Clément d’Alexandrie (Repas du Seigneur)

Clément d’Alexandrie est un écrivain grec issu de l’école d’Alexandrie, une école théologique dont l’objectif était de parler du christianisme aux païens, et qui utilisait la philosophie grecque pour tenter de se faire comprendre. Par exemple dans son ouvrage le plus connu, Le Pédagogue, il écrit :

… il est bien de ne pas manger de la viande et de ne pas boire du vin,
c'est le conseil de l'apôtre et des Pythagoriciens1.

Remarquons que l’apôtre (Paul) n’a pas vraiment dit cela. Remarquons aussi la juxtaposition des Pythagoriciens à Paul. Rigoriste, Clément n’aime pas les Agapes chrétiennes, qu’il juge comme des repas déguisés en cultes pour le Seigneur.

Ces assemblées, qui n'ont d'autre cause et d'autre but que le plaisir, nous leur donnons avec justice les noms de dîner, de souper, de festins, mais le Seigneur ne les a point appelés agapes. (…) Je comprends que la gourmandise cherche à déguiser ses excès sous un nom honorable et spécieux, (…) car ils n'ont pas appris que Dieu a permis à l'homme le boire et le manger pour la nécessité et non pour le plaisir. (...) L'agape est une nourriture céleste, un festin raisonnable ; (…) Heureux celui qui assistera au festin du royaume de Dieu ! Quelle chute, si l’amour, qui ne peut mourir et qui habite le ciel, s'abaissait aux honteux plaisirs de la terre ! Pensez-vous que ces repas, qui seront abolis, je les estime quelque chose? (…) C'est dans les cieux qu'est le banquet céleste...2

Pour lui le plaisir c’est pour plus tard, lorsque nous serons au ciel. Il a une vision stoïcienne de la vie chrétienne. Et lorsque dans le même chapitre de son live, il commente l’apôtre Paul qui donne quelques libertés au Corinthiens (par exemple sur les viandes sacrifiées aux idoles) il s’empresse de minimiser la permission donnée. Ainsi dans le chapitre suivant, lorsqu’il décrit l’eucharistie, il ajoute des motifs absolument étranger au Nouveau Testament, mais tout à fait assimilables par un stoïcien3 ayant une vision de la raison qui domine la matière et le monde, sauf qu'au lieu de l'appeler raison, Clément l'appelle Esprit en référence à l'Esprit-Saint.

Le sang entre en mélange avec le salut. Le sang du Seigneur est, de deux natures, l'un charnel qui nous rachète de la mort, l'autre spirituel, qui nous purifie. Boire le sang de Jésus, c'est participer à l'incorruptibilité du Seigneur. L'esprit est la force du Verbe, comme le sang est la force de la chair. Comme le vin se mêle à l'eau, l'esprit est mêlé avec l'homme. Ce mélange de l'un et de l'autre, je veux dire du Verbe et de la boisson, s'appelle Eucharistie, qui signifie de grâces; et ce sacrement sanctifie l'âme et le corps de ceux qui y participent avec foi, lorsque la Volonté divine a mystiquement mélangé, par l'Esprit et le Verbe, ce divin breuvage qui représente l'homme. L'esprit, en effet, s'y mêle à l'âme, et le Verbe à la chair.4

On a de la peine à savoir de quelle manière il envisage que le vin est le sang de Jésus même si manifestement il y a un caractère de réalité dans l’analogie entre les deux. Il explique un peu plus loin que :

Le mélange de l'eau et du vin dans le sacrement de l'Eucharistie représente l'union de la loi nouvelle et de la loi ancienne, union qui forme aujourd'hui le vrai culte offert par le Christ, et agréable à Dieu. L'eau est l'ancienne loi, le vin est le sang du Christ qui est le fondement de la loi nouvelle.

Tout le Pédagogue est une dénonciation du plaisir terrestre et un appel à une discipline de fer. Même le rire dans les réunions est suspect et il faut avoir soin d'en comprimer les éclats5.


Notes

1 Clément d’Alexandrie, Le pédagogue, Livre II, chapitre 1

2 Clément d’Alexandrie, Le pédagogue, Livre II, chapitre 1

3 « Clément ne craint pas d'interpréter l'eucharistie en termes platoniciens, stoïciens, ou à la manière de Philon » ; Willy Rordorf, L’Eucharistie des premiers chrétiens, Coll. Le point théologique, Beauchène, Paris, 1976

4 Clément d’Alexandrie, Le pédagogue, Livre II, chapitre 2

5 Clément d’Alexandrie, Le pédagogue, Livre II, chapitre 5