Tout ce que les croyants font réussit-il ?
Question :
Dans le Psaume 1 on dit pour l’homme qui est ancré en Dieu, que tout ce qu’il fait réussit ou prospère. Comment devons-nous entendre cela ?
Pour moi, je le mets en lien direct avec Romains 8,28. Ce n’est pas au sens littéral de réussite, mais que la fin sera toujours favorable à lui ou à quelqu’un. Marchant dans la vérité, le chemin de Jésus est toujours le bon, et aussi fait référence à la victoire sur la mort. As-tu la même compréhension, ou me manquent-ils des éléments ? Notamment des mots utilisés en Hébreu
Quelqu’un m’a fait remarquer que nous chantons ce verset dans le chant « chantez votre joie au Seigneur » et cela gêne cette personne de dire « tout ce qu’il fait réussit ».
C’est un passage qui me tient à cœur. En effet il m’a donné la foi pour tout abandonner pour Jésus quand j’avais 20 ans.
merci de ta lumière,
Franck
Psaume 1
1Heureux l’homme
qui ne suit pas les projets des méchants,
qui ne s’arrête pas sur le chemin des pécheurs,
et qui ne s’assied pas parmi les insolents,
2mais qui trouve son plaisir dans la loi du Seigneur,
et qui redit sa loi jour et nuit !
3Il est comme un arbre
planté près des canaux d’irrigation,
qui donne son fruit en son temps,
et dont le feuillage ne se flétrit pas :
tout ce qu’il fait lui réussit.
4Il n’en est pas ainsi des méchants :
ils sont comme la paille que le vent emporte.
5C’est pourquoi les méchants ne se tiendront pas debout au jugement,
ni les pécheurs dans la communauté des justes.
6Car le Seigneur connaît la voie des justes,
mais la voie des méchants se perd.
Éléments de réponse :
L’interprétation des Psaumes est un peu particulière parce qu’il s’agit d’un genre littéraire poétique, et que chaque Psaume doit d’abord être interpréter pour lui même avant d’être remis dans le cadre global du méta-narratif biblique.
Le verset en question ne peut pas être pris isolément du reste du Psaume, même s’il semble en être en quelque sorte la thèse principale : si tu veux réussir, ne suis pas le chemin des méchants, mais cherche ton chemin dans la Torah du Seigneur.
Heureux l’homme ou béni soit l’homme qui…
Nous sommes dans le cadre d’une béatitude, c’est à dire une sorte de vérité contre-intuitive. Car il est plus facile de se laisser aller à la facilité du chemin des pécheurs qu’à celui de l’étude de la Torah, mais c’est cette dernière attitude qui rend heureux.
Le Psaume 73 montre que les résultats en terme de prospérité est plus rapide pour les méchants :
j'étais jaloux de ceux qui font les fiers, en voyant la prospérité des méchants
Les méchants sont prospères, mais sont-ils heureux ? Pour le psalmiste, l’homme heureux est celui qui trouve son plaisir dans la Torah du Seigneur. Il est comme un arbre qui n’a pas soif. Mais quoi de plus banal qu’un arbre au bord d’un cours d’eau ? Cela n’a rien d’impressionnant. Pourtant c’est ainsi que les arbres sont heureux. Les hommes qui boivent à la Torah sont de même : ils n’impressionnent pas la galerie au premier abord, mais ils sont heureux, ou bénis.
tout ce qu’il fait lui réussit
On pourrait traduire différemment :
Et tout ce qu’il fera sera rendu prospère
ou :
Et tout ce qu’il fera trouvera une issue favorable
ou encore :
Et il fera réussir tout ce qu’il fera
Qu’est ce que cela veut dire ? L’homme qui médite la Torah sera-t-il plus riche que les autres ? Vivra-t-il en meilleur santé ? Vivra-t-il plus longtemps ? Doit on adopter une « théologie de la prospérité » telle que certains chrétiens évangéliques la prêchent en particulier en Amérique du Sud ou aux Etats-Unis ?
Pour comprendre ce que le psalmiste veut dire par là il faut mettre en opposition cette réussite de l’homme fidèle à la Torah vis à vis du sort des méchants qui est décrit dans la fin du Psaume.
Selon le psalmiste, le problème des méchants est lié au jugement. De quoi s’agit-il ? Difficile de le dire vraiment : il peut s’agir d’un jugement d’ordre prophétique qui interrompt l’activité du méchant, il peut aussi s’agir du jugement dernier, mais quel que soit le moment de ce jugement, c’est celui de Dieu qui connaît la voie des justes.
Il faut noter que les verbes suivre, s’arrêter, s’asseoir du v1 pourraient être traduits au passé, car il n’existe pas de véritable temps de conjugaison en hébreu, seulement l’inaccompli souvent traduit par un futur, et l’accompli souvent traduit par un passé, comme ici, ce qui donnerai :
1Heureux l’homme
qui n’a pas suivi les projets des méchants,
qui ne s’est pas arrêté sur le chemin des pécheurs,
et qui ne s’est pas assis parmi les insolents,
Cela ramène à ce que l’homme a accompli au cours de sa vie. Ainsi la voie des justes est celle de toute une vie. Et elle est liée à la relation entretenue avec Dieu.
