L’homme a-t-il un libre arbitre ?

Question : J'ai lu cet article sur le libre arbitre :

L'homme a-t-il un libre arbitre ?

Si je comprends les débats, nous sommes libres dans le sens où nous avons la possibilité de choisir mais nous n'avons pas le libre arbitre car nous ne pouvons pas de nous mêmes faire le bien. Nous avons le choix mais pas la volonté/la capacité (esprit bien disposé mais chair faible) car en quelque sorte le péché nous colle à la peau.

On pourrait donc se poser la question, pourquoi Dieu nous a fait faillible ? pourquoi ne sommes nous pas parfait comme lui ? Je n'ai pas encore la réponse mais je pense que je ne le saurai jamais . Je suppose que ça c'est un "mystère" ?

Linda


Éléments de réponse :
Les calvinistes, qui reprirent la pensée de Calvin, ont souvent amplifié le déterminisme1 de celui-ci. Jonathan Edwards admirateur de Georges Whitefield2 est de ceux là qui pousse le raisonnement au bout. Partant du constat que l'homme ne sait produire que du mal, il bâtit un raisonnement pour expliquer pourquoi avec un mélange d'arguments philosophiques et bibliques. Pourtant, est-ce vraiment un point de départ fiable ? Peut on raisonnablement dire que l'homme ne sait faire que le mal ? Et même si cela était vrai, peut-on raisonnablement dire que le mal est une nécessité inhérente à l'homme ? Après avoir lu cet article on peut légitimement se demander avec Irénée de Lyon « Eh quoi ? Dieu n'eut-il pu faire l'homme parfait dès le commencement ? » (Contre les Hérésies, Livre IV §38 v1).

Comme l'a montré Ernst Troeltch3 l'action humaine ne peut s'expliquer par un déterminisme, mais seulement par un enchaînement de faits (contingents4!) s'influençant les uns les autres. Cela rend l'histoire relative et la foi inconfortable car celle-ci doit alors constamment chercher et savoir que ce qu'elle trouve sera toujours le départ d'une nouvelle recherche. Le Calvinisme (pas nécessairement Calvin lui-même) au contraire veut permettre une compréhension théologique globale du monde. Mais il donne alors une image de Dieu implacable, inaccessible et partiale, dont la justice est aléatoire et incompréhensible, en un mot mystérieuse. Ce qui est au final le contraire de ce que Jésus voulait faire ! L'erreur consiste à partir d'un concept sur Dieu et d'en déduire comment cela se manifeste dans le monde alors que la bonne attitude, pour tout homme qui cherche Dieu, doit faire le contraire : a partir de ce qu'on observe dans le monde nous devons utiliser à la fois notre raison (diabolique pour les luthériens et calvinistes et donc inutilisable) et la Bible (révélation) de manière corrélative pour comprendre Dieu.

L'un des postulats des réformateurs, qui pour le coup ne sont pas si réformateurs puisqu'ils reprennent en l'amplifiant la théologie d'Augustin mille ans avant eux, c'est « la chute de l'homme » qui serait décrite en Genèse 3. Mais Genèse 3 décrit-il réellement une chute, c'est à dire une déchéance ? Pour que ce soit le cas, il aurait fallu que l'homme soit créé parfait, et qu'il perde ensuite sa perfection première en chutant dans le péché. L'histoire de l'humanité serait donc une sorte de quête à la recherche du passé pour revenir à l'état initial. Mais il y a un problème philosophique inhérent à un tel raisonnement et qui a suscité la question à laquelle nous tentons de répondre : comment un être parfait peut-il être faillible ? Et s'il est infaillible, alors il y a deux possibilités, Dieu a créé quelque chose d'imparfait, ou alors il a créé le péché.

L'autre possibilité serait que l'homme ait été créé imparfait non pas au sens ou il serait créé avec des défauts de fabrication (comme dans l'interprétation ci-dessus), mais plutôt au sens grec du terme : incomplet, pas encore terminé (voir un article sur ce sujet). De la sorte, l'histoire humaine n'est plus la recherche d'un paradis perdu, mais la recherche d'un accomplissement, d'un épanouissement. Le péché ne consiste donc pas à déchoir, mais à s'opposer au dessein de Dieu de nous terminer, comme des enfants qui refusent de grandir. Cette opposition n'est alors pas due à une chute initiale qui a rendu l'homme mauvais, mais à un désir d'autonomie. Désir aveugle car incapable de voir son besoin de Dieu5. Cette incapacité provenant justement du fait que Dieu nous donne... le libre arbitre et sa conséquence, la liberté.

