Comprendre Matthieu 23
Question :
Est-ce que quelqu'un peux m'expliquer Matthieu chapitre 23 ?
David
Éléments de réponse :
Pour étudier ce chapitre, je le couperai en trois. Bien que ce chapitre, nous allons le voir, ne peut pas être lu sans avoir entête les chapitres 21 et 22 ainsi que le début du chapitre 24, on peut dire qu'il y a une introduction, puis le cœur du chapitre et enfin une conclusion.
L'hypocrisie des Scribes et des pharisiens (23,1-12)
Après avoir bataillé ferme avec les grands prêtres et les anciens1 dans le temple2 au chapitre 21 et avec les pharisiens et les sadducéens3 au chapitre 22, voilà le chapitre 23 qui va terminer cet affrontement. Mais contrairement aux chapitres 21 et 22 ou Jésus faisait face aux pharisiens et aux sadducéens, ici, Jésus s'adresse aux foules (les gens normaux, non religieux) et aux disciples (qui ne sont donc pas religieux non plus).
En mentionnant les disciples de Jésus, Matthieu s'adresse à son Église. Il faut se rappeler que Matthieu écrit son évangile vraisemblablement en Syrie, aux alentours de l'année 85. A ce moment là il y avait beaucoup de synagogues juives en Syrie et donc beaucoup de pharisiens. Les Sadducéens avaient disparu, car le temple avait été détruit par les romains en 70. Les pharisiens représentaient donc ce qui restait du judaïsme. C'est pourquoi Matthieu, par l'intermédiaire de Jésus dit que les scribes et les pharisiens se sont assis4 dans la chaire de Moïse. Et il est vrai que l'avantage qu'avaient les pharisiens, c'est qu'ils conservaient dans leur synagogues des copies des rouleaux de la loi. Les chrétiens juifs de Syrie allaient encore à la synagogue pour entendre la lecture des rouleaux. Mais les juifs voulaient les chasser parce qu'ils parlaient probablement trop de Jésus. La manière dont Matthieu présente son histoire de Jésus reflète aussi cette tension.
Ce que Jésus (et Matthieu en rapportant ses paroles) souligne ce n'est pas que les Pharisiens disent des choses fausses, mais plutôt qu'il ne mettent pas en pratique ce qu'ils enseignent. Il va fustiger leur hypocrisie pendant tout le chapitre ! Car Jésus est conscient que l'exemple est plus important que les mots surtout en ce qui concerne ceux qui se veulent être les bergers du troupeau.
En imposant aux gens toutes sortent de règles religieuses (dont Jésus va donner quelques exemples par la suite) qu'ils ne respectaient pas eux-même ces religieux osaient, au nom de Dieu, alourdir la vie quotidienne des gens du peuples qui déjà, luttaient pour leur propre survie.
Alors Jésus dit aux foules et à ses disciples : 2 Les scribes et les pharisiens se sont assis dans la chaire de Moïse. 3 Faites et observez donc tout ce qu'ils vous diront, mais n'agissez pas selon leurs œuvres, car ils disent et ne font pas. 4 Ils lient des charges lourdes, difficiles à porter, pour les mettre sur les épaules des gens, mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
L'hypocrisie des scribes et des pharisiens s'étend aussi à leur réputation :
- Les phylactères sont de petites boites carrées dans lesquelles on place des petits parchemins sur lesquels on a écrit Deutéronome 6,4-9, Deutéronome 11,13-29, Exode 13,2-10 et 13,11-13. Ces boites étaient placées sur la tête ou sur le bras. Les élargir servait à ce qu'elles soient bien vues et qu'on remarque bien que celui qui les portait était un homme pieux.
- Les premières places, comme aujourd'hui encore étaient réservées aux gens importants.
- Rabbi est dérivé d'un mot hébreu qui veut dire mon maître.
5 Toutes leurs œuvres, ils les font pour être vus des gens. Ainsi, ils élargissent leurs phylactères et ils agrandissent les houppes de leurs vêtements ; 6 ils se plaisent à avoir la première place dans les dîners et les premiers sièges dans les synagogues, 7 être salués sur les places publiques et être appelés Rabbi par les gens.
Pour aider les foules et les disciples à ne pas se faire avoir par l'arrogance pharisienne, Jésus leur transmet une théologie de base avant de leur donner quelques principes de vie dans l'église qui prennent le contrepied de ce que les pharisiens font :
- D'abord, un seul est le maître : Dieu.
- Ensuite, un seul est père : Dieu.
