L’idée que Dieu est « tout puissant » et que tout ce qui se passe en ce monde fait partie de sa volonté (qui est en réalité son vouloir) est une doctrine assez répandue parmi les protestants. En effet il semble assez logique de dire que si Dieu est « tout puissant », il est maître des temps et des circonstances1, et que par conséquent : ce qu’il veut est ce qui existe et ce qu’il ne veut pas n’existe pas.
Aussi logique semble-t-elle, cette vision de Dieu se heurte à des incohérences qui amènent à voir Dieu comme pervers, insensible ou faible. Et s’il est faible, alors il ne nous est d’aucun secours ; autant ne pas croire en lui puisque cela ne change rien. En effet comment comprendre la souffrance dans le monde ? Il est facile de comprendre que le mal dont l’homme est capable n’est pas ce que Dieu veut. Mais il est plus difficile de comprendre les maladies ou les catastrophes naturelles (cyclones, tsunamis, tremblements de terre…) qui détruisent et tuent tant de vies humaines et dont personne ne semble2 responsable ? Si Dieu est tout-puissant, alors c’est lui le responsable, et à la manière de Job, nous pourrions intenter un procès3 à ce dieu-là.
C’est vrai : dire à quelqu’un qui souffre que ce qui lui arrive est la volonté de Dieu est terrible. Dire à quelqu’un qui est en deuil que le temps de souffrance qu’il traverse est la volonté de Dieu est insensible, et certainement faux, nous allons le démontrer.
Si Dieu est « omnipotent » (un synonyme de « tout puissant »), c'est-à-dire qu’il peut tout, cela ne veut pas obligatoirement dire qu’il veut tout et qu'il fait tout. Car alors le mal présent en ce monde serait autant sa responsabilité que le bien. Dieu déciderait arbitrairement le bien ou le mal (au moins de notre point de vue, mais cette incertitude serait encore un mal pire que les autres) en imposant son vouloir à la manière d’un monarque absolu.
Penser que Dieu est capable de génocides parce que dans sa sagesse un génocide est peut-être utile c’est pervertir Dieu. C’est aller encore plus loin que de prendre son nom en vain4. Évidement le problème c’est que la Bible attribue bel et bien des génocides à Dieu5 (comme par exemple en Nombre 31,1-18). C’est là que la théologie vient au secours d’une herméneutique un peut trop littéraliste.
Commençons par considérer le Dieu créateur du ciel et de la terre6. Sa création est bonne7, et lorsqu’elle arrive à son but (qui n’est pas son terme) elle devient très bonne8. Elle fonctionne selon des lois physiques que Dieu lui-même a établit9. Si je me moque de ces lois physiques, elles me corrigent, même si mes motifs sont spirituels10.
En conséquence si je prends une grosse pierre et que je frappe la tête de mon voisin, il meurt parce que Dieu a fait les rochers plus durs que les crânes des humains (c’est d’ailleurs pour cela que pour un tel acte un meurtrier préférera un cailloux plutôt qu’un ballon). Est-ce la faute de Dieu qui a fait les cailloux trop durs ou les crânes pas assez solides ? Dans ce cas la réponse est simple : non, mon voisin est mort par la faute du meurtrier11.
Par contre on peut s’interroger sur cette personne qui meurt d’un accident de voiture parce que ses freins ont lâché en plein dans un virage. De qui est-ce la responsabilité ? Est-ce celle de Dieu ? Non, ce n’est pas plus la responsabilité de Dieu que de n’importe qui. Et dire à son conjoint survivant que c’était la volonté de Dieu c’est attribuer à Dieu ce qui ne vient pas de lui. La réalité c’est que c’est la faute à « pas de chance », il y avait une fuite du liquide de freinage, parce que le tuyau de la pompe était le seul défectueux sur un lot de 20 000 pièces. Cela fait partie des lois physiques et statistiques qui font tourner ce monde qui n’existerait pas sans elles. Est-ce que ce monde est mal fait ? en l’occurrence c’est le tuyau qui est mal fait et c’est un problème statistique.
De même si j’attrape un virus ou que certaines de mes cellules se mettent à se multiplier de manière anarchique sans que mon immunité n’ai le temps ou la capacité de réagir suffisamment, et que je meurs d’une maladie après des mois ou des années de soins qu’on assimile souvent à un combat, de qui est-ce la faute ? De Dieu ? Pas plus que pour l’accident. Les virus, les bactéries, les rayonnements telluriques12, les mutations et les dérèglements mitotiques13 font partie du fonctionnement normal de la vie.
Le même raisonnement pourrait être tenu avec des évènements de type catastrophe naturelle14.
Le vieillissement aussi nous pose question, mécanisme qui va jusqu’à altérer notre personnalité parfois, mais qui est encore un processus naturel. Le vieillissement et la mort elle-même, font partie des rouages naturels de la création15.
Si Dieu intervenait à chaque fois que nous jugeons une situation injuste, alors qu’elle n’est qu’un phénomène naturel, le monde ne ressemblerait pas à ce que nous connaissons. Ce n’est pas parce que Dieu ne peut pas mais parce qu’il a autre chose en tête…
Mais alors, demanderez-vous, qu’est-ce que Dieu a de plus important à faire que d’arrêter le bras des meurtriers, colmater l’hydraulique fuyante des freins de voiture et renforcer l’immunité des humains pendant les périodes d’épidémie de CoViD ? Le fait que Dieu n’intervienne pas constamment doit nous interroger sur le but de cette création (et aussi sur l’utilité de la foi). Quelle-est donc sa volonté ? Ou plutôt comme nous l’avons dit son vouloir ?
