Introduction
L'épître de Paul aux Romains,
Une lettre ou un traité de théologie ?
La forme de l'épître
La lettre aux Romains est l'une des 13 lettres de Paul1. Si elle est la première dans la Bible, c'est à cause de sa longueur (432 versets – 7114 mots2) sans aucune notion chronologique.
La question qui nous servira de départ est une de celles qui ont intrigué les commentateurs de toutes les époques : est-ce vraiment une lettre ? En effet si on enlève le début (les 15 premiers versets) et la fin (ch 16), on a plutôt le sentiment de lire une sorte de traité théologique. A partir de 1,16 on a un véritable développement qui se déroule de manière organisée (ainsi que le montre sa structure). Romains 1,16-17 explique bien de quoi Paul veut parler : le salut de tous les humains ! Rien que ça. Cependant Paul reste pragmatique car en général lorsqu'il écrit, son discours sur Dieu sert de base et d’exhortation à l’action pour Dieu. Romains n'échappe pas à ce principe ; nous sommes donc bien en présence d'une lettre.
A quoi cela peut-il nous être utile de savoir cela ? Et bien nous comprenons mieux l'intention de l'apôtre lorsqu'il écrit aux Romains. Car s'il leur écrit un traité sur la justification (comme le pensait Luther3) il s'agit alors de théorie et de dogmatique. Mais s'il s'agit d'une lettre, la tâche d'interprétation est alors plus difficile car il faut alors prendre en compte l'aspect personnel de la lettre et l'objectif ciblé et précis de l'apôtre dans ce qu'il communique.
Les objectifs de Paul en écrivant Romains
On a calculé que produire un tel document représente plus de 40 jours de travail4. Il fallait donc être motivé. Sachant que cette lettre était destinée à être lue en public (5% seulement de la population était capable de lire) et qu'il faut environ 1h30 pour lire ce document en grec, il fallait que Paul ait quelque chose d'important à dire ! Qu'a-t-il donc en tête en écrivant à cette église de Rome qu'il n'a jamais visitée et qu'il n'a pas fondée lui-même ?
Lors de l'hiver5, en l'an 56 ou 576, Paul se trouve à Corinthe. Pendant plusieurs années il a travaillé à implanter des églises dans la Grèce et la Turquie actuelles (15,19-20). Il vient également de terminer une collecte importante pour l'église de Jérusalem qu'il doit encore convoyer (15,25-29) avec tous les dangers que cela suppose au premier siècle malgré la pax romana7. En écrivant sa lettre aux Romains il a un objectif précis : préparer l'évangélisation de l'Espagne. Mais pour accomplir ce nouveau défi, il a besoin de l'église de Rome qui lui servira de base de départ. C'est pourquoi il veut se faire connaître des Romains ou peut-être rétablir sa réputation auprès d'eux. Or il a déjà quelque connaissance des problèmes internes que leur communauté rencontre (13,1-7 ; 14,1-15,13 ; 16,17-20).
En effet il faut garder en mémoire un fait historique important qui a influencé le devenir de l'église de Rome : l'expulsion des juifs de la capitale impériale par l'empereur Claude en 49. L'historien romain Suétone rapporte que l'empereur « chassa de la Ville les juifs qui se soulevaient sans cesse à l'instigation d'un certain Chrestus »8. Cette indication montre qu'à cette époque, le christianisme n'est pas perçu par les autorités impériales comme un mouvement indépendant. Pour elles il fait encore partie du judaïsme. Mais il est déjà assez développé pour créer des disputes à l’intérieur de la communauté juive dont on sait qu’elle représentait environ 20.000 à 50.000 personnes9. On sait que les autorités ont compris que les chrétiens formaient un groupe à part au moins à partir de l’an 64, après un incendie gigantesque à Rome, car ils servirent de « boucs-émissaires » en étant désignés par Néron10 comme responsables de l’incendie. Ils furent alors atrocement persécutés. Paul mourut peut-être à cette époque-là, mais de cela il est difficile d’en être certain11.
Ainsi l'église de Rome avait émergé à l’intérieur de la communauté juive de la ville peut-être grâce à des juifs revenant de pèlerinage à Jérusalem et ayant été convertis là-bas12. L’église de Rome n'a donc pas été fondée par un apôtre. Mais à cause de la décision de l'empereur, elle se trouva brutalement privée d’une bonne parie de ses membres qui étaient parmi les plus anciens, et donc probablement les plus influents à la fois culturellement et spirituellement. Il est aussi probable que les chrétiens d’origine païenne qui n’avaient pas été chassés durent alors quitter les synagogues officielles et se retrouvèrent en petits groupes (illégaux) dispersés dans la ville. Lorsque ceux qui avaient été chassés purent revenir, certains (mais pas tous) le firent mais se retrouvèrent minoritaires dans une église qu'ils avaient fondé mais qui avait profondément changé. Il en résulta des tensions dont Paul entendit parler et qu’il voulut apaiser avant même d'aller en personne voir les Romains, par une lettre au fort accent théologique.