- Enfin, un seul est le véritable enseignant : le Christ
En effet, c'est Jésus qui nous a montré (par l'exemple contrairement aux pharisiens) comment vivre avec Dieu. Dans les invectives violentes contre les autorités relieuses qui vont suivre, il parle souvent de l'aveuglement (v16.17.19.24.26). Or celui qui ouvre les yeux des aveugles, c'est Jésus lui-même (Matthieu 9,30 ; 11,5 ; 12,2 ; 15,30 ; 20,34). Il est le véritable enseignant qui permet de comprendre l'essence de la loi de Dieu (v10).
Personne ne peut prétendre, sous prétexte de connaissance, imposer quoi que ce soit aux autres dans l'Eglise. Seul Dieu peut. Ceci dit, en matière religieuse, Dieu, à travers Jésus n'impose pas grand chose à part peut-être le baptême (avec ce qui va avec : la foi et la repentance), la commémoration du Repas du Seigneur, et éventuellement le lavement des pieds (Cf. Jean 13,16) dont le principe se retrouve dans les v11 et 12. En matière morale par contre, l'amour représente un vaste programme qui ne nous laisse pas sans travail !
Jésus n'exclue pas une hiérarchie dans l'Eglise. Mais celle-ci est renversée : le plus grand parmi vous sera votre serviteur. L'idée est que nous sommes frères. Aucun n'est plus frère que les autres. Ce n'est pas parce que quelqu'un a de plus grandes responsabilités qu'il doit s'asseoir devant, se faire appeler maître, être plus salué sur les places publiques. L'honneur revient à Dieu seul. Se comporter comme les pharisiens revient à usurper l'honneur dû à Dieu et à son Christ.
Quand Jésus parle de s'abaisser, il ne parle pas de s'humilier ou de s'effacer. Il s'agit à la lumière du v11 de servir les autres, même si (et encore plus si) on est dans une position « supérieure ». Servir dans ce sens relève aussi des tâches qui peuvent sembler subalterne (cf. Matthieu 20,26-27).
En tout ceci, Jésus est révolutionnaire. Car s'abaisser à servir était la marque de l'humiliation. Celui qui dans l'antiquité faisait cela (qu'il soit juif ou grec) montrait par là qu'il avait raté quelque chose dans sa vie.
8 Mais vous, ne vous faites pas appeler Rabbi ; car un seul est votre maître, et vous, vous êtes tous frères. 9 Et n'appelez personne sur la terre « père », car un seul est votre père, le Père céleste. 10 Ne vous faites pas appeler docteurs, car un seul est votre docteur, le Christ. 11 Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. 12 Qui s'élèvera sera abaissé, et qui s'abaissera sera élevé.
Sept malédictions contre les Scribes et les pharisiens (23,13-36)
Dans ce passage Jésus lance sept malédictions contre les scribes et pharisiens.
V13 Le Royaume des Cieux ici est soit l'Eglise, soit le Royaume de la fin des temps. Probablement les pharisiens du temps de Matthieu décourageaient les juifs qui voulaient se convertir à Jésus en prêchant ouvertement contre les chrétiens. Mais ce que Jésus reprochait au début aux pharisiens c'est leur hypocrisie. Ce qui ressort de ce texte pour nous, c'est que si nous voulons aider les gens (dont nos propres enfants) à être chrétiens, nous devons nous comporter comme des disciples de Jésus en toutes circonstances, à l'église mais aussi à la maison.
13 Quel malheur pour vous, scribes et pharisiens, hypocrites ! Vous fermez aux gens le royaume des cieux ; vous n'y entrez pas vous-mêmes, et vous n'y laissez pas entrer ceux qui le voudraient. [14]
V15 Jésus n'est pas contre le prosélytisme. Mais il regrette que la mission juive produise encore plus d'hypocrisie. Ce n'est malheureusement pas surprenant : si les prédicateurs sont hypocrites, les disciples le seront aussi. Nous aussi en tant que missionnaires chrétiens (puisque tous les chrétiens sont missionnaires) nous devons faire attention à ne pas imposer aux gens des règles inutiles qui peuvent aussi repousser les gens en leur donnant une mauvaise image de Dieu.
15 Quel malheur pour vous, scribes et pharisiens, hypocrites ! Vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et, quand il l'est devenu, vous en faites un fils de la géhenne deux fois pire que vous.
