En grec la volonté se dit thélèma (θέλημά). Comme tous les mots qui passent d’une langue à une autre, il peut être traduit de nombreuses manières différentes. Le dictionnaire Grec-Français Grand Bailly1 qui reste une référence malgré son âge, n’est pas avare de multiples traductions pour chaque mot. Cependant pour thélèma il montre une relative stabilité du sens entre Aristote (4ème siècle av. J.C.) et le Nouveau testament, en passant par la Septante2 et il donne comme traduction possible : volonté, désir ; et c’est tout !
Nous avons un peu joué avec les mots3 dans les pages précédentes en osant suggérer que Dieu pourrait ne pas avoir de volonté mais qu'il aurait un vouloir. Approfondissons un peu cette idée en proposant la traduction de thélèma par désir plutôt que par volonté.
C’est une bonne approche car le Grand Bailly ne donne pas cette possibilité par hasard. En effet, lorsque les traducteurs de la Septante ont travaillé sur le texte hébreu qui était en leur possession, ils ont minutieusement pesé le choix de chaque mot pour traduire ce qu’ils considéraient comme la Parole de Dieu. Or la racine hébraïque que l’on retrouve pour thélèma dans le texte hébreux est ratson (רָצוֹן) mot masculin qui veut dire4 faveur, bienveillance5.
Le proverbes 18,22 dit littéralement :
« il a trouvé une femme, il a trouvé une bonne chose ;
il a obtenu un ratson de Yahweh »6.
Dans ce proverbe le ratson est souvent traduit par faveur (Jérusalem, Rabinat, Colombe, NBS, S21, TOB). La NEG traduit par grâce, la BFC par approbation. Mais ce qui est remarquable ici, c’est qu’elle est assimilable au désir qu’un homme peut avoir pour une femme. Et ce n’est pas pure spéculation. En effet le coté très terre à terre du vocabulaire hébreu nous autorise tout à fait à penser que la volonté de Dieu est comparable au désir (charnel) d’un homme pour sa femme (ou inversement).
En Genèse 49,6 Jacob décrit le caractère de Siméon et Lévi ses fils comme très impétueux. Dans ce verset, le raston désigne la passion, la frénésie (TOB), le caprice (Colombe, NBS), le plaisir (BFC), le désir (S21).
Imaginons alors que nous utilisions ce genre de vocabulaire pour désigner ce que Jésus disait en araméen et que nous connaissons en grec lorsqu’il parle de la volonté de Dieu. Par exemple quand Jésus nous demande de prier il dit :
« Voici donc comment vous devez prier :
Notre Père qui es dans les cieux !
Que ton nom soit reconnu pour sacré,
que ton règne vienne,
que ta thélèma advienne — sur la terre comme au ciel »7.
Que se passe-t-il si nous remplaçons thélèma par faveur, ou grâce. Ou bien encore par désir au sens du désir d’un homme pour une femme ? Cela ne change-t-il pas l’impression que fait sur nous le regard de Dieu ? En effet Jésus nous demanderait alors de prier pour que le désir que Dieu a pour nous adviennent ! Ce qui voudrait dire que notre prière aurait alors comme but que notre relation d’amour avec Dieu s’épanouisse. Il nous faut demander à Dieu de nous aider à être plus spirituels et a pouvoir vivre dans la grâce ce qui veut dire de et pour la grâce.
Faisons le même exercice avec Matthieu 18,14 :
« ce n'est pas la thélèma de votre Père qui est dans les cieux qu'il se perde un seul de ces petits ».
Si nous traduisons thélèma par désir cela fonctionne bien et permet de « réchauffer » un peu ce verset que le terme de volonté rend un peu patriarcal.
De même quand Paul met en avant l’œuvre de Jésus-Christ, il dit que Jésus...
« ... s'est donné lui-même pour nos péchés, afin de nous délivrer du présent monde mauvais, selon la thélèma de notre Dieu et Père »8.
Parce que Dieu a une frénésie pour l’humain, alors Jésus, qui a la même frénésie (Jean 4,34) s’est donné lui-même.