L'objectif de Paul est donc double : il veut être aidé par les Romains pour sa mission13 et il veut les aider à s'aimer les uns les autres par une meilleure compréhension de Dieu14. Il s’adresse donc à des chrétiens d’origine juive et à d’autres d’origine païenne tout en même temps. Il doit néanmoins parvenir à se faire comprendre de tous.
Structure retenue pour notre méditation
Il existe, comme souvent, presque autant de propositions de structure littéraire du texte que d'auteurs de commentaires ! Pour notre lecture, nous adopterons le plan suivant :
1ère partie : Ouverture et Thèse (Romains 1,1 à 1,17)
2ème partie : Sept discours sur la justice de Dieu (Romains 1,18-4,25)
Transition : La justification15 permet la paix avec Dieu (Romains 5)
3ème partie : Péché, Loi et Esprit (Romains 6,1-8,39)
4ème partie : La fidélité de Dieu à son peuple (Romains 9 à 11)
Transition : Laisser à Dieu le jugement (Romains 11,33-36)
5ème partie : Le culte chrétien (Romains 12,1 à 15,13)
6ème partie : Paul et l’église de Rome (Romains 15,14 à 16,24)
Prière finale : Gloire à Dieu (Romains 16,25-27)
Ce plan met en évidence deux parties plus doctrinales, une sur la justice de Dieu, l'autre sur le salut d'Israël, et une partie pratique qui s'appuie sur la théorie des deux premières parties.
Pour méditer :
- Que ferais-je si la majorité la plus influente de ma communauté était expulsée du pays ?
- Que ferais-je si je devais vivre dans un endroit où il n'y a pas d'assemblée chrétienne ?
- Est-ce que je considère que la doctrine n'a pas d'importance et que seule compte la mise en pratique ?
Notes
1 Ou plus exactement « du corpus paulinien » comme disent les théologiens. Nous ne discuterons pas en détail ici de l’authenticité des lettres de Paul qui sont généralement classées en trois catégories : les lettres proto-pauliniennes c'est-à-dire celles qui sont de l’époque de Paul, les deutéro-pauliniennes qui ont été écrites par des disciples de Paul de la génération suivante et les trito-pauliniennes encore un peu plus tard. La frontière entre les différentes époques est difficile à établir, et n’a pas une utilité majeure quand la lecture des documents vise un but spirituel. Disons simplement ici que l’épitre aux Romains est proto-paulinienne, c’est à dire qu’elle est indiscutablement de Paul, avec l’aide en particulier de Tertius le secrétaire mentionné en 16,22. Pour plus de détail voir : François VOUGA, « Le corpus Paulinien » dans : Daniel MARGUERAT (Ed.), Introduction au Nouveau Testament, son histoire, son écriture, sa théologie, Labor et Fides, Genève, 2008, p.161-178.
2 A titre de comparaison, les plus longues lettres d'auteurs antiques contemporains de Paul sont de 4134 mots pour Sénèque, 2530 pour Cicéron, 5850 pour Épictète (dont le style ressemble à celui de Paul).
3 Luther est un moine du 16ème siècle qui se rebella contre certaines pratiques de l’Église Catholique Romaine. Il fut excommunié le 3 janvier 1521 et fonda dès lors son propre mouvement de réformation ce qui aboutit à terme à la naissance des églises protestantes.
4 Alain GIGNAC, L'épître aux Romains, Commentaire Biblique du Nouveau Testament, Cerf, Paris, 2014, p.36
5 Saison moins favorable aux voyages, surtout en bateau, et donc propice à l’écriture de lettres comme celle-ci.
6 Peut-être 58 selon la manière de coordonner les événements de la chronologie de la de Paul entre les lettres et le livre des Actes des apôtres.
7 La pax romana désigne la période de sécurisation intérieure de l'empire établie par l'empereur Auguste un prédécesseur de l'empereur Néron César qui est au pouvoir lorsque Paul écrit sa lettre.
8 SUETONE, Vie de Claude, 25,4 - Chrestus est le nom dont Suétone a entendu parler, et qui correspond au grec Christos - Christ.
9 Sur une population romaine de 800.000. La majorité des juifs de la ville étaient des affranchis (donc citoyens romains) descendants d’esclaves ramenés par Pompée en 63 av. J.C. (cf. Alain GIGNAC, L'épître aux Romains, Commentaire Biblique du Nouveau Testament, Cerf, Paris, 2014, p.47).
10 Selon les Annales l’historien (et sénateur) romain Tacite écrites en 110 ap. J.C.
11 Voir le commentaire sur Romains 15,22-33.
12 Voir par exemple Actes 2,9-11. A la fin du v10 on parle littéralement des « résidants Romains ».
13 C'est un objectif pratique – cf. Romains 15,24
14 C'est un objectif théologique et éthique– cf. par exemple Romains 14,13
15 Nous étudierons la signification de ce mot plus tard. Il s'agit de la décision de Dieu de rendre juste ce qui ne l'est pas.