Libre arbitre car Dieu nous a donné une certaine6 capacité à décider et agir, c'est à dire à nous déterminer : si nous étions sans aucune force, totalement incapables de quoi que ce soit de personnel, nous n'aurions pas de choix. Dans son amour Dieu nous donne la possibilité, en nous donnant une (petite) capacité d'action, d'accepter ou de refuser d'entrer dans son plan d'émancipation spirituelle, afin que cet amour puisse être réciproque.

Ce libre arbitre qui permet d'avoir le choix crée alors la liberté. Elle est la condition indispensable à la relation d'amour dont la Bible ne cesse de nous dire que c'est ce que Dieu veut et que c'est ce qu'il est (1Jean 4,8.16). Ce qu'il prouve car même lorsque nous choisissons de nous livrer comme esclaves au péché, Dieu vient encore payer notre affranchissement, si nous l'acceptons. Refuser revient à confirmer notre choix d'être pécheur.

Pourrait il nous obliger à accepter son amour ? Peut-on qualifier d'amoureuse une relation obligatoire ? Dans le système calviniste pour répondre à cette question on est obligé de postuler une élection qui est aléatoire et donc mystérieuse du point de vue humain : Dieu créerait des hommes, certains pour la perdition, d'autre pour la vie éternelle selon un décret inaccessible et incompréhensible aux hommes. L'amour de Dieu n'est alors que théorique et dogmatique.

Pourtant Dieu n'a-t-il pas envoyé son fils comme révélation, comme Parole, pour lever le voile du mystère ? (Matthieu 13,11 ; Romains 16,25 ; 1Corinthiens 2,7 ; Ephésiens 1,9 ; Colossiens 1,26-27 ; 2,2 ; etc.). Si l'on ne considère pas Genèse 3 comme une chute mais comme une erreur due à un mauvais choix permis par libre arbitre de l'homme, le mystère est levé car Dieu nous en donne connaissance à travers son Fils Jésus-Christ : nous sommes dans un processus d'accouchement / d'adoption / de révélation des fils de Dieu (Romains 6 à 8).

Conclusion : l'auteur de cet article est semble-t-il un calviniste convaincu. Il n'envisage pas, même dans un échange dialectique, d'autres auteurs que ceux qui vont dans le sens de la thèse qu'il défend et qui est une des thèses philosophiques majeure des mouvements évangéliques (car contrairement à ce que le nom de la revue pourrait faire penser, elle n'émane pas d'une faculté de théologie réformée mais d'une faculté de théologie évangélique) ; même si certains courants évangéliques méthodistes réfutent le calvinisme pur et dur et en accepte une version non déterministe qu'on appelle arminianisme (doctrine d'Arminius, théologien hollandais du début du 17ème siècle qui modifie le déterminisme calviniste).

Il est dommage qu'une conclusion soit donnée de manière si tranchée sans en référer à des théologiens plus récents (Jonathan Edwards est un théologien du 18ème siècle). Mais cela est logique puisque peu de théologiens protestants sérieux de l'ère moderne acceptent encore un calvinisme pur et dur.


Notes

(1) Le déterminisme est un concept philosophique qui envisage le cas où tout est déterminé d'avance (par différentes causes qui peuvent être divines, physiques, biologiques, psychologiques, sociologiques, magiques...). Les notions qui sont liées, mais avec des nuances importantes toutefois, sont le fatalisme, la causalité, la nécessité ou la destinée.

(2) Georges Whitefield est avec John Wesley une figure fondatrice du méthodisme. Il s'opposa à son ami John Wesley (partisan de l'arminianisme, doctrine qui refuse la prédestination calviniste) entre autre sur la question du libre-arbitre et de la liberté du chrétien ce qui aboutit à la division des sociétés méthodistes.

(3) Philosophe et Théologien allemand du début du 20ème siècle.

(4) La contingence s'oppose à la nécessité et par là au déterminisme divin : si déterminisme divin il y a, alors rien de ce qui existe ou de ce qui se passe ne peut être dû à des choix aléatoires de l'être humain. Ces choix eux-mêmes sont déterminés par Dieu. Un phénomène contingent est au contraire un phénomène qui s'est produit mais qui aurait tout aussi bien pu ne pas se produire.

(5) Bonhoeffer parle « du fantasme de la réalisation de l'homme par lui-même ».

(6) Limité par ce que les théologiens appellent « finitude » et qui correspond à notre état de créature. Les calvinistes assimilent la finitude de l'homme avec les conséquences du péché, ce qui est une erreur. Nous sommes physiquement limité dans l'espace mais aussi dans le temps (c'est à dire mortels) dès le début. Ce qui meurt en Genèses 3,6 selon la promesse de Genèse 2,17 ce n'est pas le corps (la promesse précise « le jour même où tu en mangeras tu mourra », ce qui n'est pas le cas) mais c'est la relation : cette mort s'exprime dans le texte par la peur, le désir de se cacher, et la question de Dieu : « où es-tu ? ».

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