16 Quel malheur pour vous, guides aveugles, qui dites : Si quelqu'un jure par le sanctuaire, cela ne compte pas ; mais si quelqu'un jure par l'or du sanctuaire, il est engagé. 17 Fous et aveugles ! Qu'est-ce qui est le plus grand, l'or ou le sanctuaire qui consacre l'or ? 18 Si quelqu'un, dites-vous encore, jure par l'autel, cela ne compte pas ; mais si quelqu'un jure par l'offrande qui est sur l'autel, il est engagé. 19 Aveugles ! Qu'est-ce qui est le plus grand, l'offrande ou l'autel qui consacre l'offrande ? 20 Celui qui jure par l'autel jure par l'autel et par tout ce qui est dessus ; 21 celui qui jure par le sanctuaire jure par le sanctuaire et par celui qui l'habite, 22 et celui qui jure par le ciel jure par le trône de Dieu et par celui qui y est assis.
V16-22 Jésus explique ici qu'on en peut pas distinguer un serment fait « au nom de Dieu » d'un serment qui ne serait pas fait au nom de Dieu, pour la simple raison qu'une telle distinction revient à utiliser le nom de Dieu ou à ne pas l'utiliser pour tromper les gens. C'est prendre le nom de Dieu en vain que de jurer (que ce soit au nom de Dieu ou non) et de ne pas tenir son serment. Par leur hypocrisie légaliste, les pharisiens libéraient les gens de leurs serments en distinguant des serments valables et des serments non valables : cf. Matthieu 5,33-37 et Jacques 5,12.
V23-24 La dîme (un dixième des revenus) était due par tout juif pieux. Les pharisiens allaient jusqu'à la payer pour les plantes aromatiques, c'est à dire pour des petites choses infimes, probablement pour se faire bien voir (v5a) mais négligeaient la justice, la compassion et la foi, c'est à dire, selon les prophètes, ce qui importe le plus à Dieu (Exemple : Ésaïe 1,10-17). Le légalisme est un des péchés le plus combattu par Jésus. Or les pharisiens savaient ce qu'est l'essentiel car ils passaient beaucoup de temps à étudier la loi et les prophètes. Ainsi ils se rendaient bien compte qu'ils avalaient des chameaux (qui avale un chameau sans s'en rendre compte ?), mais ils faisaient plus attention aux moustiques !
23 Quel malheur pour vous, scribes et pharisiens, hypocrites ! Vous payez la dîme de la menthe, de l'aneth et du cumin, et vous laissez de côté ce qui est le plus important dans la loi : la justice, la compassion et la foi ; c'est cela qu'il fallait pratiquer, sans laisser de côté le reste. 24 Guides aveugles, qui retenez au filtre le moucheron et qui avalez le chameau !
V25-26 Que veut dire Jésus quand il parle de purifier l'intérieur ? Il s'agit d'obéissance. Mais pas une obéissance formelle pour faire semblant qu'on aime Dieu. Ultimement c'est d'ailleurs une marque d'incrédulité. Car si j'ai la foi, je crois en l'obéissance, et mes actes d'obéissances sont comme des outils utiles à Dieu. Il s'agit d'obéir sincèrement, en comprenant, en acceptant ce que Dieu demande à travers Jésus qui a montré ce que voulait dire obéir.
Nettoyer l’extérieur sans nettoyer l'intérieur est vain. La moitié du travail est fait, et l'outil est inutilisable (aimeriez-vous manger dans une assiette sale au dedans mais seulement propre à l'extérieur). Mais nettoyer l'intérieur nettoiera automatiquement l'extérieur ! Ce qui rend les pharisiens sales à l'intérieur, c'est la rapine (le vol, la tromperie financière) et l'intempérance (c'est à dire en grec : le non contrôle de soi, c'est à dire les excès).
25 Quel malheur pour vous, scribes et pharisiens, hypocrites ! Vous purifiez le dehors de la coupe et du plat, alors qu'au dedans ils sont pleins de rapacité et d'excès. 26 Pharisien aveugle ! Purifie d'abord l'intérieur de la coupe, afin que l'extérieur aussi devienne pur.
V27-28 Les cimetières, aussi beaux soient-ils, aussi bien entretenus soient-ils, sont quand même des lieux qui rappellent la mort. Les pharisiens sont comme de beaux tombeaux (les tombeaux étaient blanc pour qu'on ne les touche pas la nuit). Si on ouvre la porte et qu'on regarde à l'intérieur, qu'y voit on ? Des restes d'humanité (ossements). En termes spirituels ces ossements sont interprétés comme impureté (toucher un mort pour un juif rendait impur). Celui qui est impur à l'intérieur, aussi beau soit-il à l'extérieur, est spirituellement mort. Les meilleurs intentions ne résistent pas à une motivation mal placée.
