Romains 1,1
Paul et ses quatre titres

L'auteur de la lettre se présente par son prénom : Paulos. En Latin le prénom correspondant veut dire « petit » ou « négligeable »1. C'est par le livre des Actes que nous savons que Paul s’appelait Saul auparavant mais ce changement de nom n'a rien de surprenant. Dans l'Ancien Testament nous en avons plusieurs exemples, les plus célèbres étant ceux de Sara et Abram dont le nom est modifié par une seule lettre en Saraï et Abraham, ce qui a une signification spirituelle. Mais en ce qui concerne Paulus, il s'agit plutôt d'un surnom2 dont la signification est cependant en rapport avec la manière dont il se présente à l’église de Rome. Dans le premier verset de sa lettre, Paul se qualifie de quatre manières différentes :

D'abord, Paulos esclave du Christ Jésus.

Après le surnom de « petit », Paul ne commence pas par son titre d'apôtre, mais par le qualificatif d'esclave. Il se présente au yeux de l'église des Romains comme celui qui a tout abandonné pour le Christ et qui lui voue sa vie entière sans attendre de rétribution particulière. Mais qui est ce Christ ? Il s'agit de la traduction grecque du mot hébreu Messie qui littéralement veut dire « celui qui a été oint » et qui désigne celui qui a été choisit (par Dieu).

Paul se considère donc esclave de celui que Dieu a envoyé. Mais doit-on considérer que tout chrétien est aussi esclave du Christ ? Paul avait compris que le Messie s'était lui-même fait esclave des humains (Philippiens 2,7), et il voulait à son tour se faire son esclave. Les collaborateurs de Paul eux-mêmes se faisaient esclaves de la Bonne-Nouvelle (Philippiens 2,22). Il semble donc que cela était un standard spirituel pour tout chrétien3. Ce qu'on appelle souvent vie chrétienne qu'on pourrait aussi appeler vie messianique correspond à une sorte d'esclavage consentant. Pour autant il ne faut pas appliquer au mot esclave notre perception moderne. Être esclave dans la société gréco-romaine est avant tout un statut juridique indiquant qu'un individu est la propriété d'un autre. Cela engendrait de grands désavantages, mais n'empêchait pas de posséder des biens et même d'autres esclaves.

Ensuite, Paulos appelé.

Pour Paul être appelé (par le Christ), c'est entrer dans une dimension supérieure. En 1Corinthiens 7,17-24 il explique comment l'appel de Dieu transcende la condition sociale et annule les distinctions créées par les lois humaines. Ce à quoi l'humain est voué à sa naissance humaine est annulé par la nouvelle naissance spirituelle. Cela n'est pas visible d'un point de vue terrestre, mais celui qui entend l'appel de Dieu a conscience que les choses anciennes sont passées et que les choses nouvelles, bien actuelles et réelles, sont sur le point d'être révélé4. Paul ne dit pas que ceux qui sont esclaves sont comme ceux qui sont libres. Il ne compare pas les conditions d'esclave et d'homme libre. Il montre qu'en entendant l'appel de Dieu tous deux sont transformés en humains nouveaux. Et c'est l'ensemble de ceux qui ont entendu cet appel qui forment l'Eglise5 dont le mot grec est de la même racine que le mot appelé.

Puis, Paulos apôtre.

Le mot apôtre, comme le mot Christ, est une transformation du mot grec en mot français, sans que son sens ne soit vraiment traduit6. Il signifie « envoyé ». Il aurait aussi pu être traduit ambassadeur7. En Galates 1,15 Paul transforme une citation de Jérémie8 en supprimant le mot prophète du verset juste après qu'il se soit présenté comme apôtre. Pour Paul il ne s'agit pas juste de délivrer un message, mais de témoigner de la venue du messie comme événement déjà réalisé. Témoigner c’est prendre pour soi le message et le mettre en pratique. Ainsi la mission, c'est le témoignage sur la venue du messie. Et ce témoignage est nécessaire car nous sommes dans la fin des temps9 c'est à dire le temps messianique, le temps du « déjà là, mais pas encore »10. L'envoyé de Dieu témoigne du « déjà là » comme preuve du « pas encore ». Si comme lui nous pouvons nous considérer comme témoins et envoyés il y a cependant une différence : Paul est un témoin direct11 de la résurrection et un envoyé authentique12 de Jésus-Christ alors que nous, nous sommes des témoins secondaires et notre authenticité provient de ce que nous utilisons les écritures (comprenant entre autres les écrits de Paul) de manière appropriée.

