Pourquoi Dieu est-il si sévère
avec Ouzza en 2Samuel 6 ?
Question :
En lisant 2Samuel 6 et l’histoire de Ouzza qui touche le coffre et meurt instantanément, je me demandais comment tu comprends cela. J’ai bien aimé ta vision des horreurs soi-disant perpétrées par Dieu dans l’ancien testament et comment tu les regardes à la lumière du nouveau testament. Comment réconcilier ce passage donc avec un Dieu bon et compatissant ?
Franck
2Samuel
1David rassembla encore toute l’élite d’Israël, au nombre de trente mille hommes ; 2David, et tout le peuple qui était avec lui, partit de Baalé-Juda pour en faire monter le coffre de Dieu sur lequel est invoqué le Nom, le nom du Seigneur (YHWH) des Armées, qui est assis sur les keroubim, au-dessus du Coffre. 3Ils chargèrent le coffre de Dieu sur un chariot neuf et l’emportèrent de la maison d’Abinadab qui est sur la colline ; Ouzza et Ahio, fils d’Abinadab, conduisaient le chariot neuf. 4Ils l’emportèrent donc de la maison d’Abinadab qui est sur la colline, avec le coffre de Dieu ; Ahio allait devant le Coffre. 5David et toute la maison d’Israël jouaient devant le Seigneur sur toutes sortes d’instruments en bois de cyprès, sur des lyres, des luths, des tambourins, des sistres et des cymbales.
6Lorsqu’ils arrivèrent à l’aire de Nakôn, Ouzza étendit la main vers le coffre de Dieu et le saisit, parce que les bœufs avaient glissé. 7Le Seigneur se mit en colère contre Ouzza, et Dieu l’abattit là, à cause de cette insolence. Ouzza mourut là, près du coffre de Dieu. 8David se fâcha parce que le Seigneur avait ouvert une brèche en Ouzza ; c’est pourquoi on appelle ce lieu Pérets-Ouzza (« Brèche d’Ouzza »), jusqu’à ce jour. 9En ce jour-là, David fut saisi par la crainte du Seigneur ; il dit : Comment le coffre du Seigneur pourrait-il entrer chez moi ? 10Il ne voulut pas prendre le coffre du Seigneur chez lui, dans la Ville de David, et il le fit conduire dans la maison d’Obed-Edom, le Gatite. 11Le coffre du Seigneur resta trois mois dans la maison d’Obed-Edom, le Gatite, et le Seigneur bénit Obed-Edom et toute sa maison.
12On dit au roi David : Le Seigneur a béni la maison d’Obed-Edom et tout ce qui lui appartient, à cause du coffre de Dieu. Alors David se mit en route et, dans la joie, il fit monter le coffre de Dieu depuis la maison d’Obed-Edom jusqu’à la Ville de David. 13Quand ceux qui portaient le coffre du Seigneur eurent fait six pas, il sacrifia un taureau et une bête grasse. 14David dansait de toute sa force devant le Seigneur ; David portait un éphod de lin comme un pagne. 15David et toute la maison d’Israël firent monter le coffre du Seigneur avec des acclamations et au son de la trompe.
Éléments de réponse :
D’un point de vue littéraire il s’agit d’une narration qui met en scène David tout juste victorieux des philistins après avoir été fait roi pour la troisième fois1.
Il est difficile de déterminer à qui s’adressait le récit sur la monarchie depuis 1Samuel jusqu’à 2Rois (qui constituent un seul récit en 4 livres intitulés 1 à 4 Rois dans la LXX). La narration globale telle que nous la connaissons est une composition probablement réalisée à la fin de l'exil, pour se rappeler et tirer les conséquences de ce qui s’est passé avant la catastrophe nationale de la déportation. Ce que les exégètes appellent le « récit de l’Arche » (1Samuel 4,1 à 7,2 + 2Samuel 6) était vraisemblablement une histoire indépendante que les éditeurs des 4 livres des Rois ont (plus ou moins partiellement) inclus dans leur narration avec beaucoup d’autres matériaux littéraires. Le message global des 4 livres des rois (1&2Samuel + 1&2Rois) c’est que la nation doit être dirigée par Dieu et non par des hommes, fussent-ils rois. Si des hommes prennent la tête du pays, ils doivent être spirituels, et le pouvoir religieux doit être indépendant et lui-même divisé entre prophétie et prêtrise.