27 Quel malheur pour vous, scribes et pharisiens, hypocrites ! Vous ressemblez à des sépulcres blanchis qui paraissent beaux au dehors, et qui au dedans sont pleins d'ossements de morts et de toute espèce d'impureté. 28 Vous de même, au dehors, vous paraissez justes aux gens, mais au dedans vous êtes remplis d'hypocrisie et de mal.
29 Quel malheur pour vous, scribes et pharisiens, hypocrites ! Vous construisez les sépulcres des prophètes et ornez les tombeaux des justes, 30 et vous dites : Si nous avions vécu au temps de nos pères, nous n'aurions pas été leurs complices pour répandre le sang des prophètes. 31 Vous témoignez ainsi contre vous-mêmes que vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes.
V29-31 Les scribes et les pharisiens honorent les tombeaux des grands hommes spirituels du passé mais ne se rendent pas compte qu'ils sont du côté de ceux qui ont assassinés ceux qu'ils honorent (Cf. Matthieu 3,7-10 – Actes 7,51). Bien qu'ils se croient meilleurs et plus avisés que les générations passées, ils sont de ceux qui mettront Jésus à mort.
Ici Jésus termine sa malédiction en continuant sur le thème de la persécution par les juifs des prophètes comme cela a toujours été dans le passé.
Si on se place du point de vue de Matthieu et de ses lecteurs aux alentours de l'année 85, les pharisiens sont non seulement ceux qui ont mis à mort Jésus (Cf. Actes 2,36 – Actes 7,52) mais aussi ceux qui continuent de persécuter et mettre à mort les envoyés de Jésus (v34) en les pourchassant de ville en ville (Cf. Actes 17,13 ; 22,5). Les chrétiens persécutés sont semblables aux prophètes et aux sages d'autrefois. Ils sont comme le premier des justes assassinés, Abel (Genèse 4,8) et comme le dernier dont parle la Bible hébraïque, Zacharie (2Chronique 24,20-22). Il sont ceux qui amènent la véritable interprétation de la loi telle que leur Docteur (Jésus – v10) le leur a enseignée.
32 Mettez donc le comble à la mesure de vos pères ! 33 Serpents, vipères ! Comment pourrez-vous fuir le jugement de la géhenne ? 34 C'est pourquoi, moi, je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes. Vous tuerez et crucifierez les uns, vous fouetterez les autres dans vos synagogues et vous les persécuterez de ville en ville, 35 afin que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez assassiné entre le sanctuaire et l'autel. 36 Amen, je vous le dis, tout cela viendra sur cette génération.
Lamentation sur Jérusalem (23,37-39)
Jésus est un rassembleur. Sa théologie est certes révolutionnaire, mais si simple et si accessible à tous. Contrairement aux scribes et aux pharisiens qui passaient leur temps à chercher quelles règles il fallait suivre (le Talmud identifiera 623 commandements !) et quel châtiment infliger à ceux qui ne les respectent pas Jésus propose une vision d'un Dieu semblable à une poule qui rassemble ses poussins, c'est à dire un Dieu bienveillant, rempli d'amour.
Tuer les prophètes ou lapider les apôtres (même racine que le mot « envoyer ») revient à faire taire celui qui les a envoyés. Or celui-ci est celui a qui la maison (le temple) est dédié. Rejeter le Christ (ou les envoyés du Christ) c'est vider le temple de sa raison d'être et c'est se diriger directement vers le jugement que représente la destruction du temple que Jésus annonce en Matthieu 24,1-2.
Pour ceux qui veulent continuer à espérer en Dieu, il reste à attendre la résurrection du Christ. En effet Jésus a terminé son plaidoyer contre l'hypocrisie et le légalisme, et il se prépare à en subir les conséquences.
37 Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes ! Mais vous ne l'avez pas voulu. 38 Eh bien, votre maison vous est laissée déserte. 39 Car, je vous le dis, vous ne me verrez plus désormais, jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !
Notes
1 Les responsables religieux pour tout le pays.
2 Ce détail a son importance quand on sait qu'au début du chapitre 24 Jésus annonce la destruction du temple.
3 Deux écoles théologiques juives de l'époque. Les pharisiens étaient ceux qui enseignaient dans les synagogues. Les sadducéens enseignaient dans le temple de Jérusalem.
4 ἐπὶ τῆς Μωϋσέως καθέδρας ἐκάθισαν οἱ γραμματεῖς καὶ οἱ Φαρισαῖοι
Sur le siège de Moïse se sont assis [passif] les scribes et les pharisiens.