Enfin, Paulos ayant été mis à part pour la Bonne-Nouvelle de Dieu.

Il n'est pas simple de comprendre ce que Paul veut dire par mis à part. Est-il quelqu'un de spécial ? Éphésiens 3,8 montre que ce n'est pas le cas13. Le mot grec mis à part est de la même racine que le mot pharisien qui veut dire séparé : les pharisiens se considéraient séparés des gens du peuple parce que plus respectueux de la Loi que les autres juifs. Or Paul lui-même est un ex-pharisien14. Grâce à la Bonne-Nouvelle15 de Dieu, il se sépare des séparés et devient un évangéliste qui, au lieu de vivre séparé des autres, va vers vers les autres pour les appeler à la réconciliation16. Il ne transmet pas un message religieux qui, même s'il était nouveau, n'en serait qu'un de plus. Il voue sa vie à transmettre l'unique Bonne-Nouvelle de Dieu. Il expliquera plus en détail ce que veut dire être mis à part pour la Bonne-Nouvelle de Dieu au ch 15 aux v14 à 21.

Pour méditer :
- Est-ce que je me considère comme appartenant au Christ ? Me suis-je voué à servir Dieu ?
- Est-ce que je peux décrire la manière dont Dieu m'a appelé ? Comment ai-je répondu ?

- Comment ma réponse à l'appel de Dieu a-t-elle modifié mon regard sur les autres ?
- Qu'est-ce qui différencie l'envoi de Paul et le mien ? Comment suis-je envoyé par Christ ?
- En 2Corinthiens 6,14-18 Paul exhorte les chrétiens à se mettre à part17. Comment est-ce que cela peut me concerner ? Est-ce un appel à se retirer du monde ?


Notes

1 Cf. 1Corinthiens 15,8

2 Pour plus de détails voir l'étude de Giorgio AGAMBEN, Le Temps qui reste. Un commentaire de l’Épître aux Romains., traduction : Judith Revel, Paris, Bibliothèque Rivages, 2000.

3 Romains 14,18 qui parle d'être un esclave du Christ en renonçant à ses droits pour construire la paix dans l'église.

4 Cf. 2Corinthiens 5,17

5 Cf. Romains 1,6-7 qui parle aussi de l'appel – à noter que le mot église n'est pas employé dans l'épître aux Romains avant le ch 16 ! — cf. encore Romains 8,29-30.

On appelle cela une translitération.

7 C'est un autre mot qui est traduit ambassadeur en 2Corinthiens 5,20 et Éphésiens 6,20. Dans ces versets le mot utilisé intègre la notion de sagesse par l'ancienneté.

8 Cf. Jérémie 1,5

9 Cf. 1Corinthiens 10,11 ; Hébreux 9,26 ; 1Pierre 1,20

10 Cf. Romains 8,18-30

11 Cf. 1Corinthiens 15,8

12 D'où l'intérêt de la transcription du mot envoyé par apôtre : il s'agit alors d'une fonction et d'un titre ; cf. Galates 1,1.

13 Certains spécialistes pensent que la lettre aux Éphésiens n'a pas été écrite par Paul lui-même. Même si cela est le cas, l'auteur n'a pas cherché à usurper le nom de Paul, mais plutôt à actualiser sa pensée dans un contexte que Paul lui-même n'a pas connu : celui de la disparition progressive des apôtres et du rejet progressif des chrétiens hors des synagogues. Si on accepte cette hypothèse, Éphésiens 3,8 montre comment Paul était perçu par ses disciples qui ont voulu perpétuer son enseignement.

14 Cf. Philippiens 3,5

15 Bonne-Nouvelle traduit le grec εὐαγγέλιον θεοῦ (euanguélion théou) souvent translittéré par Évangile de Dieu.

16 Pour bien saisir la réconciliation des séparés, voir par exemple Éphésiens 2,11-22.

17 Au v17 le verbe est le même qu'en Romains 1,1.