Il faut aussi noter la comparaison des méchants à la paille. La paille qui s’envole est celle que le vent emporte lors du vannage du blé. Le vannage est une technique qui consiste à jeter en l’air de nombreuses fois les épis de blé afin de ne garder que le grain. Le vent emporte la paille plus légère, alors que le blé, plus lourd retombe sur place. On a là une image du jugement qui fait plus penser à un jugement dernier qu’à une brusque intervention divine qui interromprait les projets des méchants en leur ôtant la vie ou en leur mettant des obstacles. D’ailleurs le Psaume 73 déjà cité plus haut le dit :
4Rien ne les tourmente [les méchants] jusqu’à leur mort, et leur corps est replet ;
ils n’ont aucune part à la peine des hommes, ils ne sont pas frappés avec les humains.
L’image du vannage est reprise dans le Nouveau Testament en particulier par Jean le Baptiseur en Matthieu 3,12 (//Luc 3,17) pour parler du jugement que le Messie apportera. Mais justement, si on analyse le ministère de Jésus en perspective de la parole de Jean, il y a une sorte de contraste. Ce que Jean déclare est plus sa propre vision du jugement que celle de Jésus. En tout cas Jean s’attendait à un Messie aux méthodes musclées, ce que Jésus n’a pas voulu être.
Le dernier verset est à ce propos intéressant :
6le Seigneur connaît la voie des justes, mais la voie des méchants se perd.
Le Seigneur ici ne vient pas pour châtier les méchants. Mais pour reconnaître la voie des justes. Celle des méchants se perd … toute seule. Les méchants s’excluent eux-mêmes de la communauté des justes, ils s’excluent eux-mêmes de ce que Dieu reconnaît, parce qu’ils ont choisi une autre voie, et ils assumeront leur choix.
Le psalmiste lui-même ne semble pas pressé de faire intervenir Dieu. Quand il parle du juste, il dit que Dieu connait ses voies, que ses feuilles ne flétrissent pas et qu’il porte du fruit en son temps. C’est donc sur la durée que les choses ont leur importance. Jésus de même n’était pas pressé de faire la différence entre les justes et les méchants si on se rapporte à sa parabole dite « de la mauvaise herbe » en Matthieu 13,24-30 qui d’ailleurs parle de séparer le blé de la mauvaise herbe au temps de la moisson.
Cette interprétation du v6 du Psaume colle parfaitement à l’enseignement de Jésus qui dit dans le Sermon sur la Montagne :
13Entrez par la porte étroite ;
car large est la porte et spacieux le chemin qui mènent à la perdition,
et il y en a beaucoup qui entrent par là.
14Mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mènent à la vie,
et il y en a peu qui les trouvent.
Le chemin 1, c’est nous qui le choisissons, mais tous les chemins ne mènent pas au même endroit. Certains se perdent. Mais on ne le sait qu’en arrivant au bout. C’est donc la foi, c’est à dire la confiance en Dieu, qui permet de choisir le bon chemin. Par la foi, nous savons que « le chemin de Jésus est toujours le bon ».
En conclusion : Ce qui est remarquable avec les béatitudes, c’est qu’elles décrivent un homme spirituel qui est heureux dans des circonstances où l’homme naturel ne l’est pas. Qu’est-ce qui fait la différence ? Dans ce Psaume, c’est la méditation de la Torah. Mais de manière plus générale, c’est la relation avec Dieu2. Finalement, le résultat est paradoxal. Et Jésus en est l’exemple parfait puisque parfaitement juste, il a subit les pires tourments et n’a pas reçu les bénédictions terrestres (richesses, gloire, reconnaissance, pouvoir, longue vie…) que les hommes poursuivent. Mais il est ressuscité et ce qui paraissait un échec a ainsi été révélé par Dieu comme la victoire la plus éclatante. Il a fait réussir tout ce qu’il a fait.
Oui le lien de ce verset avec Romains 8,28 est donc tout à fait légitime. D’ailleurs les versets qui suivent parlent de ceux que Dieu a connu, tout comme le v6 du Psaume 1.
28Nous savons, du reste, que tout coopère pour le bien de ceux qui aiment Dieu,
de ceux qui sont appelés selon son projet.
29Car ceux qu’il a connus d’avance,
il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils,
pour qu’il soit le premier-né d’une multitude de frères.
30Et ceux qu’il a destinés d’avance, il les a aussi appelés ;
ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ;
et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés.
Donc chanter « tout ce qu’il fait réussit » est possible. D’abord parce que cela est issu d’un psaume qui était écrit pour être chanté, ensuite parce que cela a une signification particulière pour nous en tant que Chrétiens qui suivons celui qui a réellement réussi et qui nous fera réussir au dernier jour. Mais il est évident que ce chant risque de ne pas être compris par quelqu’un qui ne connaît ni la Bible ni la théologie chrétienne, puisqu’à l’évidence, selon les critères naturels de la réussite, les chrétiens ne réussissent pas mieux que les autres. Il est donc peut-être préférable de garder ce chant pour des occasions d’encouragement ou d’édification. Par ailleurs il peut être aussi bon que ceux qui ont l’habitude de chanter ce chant lisent cet article 😉
Notes :
1 - En grec, chemin ou voie sont un seul et même mot (ὁδός - hodos). Dans la traduction grecque (LXX) du Psaume 1 on a donc le même mot que dans la parole de Jésus.
2 - Dans le Sermon sur la Montagne c’est la relation à Jésus (Matthieu 5,11 - à cause de moi).