compris.
A mon avis Matthieu 3,12 parle du jugement: “il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas“. Matthieu s’adresse à des juifs. Or, les prophètes parlent souvent du jour du Seigneur et du jugement. Malachie se termine sur l’annonce du jugement (Malachie 3,19) “Tous les hommes qui font le mal seront comme la paille: le jour qui vient les embrasera, dit l’éternel le maitre de l’univers“. Ainsi, la venue du Seigneur se fera avec le jugement. Matthieu 3,12 associe donc Jésus à Dieu puisque Jean annonce le jour de la venue du Seigneur.
Ensuite, Esaie 11,2 et Esaie 61,1 indique que le Messie recevra l’Esprit de Dieu. Il sera oint. C’est pourquoi, je pense que Jésus dit en Matthieu 3,15: “il est convenable que nous accomplissions ainsi tout ce qui est juste”. C’est pour accomplir les prophéties de l’AT qui attestent pour les juifs que Jésus est Dieu.
Voilà pour mes commentaires.
Ce commentaire est tout à fait juste. Mais il n’empêche pas de voir en Jésus quelqu’un qui, tout en accomplissant les prophéties, en sublime le sens (amène une nouvelle signification des prophéties). En effet Jésus est le sommet ultime de la révélation de Dieu. Comprendre Jésus est effectivement impossible sans l’AT. Mais l’inverse est vrai aussi : l’AT n’est pas compréhensible sans Jésus et en particulier sans la Croix. Ainsi il semble bien que Jean Baptiste ait tout à la fois tort et raison en même temps. La justice sera bien accomplie par le messie, le jugement aura bien lieu, le jour du Seigneur va bel et bien advenir, mais peut-être pas à la manière à laquelle les prophètes pensaient.
Jésus vient révéler un jugement qui n’a rien de moral ni de religieux et encore moins politique. Il vient révéler une justice qui passe par la connaissance de Dieu, et par conséquent par la révélation de Dieu par et en Jésus-Christ qui permet de le faire connaître pleinement (pleinement au sens des limites humaines : Jésus vient nous révéler tout ce que les humains peuvent et ont besoin de comprendre sur Dieu).
Le jugement passe bien (comme tu l’as dit toi même lors de notre culte par Skype pour cause de confinement le 22/03/2020) comme en Matthieu 7,21-23 par la connaissance de Dieu qui est la vraie et ultime justice. Et c’est une justice radicale qui n’a rien de morale, même si elle conduit à une certaine morale et à des actions concrètes.