Qu’en pensez-vous ?
Un homme avait deux fils ; il s’adressa au premier et dit :
Mon enfant, va travailler dans la vigne aujourd’hui.
Celui-ci répondit : "Je ne veux pas".
Plus tard, il fut pris de remords, et il y alla.
L’homme s’adressa alors au second et lui dit la même chose.
Celui-ci répondit : "Bien sûr, maître". Mais il n’y alla pas.
Lequel des deux a fait la volonté du père ?
Ils répondirent : Le premier.
Jésus leur dit : Amen, je vous le dis, les collecteurs des taxes et les prostituées vous devancent dans le royaume de Dieu1.
Ici Jésus met en parabole ce qu’il a déjà exprimé sous la forme d’un autre genre littéraire : le sermon2. Comme la plupart des paraboles, celle-ci renverse une vision de Dieu traditionnelle et trop humaine. Il commence par une banalité évidente : le travail de la vigne ne se fait pas avec des paroles mais avec de l’huile de coude.
Ainsi la volonté de Dieu se fait. Et la parabole comme le sermon sur la montagne nous appelle clairement à la faire.
Nous disions précédemment que si nous voulons répondre de manière appropriée à l’amour de Dieu, il faut que notre réponse soit du même ordre que la manière dont Dieu a exprimé son amour et qu’en toute logique nous aussi nous devrions mourir ! Nous devrions être les Roméos humains de notre Juliette divine. Mais nous avions déjà deviné, du fait de la différence entre Dieu et les hommes, que le plan de Dieu prévoyait une surprise. En tant que disciple de Jésus :
A ceci nous connaissons l’amour : c’est que lui s’est défait de sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons nous défaire de notre vie pour les frères.
Dieu ne demande rien pour lui. Il ne réclame pas notre mort dans un sacrifice spectaculaire, ce qu’une divinité grecque aurait certainement apprécié ! Non ! Dieu veut que nous donnions notre vie pour nos frères. Mais qu’est-ce que cela veut-il dire ?
L’épître aux Colossiens (1,18) ou l’Apocalypse de Jean (1,5) qualifient Jésus par un jeu de mot en le désignant comme « le premier-né d’entre les morts ». Jésus est aussi « le premier-né d’une multitude de frères »3. Ainsi les chrétiens se voient comme frères dans la mort de Jésus. A la différence prêt que Jésus est passé au travers de la mort physique puis ressuscité alors qu’en tant que chrétiens nous sommes encore dans l’espérance d’être « semblables à lui »4.
Pour que cette espérance de la résurrection ait un sens elle s’appuie sur le baptême qui est « le baptême en sa mort » (Romains 6,3 - TOB). Être baptisé, ce n’est pas participer à une cérémonie religieuse qui se termine en mangeant des dragées. Être baptisé c’est mourir :
Ignorez-vous que nous tous qui avons reçu le baptême de Jésus-Christ, c'est le baptême de sa mort que nous avons reçu ? Par ce baptême de la mort, nous avons donc été ensevelis avec lui... (Romains 6,3-4a).
Si notre mort biologique ne saurait tarder (quelques dizaines d’années< , en tout cas guère plus qu’une centaine), la mort dans le baptême n’a de réalité que si elle est le résultat d’un processus qu’on appelle repentance dont la définition biblique la plus évocatrice est celle de Romains 12,2 :
Ne vous conformez pas à ce monde-ci,
mais soyez transfigurés
par le renouvellement de votre intelligence,
pour discerner quelle est la volonté de Dieu :
ce qui est bon, agréé et parfait.
Se repentir c’est donc d’abord et avant tout refuser de se conformer à ce monde et renouveler son intelligence de manière à se laisser métamorphoser (changer de forme). Remarquons qu’il ne s’agit pas de se transformer soi-même. La repentante ce n’est donc pas « changer » mais plutôt « se laisser changer ».
Selon cette définition, il ne s’agit pas de s’abandonner de manière totalement aveugle, mais de s’abandonner parce qu’on connait, par notre intelligence renouvelée, la théléma de Dieu, le désir de Dieu envers et pour nous. C’est parce que nous connaissons l’amour de Dieu que nous pouvons nous laisser faire en toute confiance, c'est-à-dire dans la foi.
Ne pas se conformer à ce monde, selon les mots de Paul, c’est ce que Jésus appelle se renier soi-même ou encore porter sa croix. L’expression se renier soi-même (Matthieu 16,24 et //) est un appel de Jésus dont les évangélistes montrent qu’il ne relève pas d’une simple adhésion aux valeurs de Jésus ni d’un simple vœu pieux, mais d’une radicalité qui engage toute la vie du disciple5.
L’expression « prendre/porter sa croix »6 incite le disciple à la radicalité du choix de suivre Jésus ce qui veut dire l’imiter comme un maître.
On pourrait trouver d’autres expressions qui expriment la radicalité de l’appel à se repentir (ou, ce qui revient au même, à devenir disciple). Mais cette radicalité s’exprime aussi par des gestes. Ces gestes sont de type prophétique. Pourtant, le caractère prophétique de ces gestes passe inaperçu aux yeux de nos contemporains parce qu’au fil des siècles nous nous y sommes habitués et il est hautement probable que la plupart des personnes qui aujourd’hui même y participent n'y comprennent rien ou pas grand chose. Le « baptême en sa mort » en est un qui exprime et participe pleinement à la repentance. Celui qui en allant se faire baptisé, n’a pas ce sentiment de faire basculer son existence n’a probablement pas été réellement baptisé tout au plus a-t-il pris un bain.