Lorsqu’on étudie le texte dans un but spirituel, la datation du texte (qui doit être multiple entre la rédaction du récit indépendant et son insertion dans le récit global) n’a que peu d’importance. La datation des évènements eux-mêmes non plus ne revêt pas un caractère primordial. Ce qui compte c’est le message transmis par le récit.
Le narrateur commence par installer la scène :
- le lieu : Baalé-Judas2 et la maison d’Abinadab qui est sur une colline, ce qui doit avoir son importance puisque cela est mentionné deux fois de suite.
- l’outil : un chariot neuf (comme en 1Samuel 6,7)
- les protagonistes : 30.000 hommes d’élite, les conducteurs du chariot : Ouzia derrière et Ahio devant (qui curieusement ne sont pas des lévites)
- le roi David qui « s’éclate » avec ses instruments de musique. La TOB traduit « David … s’ébattait » et explique en note que ce verbe évoque la liesse et un certain dérèglement.
Puis arrive l’évènement : Les bœufs glissent3 (on est sur une colline), le coffre menace de tomber, et Ouzza, qui guide l’attelage par derrière essaie de le retenir. Selon le narrateur, le geste d’Ouzza (qui n’est pas lévite et n’est pas autorisé à porter l’Arche — cf. 1Samuel 6,15 et 1Chronique 15,2) est une insolence envers Dieu ce qui justifie qu’il s’enflamme de colère et le tue sur place. La manière dont Ouzza meurt n’est pas physiquement expliquée (le texte parle d’ouvrir une brèche ce qui peut aussi se traduire faire voler en éclat - cela évoque un corps bien abîmé !), mais l’origine de la mort est imputée à Dieu et justifiée par un geste interdit4.
La suite raconte la réaction de David face à cette injustice. D’abord, il se fâche (la BFC ou la TOB adoucissent en utilisant le verbe être bouleversé ; de même la S21 qui utilise le verbe être troublé ; la LXX utilise un verbe qui veut dire être furieux). Mais on ne sait pas trop contre qui (mais le plus probable est qu'il se fâche contre Dieu), ensuite il a peur de la puissance du coffre qui semble incontrôlable, et enfin il refuse de prendre le coffre qu’il était pourtant allé chercher lui-même en très grand pompe pour l’amener dans sa nouvelle capitale (v10 + 2Samuel 5,7).
Heureusement, il n’arrive à pas à Obed-Edom, chargé de récupérer le coffre chez lui, tout ce qui est arrivé aux précédents gardiens du coffre (cf. 1Samuel 4 à 6). Au contraire, la présence du coffre est une bénédiction pour lui et sa maison. Il semble que cela adoucisse David qui finit de faire monter le coffre à Jérusalem en continuant les cérémonies qu’il avait entamées. Ici il n’est pas mentionné qu’on n'a pas fait la même erreur de mettre un profane à la manœuvre, mais en 1Chronique 15,2 il est expliqué que ce sont les lévites qui effectuèrent l’opération.
Pourquoi raconter une telle histoire dans le cours du règne de David ? Il est possible de répondre de plusieurs manière à cette question. On peut y répondre de manière historique en replaçant ce récit dans le contexte politique de sa rédaction initiale (au temps d’Ezekias pour renforcer l’autorité de Jérusalem sur les autres lieux de culte ?) ou dans le contexte politique de son insertion dans le récit sur la monarchie (au retour d’exil on veut montrer que Dieu est celui qui décide et non le roi ?). Cela est possible mais reste conjectural et n’a pas un grand intérêt spirituel.
Si on veut tenter de répondre d’un point de vue spirituel la question est la suivante : quelle théologie, c'est-à-dire quelle vision de Dieu, est véhiculée par ce récit ? Celle d’un Dieu incontrôlable, un peu capricieux, qui frappe certains pour leur négligence religieuse mais pas systématiquement (le péché religieux d’Ouzza est-il pire que la violation de David en 1Samuel 21,2-7 qui au demeurant n’est pas décrite comme choquante - et qui d’ailleurs en Matthieu 12 ne choque pas Jésus).
