Vouloir de Dieu et volonté humaine

Les théologiens savent que Dieu n’est pas un humain (Osée 11,9) et qu’il y a une différence entre les deux. Mais ils savent aussi que les humains sont créés « à l’image de Dieu » (Genèse 1,27 ; 9,6). C’est pourquoi une manière de parler de Dieu consiste à dire que si l’humain est l’image, alors Dieu est l’original. Ainsi, il doit être possible de réfléchir sur Dieu à partir de l’humain en disant que Dieu a les qualités des humains, mais en (infiniment) mieux ! On appelle cela la théologie de la suréminence.

Par exemple nous pouvons expérimenter que certains hommes sont très intelligents. Selon cette façon de faire de la théologie Dieu l’est de manière absolue. Nous pouvons aussi rencontrer des personnes douées de compassion comme nous aimerions pouvoir l’être aussi. Selon cette façon de faire de la théologie Dieu l'est parfaitement.

Le problème c’est que cela ne marche pas avec la volonté. Si la volonté est un aspect proprement humain, qui contient l’évaluation préalable mais incomplète de la pertinence d’un choix, on ne peut pas l’appliquer à Dieu. Si nous connaissons quelqu’un de très volontaire, peut-on se dire que Dieu l’est plus encore ?

On dit que Dieu est omniscient, c'est-à-dire qu’il connaît tout. Il connaît les choses telles qu’elles sont à chaque instant, mais il connait aussi ce qu’elles ont été et ce quelles seront. Il connaît aussi ce qui a existé et qui n’existe plus et inversement ce qui n’existe pas encore et qui existera plus tard.

Le Dieu des cieux n’a donc pas besoin, comme nous humains, de réfléchir pour faire des choix en sorte que les choses se passent. Et il n’a pas besoin de délibérer en lui-même pour faire de bons choix. Nous l’avons déjà démontré, il n’a pas besoin d’avoir une volonté. Il sait ce qu’il faut faire pour bien faire.

C’est peut-être un peu jouer sur le sens des mots, mais cela est important, car ce qui est manifeste c’est que Dieu n’a une volonté que de notre point de vue humain. Si on se dit « moi à la place de Dieu je ferai ceci ou cela… », on fait entrer Dieu dans notre condition humaine qui a besoin de faire des choix sans connaître tout de la situation. La suréminence n’est pas une bonne méthode pour comprendre la volonté de Dieu : dans ce domaine, l’image humaine ne peut pas refléter la réalité de Dieu.

Cependant cela ne veut pas dire que Dieu ne veut rien et qu’il est immobile. Car si le Dieu du ciel n’a pas de volonté au sens strict de de la prise de décision, il a cependant un vouloir au sens de ce qu’il a une vision claire de la création qu’il veut et de la manière dont il va l’amener à être ce qu’elle doit être.

Au passage cela nous fait toucher du doigt l’idée que la création est en devenir. Elle n’est pas achevée, comme le dit bien Paul en Romains 8, et spécialement au v22. Dieu a destiné1 les créatures que nous sommes, à être configurés à l’image de son Fils (v29). L’expérience que nous faisons du monde nous montre bien que cela n’est pas encore fait, mais au v30 de ce passage, Paul utilise une chaine de verbes au présent pour signifier que Dieu connaît déjà cette réalité que nous ne voyons pas et qui culmine dans la glorification de ceux qui répondent à son appel.

Dieu n’a donc pas besoin de prendre des décisions aux sens ou nous le faisons en tant qu’humain car il sait toujours parfaitement le choix qu’il faut faire, qui du coup, n’est plus un choix à faire. Comme le dit littéralement Jérémie 29 : il connaît les pensées qu’il pense envers nous.

Mais cela ne veut pas dire que Dieu est impassible comme un sage assit sur son trône céleste qui regarde le monde (mal) tourner. Au contraire, car Dieu ne se définit pas seulement et uniquement comme « celui qui est » (Exode 3,14) mais aussi comme « celui qui est avec nous » (Exode 3,12) ou encore « l’Emmanuel » (Matthieu 1,23 ; 28,20). Cette deuxième définition est bien plus importante pour nous car elle indique que nous pouvons connaître ce Dieu, alors que la première ne nous indique que son existence, ce qui ne nous donnerait aucun espoir de pouvoir entrer en relation avec lui. Dieu en voulant être avec nous intervient constamment dans nos existences.

