La Bible n’est pas uniquement monothéiste !
2. Pour aller vers le monothéisme passons par la monolâtrie
« Bien que la Bible hébraïque confesse le Dieu Un et unique, Elle a conservé un certain nombre de traces qui indiquent que la vénération de Yahvé n'a pas été exclusive durant de nombreux siècles. »1 Les écritures d'Israël n'affirment donc pas qu'il n'existe pas d'autres dieux. Quand Jacob et Laban concluent un pacte de non agression, ils prêtent serment chacun au nom de son dieu (Genèse 31,51-53). Quand Jephté négocie avec les Ammonites, il se réfère aux dieux des deux partie, Kemosh pour les Ammonite, YHWH pour lui-même (Juges 11,34). Il existe d’autres traces encore.
En terme cultuel la Bible Hébraïque n’affirme pas toujours qu’il n’y a qu’un seul Dieu, mais simplement que YHWH est le seul dieu qui mérite d'être adoré. Il n’y a pas un seul Dieu, mais « notre Dieu est plus grand que tous les dieux » (2Chroniques 2,4). C'est pourquoi on peut régulièrement lire des phrases comme :
Qui est comme toi parmi les dieux, SEIGNEUR (YHWH) ? — (Exode 15,11a)
Nul n’est comme toi parmi les dieux, Seigneur — (Psaume 86,8)
Qui donc, dans la nue, peut se mesurer au SEIGNEUR (YHWH) ?
Qui est comparable au SEIGNEUR (YHWH) parmi les fils des dieux ? — (Psaume 89,7)
Car le SEIGNEUR (YHWH) est un grand Dieu, c’est un grand roi au-dessus de tous les dieux. — (Psaume 95,3)
Les autres dieux ne sont pas niés. Au contraire ils sont reconnus mais classés en dessous. D’un point de vue philosophique on appelle cela « l’hénothéisme ». Et le culte d’un seul Dieu au dessus des autres qui lui est associé est la « monolâtrie ». Même la déclaration de loyauté la plus célèbre des Écritures d'Israël reflète cet état d’esprit : Deutéronome 6,4, connu sous le nom de Shema Israël, dit :
Ecoute, Israël !
Le SEIGNEUR, notre Dieu,
le SEIGNEUR est un.
Quand on est habitué au monothéisme, on pense que ce verset en est une déclaration. Mais en hébreu, le mot traduit par « un » (ehad - אֶחָֽד) signifie tout aussi bien « unique » ou « unifié » ou « seul ». Pour respecter le contexte de monolâtrie il faudrait traduire :
Ecoute, Israël !
Le SEIGNEUR (YHWH) est notre Dieu
Le SEIGNEUR (YHWH) seul.
De même avec Exode 20,3 et Deutéronome 5,7 :
Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi.
Il ne s'agit pas d'un refus philosophique des autres dieux. C'est une déclaration d’allégeance à l’un d’entre eux : le plus grand (cf. Exode 18,11 qui rapporte les paroles Jethro). « "Ne courez pas après l’autres dieux" est l’un des leitmotiv du Deutéronome. »2 Ce n'est que plus tard qu’on se rapproche, petit à petit3 du monothéisme. Certains dieux sont bons, certains sont mauvais, mais le plus grand c’est le SEIGNEUR (YHWH). En tout cas il n’y a pas encore de diable maléfique menant une guerre contre Dieu depuis le début de la création. Du moins pas encore.
Notes
1- Thomas Römer, « le problème du monothéisme biblique », Revue Biblique, 2017, 124 (1), pp.12-25
2- Thomas Römer, « Tendances dualistes dans quelques écrits biblique de l’époque perse », Transeuphratène, N°23, Paris, 2002 — cf. Thomas Römer, « le problème du monothéisme biblique », Revue Biblique, 2017, 124 (1), p.19 : « L’idée que Yahvé est le seul dieu d’Israël et que ceux qui le vénèrent ne doivent pas suivre les "autres dieux" – dont l’existence n’est d’ailleurs nullement niée – se trouve surtout dans le livre du Deutéronome. »
3-Thomas Römer, « le problème du monothéisme biblique », Revue Biblique, 2017, 124 (1), p.24 dans le paragraphe intitulé « résistance au monothéisme ».