Mais comment traduire la thélèma de Dieu par désir, faveur ou grâce quand la Bible parle de l’homme qui doit ou veut « faire » la thélèma de Dieu ? Dans ce cas, on se place du point de vue de l’humain qui se trouve face à un choix : faire ou ne pas faire la thélèma de Dieu. Dans ce cas, le choix humain nécessite bien une volonté et du coup le terme est tout à fait approprié.
Prenons par exemple Matthieu 7,21 qui dit littéralement :
« Ne pas tous ceux disant à moi : Seigneur Seigneur ! entreront dans le royaume des cieux, mais ceux faisant la thélèma du père de moi, eux [entreront] dans les cieux »
Si on remplace thélèma par faveur ou grâce cela ne marche pas. Si on traduit par désir, cela peut fonctionner, mais alors il faudrait préciser désir amoureux pour montrer que ce n’est pas un caprice (ce qui pourrait aussi être utilisé). Que voudrait dire mettre en œuvre9 le désir d’amour du Père de Jésus ? Cela veut dire y répondre. Mais comment ? Comme une femme répondrait à la manifestation du désir d’un homme, ce qui implique une réponse du même ordre. Dans la relation sexuelle, la réponse serait d’ordre sexuelle. Mais comment Dieu a-t-il démontré son désir pour l’homme ? Paul l’explique magistralement en Romains 5,6-8 :
« En effet, lorsque nous étions encore sans force, le Christ, en son temps, est mort pour des impies. A peine mourrait-on pour un juste ; peut-être quelqu’un aurait-il le courage de mourir pour un homme bon. Or voici comment Dieu, lui, met en évidence son amour pour nous : le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs ».
Si nous voulons répondre de manière appropriée à l’amour de Dieu, c'est-à-dire si nous voulons que notre réponse soit du même ordre, nous aussi nous devons mourir ! Nous aussi devons être crucifiés. comme l’a dit Jésus : Personne n'a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis10. Nous savons que Jésus va appliquer ce principe d’amour dans les heures qui suivent le moment pendant lequel il prononce cette parole. Mais il le dit dans le cadre de son commandement : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés11.
On peut donner sa vie dans le martyr, mais ce n’est pas nécessairement ce que Jésus demande ici. En effet, on peut aussi la donner dans le quotidien. C’est d’ailleurs ce que Jésus explique et démontre à ses disciples en leur lavant les pieds quelques minutes avant de prononcer les paroles que nous venons de lire.
La volonté de Dieu est désir envers nous et pour nous. Comme un époux désire son épouse et inversement, Dieu nous désire. Et comme un père ou une mère a des rêves pour ses enfants, Dieu a des désirs et des rêves pour nous.
Pour méditer :
- Pourquoi peut-on dire que la volonté du Dieu que Jésus nous présente est le contraire d'une volonté despotique ou tyrannique ?
- Est-ce que je comprends et ressens le désir d'amour que Dieu a pour moi ? Est-ce que ça me touche ? Ou est-ce que cela ùme laisse indifférent ? Pourquoi ?
Notes
1 Anatole BAILLY, Le Grand Bailly : Dictionnaire grec-français, Hachette, Paris, 1935
2 Traduction grecque de la Bible hébraïque réalisée au troisième siècle av. J.C.
3 C’est l’expression de ma femme lorsque je lui ai dit expliqué ce concept.
4 Selon le dictionnaire de Philippe REYMOND, Dictionnaire d'Hébreu et d'Araméen Bibliques, Paris, Cerf / Société Biblique Française, 1991
5 Féminin en français, mais masculin en hébreu.
6 מָצָא אִשָּׁה, מָצָא טוֹב ; וַיָּפֶק רָצוֹן, מֵיְהוָה
matsa’ ishah, matsa’ tov ; wayaphèq ratson mé-adonaï
7 Matthieu 6,9-10
8 Galates 1,4
9 Mettre en œuvre, faire, travailler, effectuer, accomplir. C’est le sens du verbepoiéô (ποιέω).
10 Jean 15,13
11 Jean 15,12