Si cette intervention est le plus souvent discrète (Ésaïe 45,15) il y eut un temps ou elle l’a moins été : ce fut le cas lorsqu’il est devenu chair et qu’il a planté sa tente parmi nous (Jean 1,14 - Traduction Chouraqui). Ce n’était pas une nécessité, c’est ce qu’il a voulu2.

Du coup, la venue de Dieu dans notre monde, si elle n’est pas contraignante, nous met tout un chacun devant un choix. Ce choix, Dieu nous le donne : accepter de le suivre ou pas. Et le suivre est devenu clair.

Après avoir autrefois (dans l’Ancien Testament) à bien des reprises et de bien des manières, parlé aux pères par les prophètes, Dieu nous a parlé, en ces jours qui sont les derniers, par un Fils.

Cette parole, qui s’exprime par son Fils, nous enseigne ce que Dieu voudrait pour nous : que nous aimions comme lui.

Je vous ai donné l'exemple, afin que, vous aussi, vous fassiez comme moi j'ai fait pour vous3, comme je vous ai aimés, que vous aussi, vous vous aimiez les uns les autres4, soyez en paix les uns avec les autres5, soyez pleins de tendresse les uns pour les autres, soyez les premiers à honorer les autres6, ne nous jugeons donc plus les uns les autres7, accueillez-vous les uns les autres, comme le Christ lui-même vous a accueillis8, veillons les uns sur les autres9, ne soupirez pas les uns contre les autres10, exercez l'hospitalité les uns envers les autres11, revêtez-vous de l'humilité dans vos rapports mutuels12.

Si nous mettions tous en pratique ces commandements, le monde ne serait-il pas différent ? meilleur ? plus glorieux ?

C’est notre choix, et non celui de Dieu si nous décidons que le monde soit autrement. Nous avons le choix de dire non à Dieu. Dieu nous donne la possibilité de le faire : c’est là notre liberté, et avec ce don il prend le risque que nous refusions et que nous nous perdions pour l’éternité.

Si malgré tout nous sommes de bonne volonté, nos bonnes résolutions devront résister aux assauts d’un monde qui abuse de ceux qui donnent. C’est pourquoi il va falloir aller chercher notre motivation auprès de Dieu.

Pour méditer :
- Est-ce que je comprend que le concept d'homme à l'image de Dieu a des limites ? En particulier qu'on peut aller dans un sens (l'homme est l'image de Dieu) mais pas dans l'autre (Dieu est l'original de l'image) ?
- Est-ce que je suis d'accord avec l'idée que la création est encore en devenir, qu'elle n'est pas terminée ? Comment justifier ma réponse ?
- Où est Dieu ? Dans le ciel ou avec moi ? qu'est-ce que cela peut changer dans ma relation avec Lui ?
- Que veut dire concrètement « suivre Dieu » ?


Notes

1 Mais pas prédestiné. C’est à dire que Dieu nous a créé pour être à l’image de Jésus, mais il ne nous y oblige pas. Il y a donc un risque (assez grand si l’on en croit Jésus lui-même — Matthieu 7,13-14.21-23) que nous n’aboutissions pas à ce pour quoi nous sommes venus au monde, ce qu’on appelle le risque de perdition, qui n’est donc pas lié au vouloir de Dieu, mais à la liberté humaine de dire oui ou non à Dieu.

2 Paul en Romains 5,6 explique que Christ est venu κατὰ καιρὸν (kata kairon) ce qui veut dire : au moment du moment, ou au temps fixé.

3 Jean 13,15

4 Jean 13,34

5 Marc 9,50

6 Romains 12,10

7 Romains 14,13

8 Romains 15,7

9 Hébreux 10,24

10 Jacques 5,9

11 1Pierre 4,9

12 1Pierre 5,5