Premièrement ce n’est pas parce que je suis croyant et que j’ai la foi16 que je ne peux pas me heurter le pied sur une pierre17, et de même ce n’est pas parce que j’ai la foi que Dieu doit me guérir plus que quelqu’un qui ne l’a pas. Et pourtant toutes les religions entretiennent jusqu'à aujourd’hui l’illusion que la foi donne un droit au miracle18. Pourtant la volonté de Dieu n’est pas de favoriser ceux qui croient en lui et de défavoriser les autres. Jésus le dit clairement : la foi ne sert pas à s’attirer les bonnes grâces du maître de la création19.
Deuxièmement, si le vouloir de Dieu est associé à un désir d’amour comme nous l’avons dit à travers notre petite étude sémantique sur la thélèma, on comprend que Dieu ne soit pas intéressé à passer son temps à retarder la mort de toutes les personnes qui de toute façon disparaissent toujours trop tôt. La mort physique n’est pas le problème principal. Dieu cherche en réalité à aimer et à être aimé. Et Dieu s’il est amour (comme nous le disent si clairement les documents bibliques de l’école johannique20) n’agit pas seulement par amour mais aussi avec amour.
Alors que fait-il pour aimer et être aimé s’il pense que sauver les gens des accidents et des maladies n’est pas prioritaire ? En tout cas il ne cherche pas à être aimé en couvrant les gens de cadeaux (et de miracles), mais il se met à notre niveau en s’incarnant et en vivant parmi nous21, et il descend encore plus bas en s’abaissant22, s’appauvrissant23 et même il se défait de sa vie24 sur une croix romaine. Curieuse manière de montrer ce qu’il veut ! Mais nous allons voir que cela sert un but.
Pour méditer :
- Qu'est-ce qui cloche si on a une conception de Dieu uniquement « tout puissant » ?
- Est-ce que je suis d'accord que si Dieu nous aime réellement il devrait agir par amour mais aussi avec amour ?
- Mais agir avec amour est-ce être faible et céder à tous les caprices de ses créatures ?
Notes
1 Daniel 2,21
2 Certaines populations défavorisées sont obligées de s’établir dans des zones de danger (inondations, tremblements de terre, volcans) ou insalubres, faute de places accessibles dans les zones sécurisées (à cause du nombre ou à cause du prix, bien souvent les deux). De même certaines catastrophes naturelles semblent liées à l'activité humaine qui exploite la nature au delà des ressources qu'elle peut fournir.
3 Influencé par ses « amis », Job intente un procès au faux dieu qu’ils lui décrivent. Et à la fin Dieu donne raison à Job.
4 Exode 20,7 ; Deutéronome 5,11
5 Il faut garder à l’Esprit que la Bible est un texte évolutif. Selon l’appartenance de tel ou tel auteur à telle ou telle époque et à telle ou telle tendance religieuse (prêtes, scribes, prophètes, sages…) la façon de parler de Dieu (c’est à dire de faire de la théologie) n’est pas la même, et peut parfois entrer en tension avec ce que disent d’autres auteurs bibliques. La Bible est un recueil de réflexions sur Dieu qui se complètent les unes les autres et qui culminent dans la révélation de Dieu en Jésus-Christ.
6 Genèse 1 et 2 ; Psaume 19,2-7 ; etc.
7 Genèse 1,4.10.12.18.21.25
8 Genèse 1,31
9 Job 38,4-38
10 Luc 4,9-12
11 Exode 35,17a
12 La radioactivité naturelle de la terre.
13 La mitose est le processus biologique grâce auquel les cellules se multiplient. Lorsque la mitose se dérègle, cela peut aboutir à la formation de tumeurs cancéreuses.
14 Luc 13,4
15 Ils ne sont pas une punition de Dieu pour le péché d’Adam et Eve.
16 Croire et avoir la foi sont deux choses différentes mais complémentaires. Croire relève plutôt de l’adhésion intellectuelle, avoir la foi relève plutôt de la confiance. Cette confiance se révèle dans la capacité à croire que Dieu peut et a ressuscité Jésus. Elle se confie (mot de la même racine que foi) en Dieu jusque dans l’incompréhensible, jusque dans la mort, à l’exemple du pionnier de la foi : Jésus-Christ (Hébreux 12,2).
17 Luc 4,11-12
18 Ici n’est pas le lieu de disserter sur les miracles, mais disons simplement que dans le Nouveau Testament, les miracles que Jésus ou les apôtres faisaient n’avaient pas pour but de susciter la foi ou de convaincre les foules d’adhérer au message. Ils servaient à montrer qu’ils n’étaient pas des imposteurs (Jean 3,2 ; Marc 16,20). Aujourd’hui la sociologie de la religion montre que c’est plutôt l’inverse : ceux qui prétendent faire des miracles sont (souvent) des imposteurs. Le miracle n’est pas impossible, puisque rien n’est impossible à Dieu mais il n’est pas une promesse de Dieu.
19 Luc 13,4
20 L’évangile et les épîtres de Jean.
21 Jean 1,14
22 Philippiens 2,8
23 2Corinthiens 8,9
24 1Jean 3,16