La Bible n’est pas uniquement monothéiste !
1. le conseil Divin
La Bible Hébraïque (qu’on appelle aussi Premier ou Ancien Testament) suppose donc l'existence d'autres êtres surnaturels. Mais ce ne sont pas des anges ni des démons, plutôt quelque chose de moins familier à nos oreilles chrétiennes habituées à 2000 ans de tradition démonologique.
Démons ?
On trouve des démons dans quelques écritures de la Bible Hébraïque :
ils sacrifient à des démons, qui ne sont pas Dieu (Deutéronome 32,17)
ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons (Psaume 106,37)
Le mot שֵׁד - shéd, qui donne שֵׁדִים - shédim au pluriel a été traduit dans la Bible grecque par δαιμονίοις - daimoniois c'est-à-dire démons. Mais c’est en réalité « un emprunt de l’accadien1 s̆ēd(um). »2 Il s’agit en fait de divinités étrangères. Dans la pensée polythéiste le monde est gouverné par une multitude de divinités plus ou mins bienveillantes. Pour faire face au mal, l’humain doit trouver le moyen de satisfaire les divinité bienveillantes et de se protéger des autres. Les sacrifices étaient une manière de satisfaire à ce système de pensée.
« Nous » et l'armée du ciel ?
C’est dans la recherche de cohérence entre la vision d’une divinité toute puissante (Elohim au pluriel) et l’impossibilité d’attribuer le mal à YHWH, qu’émerge la pensée du concile divin (ou encore « cour céleste »). Ou trouve-t-on les traces de cette réflexion ?
Quand Adam et Ève ont mangé de l'arbre, Dieu dit :
L’homme est devenu comme l’un de nous … (Genèse 3,22)
Quel est ce « nous » ? Il y a deux grandes exégèses possibles :
- soit il s’agit d’un « nous » de majesté
- soit il s’agit d’un conseil divin, une cour céleste.
L’herméneutique3 chrétienne (donc beaucoup plus tardivement) postulera qu’il s’agit de la Trinité. Cela peut faire sens mais ne peut pas être pris en compte dans la recherche de ce voulait dire l’auteur de la Genèse dans son contexte à lui. En effet le concept de « Trinité » n'existe pas pour lui.
La vision d’une « assemblée divine » ou d’une « cours céleste » d'êtres spirituels se retrouve tout au long de la Bible hébraïque :
Le psaume 82 parle de Dieu comme celui sui préside ou règne au milieu des dieux :
Psaume. D’Asaph. Dieu se tient dans l’assemblée divine ; il juge au milieu des dieux. (Psaume 82,1)
En Job, le premier chapitre et la première moitié du deuxième décrivent le fonctionnement de l’assemblée divine :
Un jour, les fils de Dieu vinrent se présenter devant le SEIGNEUR [YHWH], et l’Adversaire aussi vint au milieu d’eux. (Job 1,6)
Il est intéressant de remarquer ici que la réponse de Job à sa femme (2,10) soit ignore cette cour céleste, soit l’englobe dans un tout qu’il appelle « Dieu » mais qui peut aussi se traduire par « La Divinité » au sens large incluant l’ensemble.
En 1Rois 22 Michée décrit Dieu qui demande conseil aux esprits qui constituent l’armée du ciel.
Alors Michée dit : Eh bien, écoute la parole du SEIGNEUR ! J’ai vu le SEIGNEUR assis sur son trône, et toute l’armée du ciel se tenant auprès de lui, à sa droite et à sa gauche. Le SEIGNEUR a dit : Qui dupera Achab pour qu’il attaque Ramoth de Galaad et qu’il y tombe ? Ils répondirent l’un d’une manière, l’autre d’une autre. Alors un esprit sortit, se présenta devant le SEIGNEUR et dit : Moi, je le duperai. Le SEIGNEUR lui dit : Comment ? – Je sortirai, dit-il, et je serai un souffle de mensonge dans la bouche de tous ses prophètes. Il répondit : Tu le duperas, tu réussiras ! Sors et fais ainsi ! (1Rois 22,19-22)
Même Genèse 3,5 montre que la tentation pour Adam et Eve c’est de devenir comme des dieux, c’est à dire de faire partie de cette cour céleste. Rien à voir avec une pomme.
Alors le serpent dit à la femme : (…) 5Dieu le sait : le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent ce qui est bon ou mauvais (Genèse 3,4-5)
Tous ces êtres ne sont pas des anges ni des démons. Ils ne sont pas mauvais. Ils font partie de l'ordre spirituel tel qu’on se l’imaginait à l’époque. Cette vision du monde est également au cœur de l'histoire de la tour de Babel. En effet lorsque les humains construisent une tour pour atteindre les cieux, nous retrouvons encore la première personne du pluriel quand Dieu parle de lui même :
Descendons donc, et là, brouillons leur langue,… (Genèse 11,7)
En Deutéronome 32,8 (dans la Septante et les manuscrits de la mer Morte), nous lisons :
Lorsque le Très-Haut a divisé les nations comme il avait dispersé les fils d'Adam, il a fixé les limites des nations par le nombre des anges de Dieu4.
En d'autres termes, après Babel, Dieu divise les nations et charge d'autres êtres divins de les gouverner. Israël reste la part de YHWH. Mais le reste du monde est confié à d'autres autorités spirituelles. Elles ne sont pas considérées comme mauvaises. Elles sont simplement... autres.
Notes
1- Langue de la Mésopotamie antique.
2- Thomas Römer, « De la nécessité du Diable » dans : Entre dieux et hommes : anges, démons et autres figures intermédiaires, Actes du colloque organisé par le Collège de France, 2014
3- La manière de donner du sens au texte dans un autre contexte que celui de l’auteur.
4- L’expression « le nombre des anges de Dieu » est remplacés dans le texte massorétique par « le nombre des israëlites ». Mais il est intéressant de se rappeler que la Septante reflète des manuscrits bien plus anciens que ceux qui forment le texte massorétique.