De même, participer au « dîner du Seigneur » (encore appelé eucharistie ou agape ou communion ou fraction du pain), est souvent mal compris. On perçoit bien, dans la solennité du moment, qu’il y a quelque chose d’important qui se passe, mais on ne saurait pas toujours comment l’expliquer. Or, ce qui se passe c’est que nous buvons le sang et mangeons la chair du Seigneur afin d’annoncer cette mort à laquelle nous participons en ayant été baptisé.
Ces deux « symboles » que sont le baptême et l’eucharistie ne doivent pas être confondus avec de simple « signes ». Il ne s’agit pas juste de la participation à une cérémonie, mais d’un engagement et du rappel régulier de cet engagement à vivre7 comme disciples de Jésus, en acceptant son vouloir qui est de « marcher comme lui a marché »8 et non de faire de nous des êtres religieux.
La repentance c’est donc se mettre dans une condition spirituelle telle que nous sommes capables de discerner et de faire la volonté de Dieu. La repentance, c’est donner à Dieu la permission de nous transformer à l’intérieur. Et cette transformation commence au baptême et au baptême seulement, puisque le baptême est un don de Dieu que l’on reçoit et qui fait partie de la repentance. On ne se baptise pas soi-même, on est baptisé (sous entendu par Dieu par l’intermédiaire de quelqu’un). Tout comme on ne se transforme pas : on est transformé.
Ainsi, la volonté de Dieu, c'est-à-dire le désir de Dieu pour nous, c’est que nous soyons baptisé et que nous vivions en nouveauté de vie9, ou pour le dire autrement, dans la repentance.
Le désir de Dieu pour nous c’est que nous répondions à son désir envers nous. C’est cela faire la volonté de Dieu. Il ne s’agit pas seulement d’obéir comme on obéirait à ses parents. Mais de discerner et vouloir ce que Dieu veut10. C’est dans ce sens que Pierre dit en Actes 5,29 : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’à des humains », puisqu’au verset 32 il explique qu’obéir c’est d’abord une question… d’Esprit Saint.
Dans la religion il est possible de rencontrer des personnes qui semblent extérieurement mieux faire la volonté de Dieu que d’autres. Soit parce que c’est plus facile pour eux, soit parce qu’ils sont très motivés par leurs désirs propres. Ainsi, à l’intérieur ils ne cherchent pas à répondre au désir d’amour de Dieu pour eux. Tout en faisant apparemment, bien religieusement, la volonté de Dieu, ils n’obéissent pas à Dieu. C’est la raison pour laquelle Jésus se confronte si fortement aux pharisiens11. Il ne critique pas ce que font les pharisiens, mais leur motivation12.
Dans le royaume des cieux, contrairement à ce qui se passe ici bas, celui qui fait beaucoup sans aide de Dieu sera moins admiré que celui qui fait peu avec l'aide de Dieu, c'est-à-dire par amour pour Dieu13. Notre travail est donc, si j’utilise un vocabulaire moderne, de trouver la bonne motivation en entretenant notre relation avec Dieu.
L’huile de coude dont je parlais au début de ce texte est une huile spirituelle c'est-à-dire qui vient de l’Esprit, ou pour le dire autrement, un carburant qui vient de ce que nous avons été touché et sommes reconnaissants pour ce que Dieu a fait pour nous, en particulier sur la Croix qui est le summum de la démonstration du désir de Dieu pour nous.
Pour méditer :
- Vers qui notre réponse concrète (c'est à dire notre faire) à l'amour de Dieu devrait-elle être dirigée ?- Qu'est-ce que Jésus à fait qui permet aux chrétiens d'être frères et sœurs ?
- Comment s'exprime mon oui à l'amour de Dieu ? Par quels gestes précis ?
- Pourquoi est-il impossible de juger au premier regard, ni positivement (admirer), ni négativement (condamner), si quelqu'un fait la volonté de Dieu ?
- Qu'est-ce qu'il faut chercher quand on veut juger si soi-même ou quelqu'un d'autre fait la volonté de Dieu ?
- Qu'est-ce qui permet de persévérer au long terme dans la vie chrétienne ?
Notes
1 Matthieu 21,28-31
2 Matthieu 7,21
3 Romains 8,29
4 1Jean 3,2-3
5 Marc 14,28-31
6 Matthieu 10,38 ; 16,24 ; Luc 14,27
7 Comme le dit Tertullien parlant des Agapes chrétiennes : à la fin du repas, « chacun s'en va de son côté, (…) en gens qui ont pris à table une leçon plutôt qu'un repas » ; TERTULLIEN, Apologie du christianisme, 39,16-19.
8 1Jean 3,6
9 Romains 6,4 - Colombe
10 La vie spirituelle consiste à contempler, ressentir, saisir, capter, l’amour de Dieu pour qu’il nourrisse notre volonté.
11 Jésus est assez proche des pharisiens. L’adage qui dit « qui aime bien châtie bien » serait tout à fait adapté à la relation entre Jésus et les pharisiens.
12 Cf. Matthieu 5,17-20
13 Marc 12,41-44 ; Luc 21,1-4