Il est probable que l’histoire d’Ouzza soit l’interprétation5 d’un fait historique (qui a pu se passer au temps de David ou après6, mais peu importe au fond). Lors du transport du coffre sacré, il a glissé. Étant donné le poids de celui-ci, si quelqu’un se trouvait dessous, il est fort probable que cela « ouvre une brèche en lui », c’est à dire l’écrase mortellement et potentiellement sur le coup. Un scribe aura voulu conter cette histoire et aura interprété que c’est Dieu qui a fait cela, parce que cela correspondait à sa vision de Dieu, un Dieu qui agit de manière impulsive et partiale. Un homme qui se fait écraser par le coffre sacré, qui a pu décider cela ? Forcément la divinité associée à ce coffre, c’est la réponse la plus rapidement évidente surtout dans le contexte du Proche Orient Ancien.
Mais si l’on se dit que Jésus est le Fils de Dieu qui révèle le Père (Jean 14,9) et que personne n’a jamais vu le Père (Jean 1,18 ; 6,46) on comprend que 2Samuel 6 est une vision de Dieu que la contemplation de Jésus corrige. Qui a écrasé Ouzza et pourquoi ? Évènement réel ou non, Jésus aurait répondu ce qu’il répond aux quelques personnes venus l’interroger sur des Galiléens massacrés par Pilate ou des judéens écrasés par la tour de Siloam à Jérusalem alors qu’ils passaient dessous : si cela leur est arrivé, ce n’est pas parce qu’ils le méritaient plus que les survivants, et ce n’est pas la faute de Dieu, c’est la faute à pas de chance (la réponse cependant ne renvoie pas dans le vide, mais à la fragilité de la vie, dont le but premier est de se repentir avant qu’elle ne se termine, mais cela est un autre sujet — Luc 13,1-5).
La seule solution pour réintroduire de la cohérence dans l’image de Dieu véhiculée par un tel récit c’est de le mettre en perspective avec l’image parfaite de Dieu que Jésus nous offre. Quelle est-elle ? Celle d’un Dieu qui aime, celle d’un Dieu qui préfère se sacrifier lui-même plutôt que de recevoir des sacrifices, celle d’un Dieu patient pour lequel la règle religieuse n’est pas ce qui importe (Matthieu 23,23 ; Romains 10,1-4).
Loué soit Jésus qui nous permet de renoncer à cette image d’un Dieu capable de terrifier même le roi David qui était pourtant le premier à célébrer sa hesed (חֶ֣סֶד)7 et dont le récit montre même qu’il avait une vision différente des autres hommes de son temps : il se fâche lors de la mort d’Ouzza. En mentionnant que David s'est fâché, l’auteur du texte nous fait bien sentir que cet évènement, et surtout son interprétation, ne correspondent pas à la vision que David avait de Dieu. Il était lui-même probablement plus proche de Jésus que ne l'étaient ceux qui ont raconté son histoire.
Notes :
1 Une fois par Samuel en opposition à Saül, une fois sur Judas, et cette fois-ci sur Israël.
2 Ce n’est pas le lieu où 1Samuel 7,2 dit qu’il avait été laissé à moins qu’on puisse identifier Qiriath-Yearim et Baalé-Judas comme un seul et même lieu (cf. note de la NBS sur 2Samuel 6,2) puisque l’Arche est toujours dans la maison d’Abinadab. Cf. 1Chroniques 13,6.
3 Le terme hébreu n’est pas certain, mais dans tous les cas il décrit un accident de parcours.
4 D’une manière générale pour les auteurs bibliques, le contact avec Dieu comporte un grand danger - un simple regard sur le coffre peut tuer : cf. 1Samuel 6,19.
5 Il faut toujours se rappeler que les narrations antiques ne cherchent absolument pas l’objectivité. Elles cherchent au contraire à interpréter les évènements pour en révéler le sens.
6 La coutume qui consiste à faire voyager les objets de culte du vaincu jusque dans les sanctuaires du vainqueur est bien attestée au temps des assyriens ce qui placerait cet incident de la chute du coffre sacré plutôt à la fin du 8e siècle av. J.C. et non au 10e.
7 Grâce, miséricorde, bienveillance, bonté, amour, attachement, faveur, affection, piété, compassion — par exemple : 2Samuel 9,1-3