Qu'est ce que la "saine doctrine" ?

Question :

Qu'est-ce que la saine doctrine dont parle la Bible ? A quel moment est-ce qu'on "sort" de la saine doctrine ?

Margaux


Éléments de réponse :

Commençons par la première question :

Cette expression est d’abord un concept « pastoral » ; je veux dire par là un concept issu des épîtres pastorales que sont 1&2 Timothée et Tite dans le Nouveau Testament. Ces épitres avaient pour but de régler un problème ponctuel dans certaines églises,
 à un certain moment de l’histoire de ces églises (peut-être Ephèse et Crète).
 Cette expression est utile, mais comme de nombreux sujets particuliers elle n’est qu’un élément parmi beaucoup d’autres pour aborder le sujet (crucial) de l’enseignement chrétien.

Bibliquement, selon 1Timothée 1,9-10 la saine doctrine c’est le contraire de :

sans-loi (…) insoumis, (…) impies (…) pécheurs, (…) sacrilèges (…) profanateurs, (…) parricides (…) matricides, (…) meurtriers, (…) gens qui se livrent à l’inconduite sexuelle, (…) hommes qui couchent avec des hommes, (…) trafiquants d’esclaves, (…) menteurs, (…) parjures.

Etymologiquement « saine doctrine » pourrait/devrait être traduite : « l’enseignement sain » ou « enseignement sanitaire » (mais là ça fait bizarre !). Il faut comprendre que c'est un enseignement qui donne la santé, qui guérit
. Et il faut différencier « sain » de « saint » qui veut dire « différent » ou « mis à part »
 (remarquons au passage qu'il n’y a pas l’expression « enseignement saint » dans le Nouveau Testament). Par exemple en Luc 5,31 Jésus dit :

Ce ne sont pas ceux qui sont en bonne santé [littéralement : les étants sains]
qui ont besoin de médecin,
 mais les malades

La racine grecque du mot traduit par « ceux qui sont sains » est la même que celle du mot « saine » dans notre expression « saine doctrine ». Cette racine (ὑγιής - hugiès) découle d'un verbe (αὐξάνω - auxanô) qui veut dire « croître, grandir ».
De même en Luc 7,10 et 15,27 et aussi en 3Jean 2.

La saine doctrine est donc l’enseignement qui nous met en bonne santé ou qui nous fait grandir. On ne peut donc pas simplement réduire notre expression à l’enseignement « juste » ou « orthodoxe ». Ainsi je définirais un « enseignement sain » ou une « saine doctrine » 
comme un enseignement qui aide les gens à s’épanouir. Et quand on parle de grandir ou de s'épanouir, il ne s’agit pas seulement du domaine spirituel,
 mais aussi des domaines intellectuel, émotionnel, social,
 et même corporel1. En effet, notre âme, c'est-à-dire notre « être tout entier » a besoin de Jésus,
 de son enseignement et de sa croix
 pour se développer dans tous les domaines de notre être. En réalité il est impossible de s’épanouir
 dans un domaine sans développer les autres.
 On ne peut pas être « saint(e) » sans être « sain(e) ».

L’enseignement sain c’est celui qui nous conduit dans la maturité. 
C’est un enseignement qui nous pousse à être plus nous-mêmes,
 de plus en plus « sujet »
 et de moins en moins « objet » du monde et de ses dérives,
 mais aussi de moins en moins « objet » de l’église (et de ses dérives)
. Et cela tout en particpant au monde et à l'église (mais en résistant à leurs dérives !). C’est ça devenir plus comme Jésus
 qui est l’homme le plus saint mais aussi le plus sain que la terre ait porté.

On comprend facilement que si l’église veut enseigner sainement,
 elle va devoir faire d’énormes efforts au moins dans deux directions :
- s’adapter à qui elle s’adresse (des gens plus où moins murs et donc dont les besoins ne sont pas uniformes — c’était facile de prêcher quand l’église était constituée à 80% d’étudiants jeunes convertis2…)
- être capable d’enseigner dans divers domaines (autant théologiques et spirituels que émotionnels ou relationnels) de manière cohérente3 à la fois dans la pistis (croyance) et dans la praxis (mise en pratique). Il faut des gens formés à cela dans l’église, et les laisser enseigner !

Et il ne s'agit pas seulement de développement personnel. Car dans le monde beaucoup de gens disent des choses bonnes,
 mais sans Jésus, c’est toujours incomplet
 car il manque alors le côté spirituel
 sans lequel nous ne pouvons pas être pleinement humains.

D'un autre côté, ce n’est pas parce qu’on met Jésus dans ce qu’on dit que c’est forcément bien, ce qui nous amène à la deuxième question sur le périmètre la saine doctrine :

Il y a deux aspect quant à la doctrine (l’enseignement) de l’église :
- le fondement, le cœur doctrinal, qui n’est pas négociable, une doctrine de base sur laquelle tous le monde est d’accord ; c'est notre tradition notre doctrine fondamentale. Celle-ci devrait être bien identifiée (sinon il y a danger), simple, large et inclusive.
- le deuxième aspect important de l'enseignement de l'église c'est l’efficience pour aider les gens à grandir.

A partir de la doctrine de base, dans le cadre définit par l’église,
 qui doit être à la fois cohérent4 et biblique (pas que biblique, ni que cohérent)
 alors on peut enseigner, et même parfois ne pas être d’accord. Cela ajoute une troisième dimension à la doctrine de l’église :
- l’unité
 qui n’est pas uniformité des idées,
 mais convergence de nos intentions :
 il s'agit de vouloir faire la volonté de Dieu ensemble ou pour le dire autrement : vouloir construire ensemble une église qui anticipe le royaume de Dieu
. Et ce n’est pas grave si on ne comprend pas tous la volonté de Dieu de la même manière : ce qui compte c’est que nous soyons unis dans ce désir (en restant dans le cadre) : 1Corinthiens 10,23

Tout est permis,
mais tout n’est pas utile ;
tout est permis,
mais tout n’est pas constructif.

Je viens de parler de désir. C’est très important ! D’ailleurs Bibliquement ceux qui ne supportent pas la saine doctrine
 ont tendance à vouloir suivre leurs propres désirs — cf. 2Timotheé 4,3
 — écriture dans laquelle
 le désir de faire la volonté de Dieu est associé à une saine doctrine. Là encore on est encore loin de l’enseignement « orthodoxe » !! 
C’est cela qui compte : 
quel est mon désir au fond du fond de moi-même quand j’enseigne ?
 que ce soit devant toute l'assemblée ou dans d’autres circonstances 
et même avec les non chrétiens.
Mon désir est-il d’être bien vu ?
Mon désir est-il de démontrer mon savoir ou ma sagesse ?
Mon désir est-il de défendre mes intérêts ou mes idées ?
Mon désir est-il de défendre les intérêts de mon église locale ?
 ou au contraire d’être rebelle à l’église ?
Ou bien est-il celui de plaire à Dieu ?
C’est très important car c’est ce désir de plaire à Dieu
 qui peut me libérer intellectuellement et émotionnellement,
 et qui permet l’humilité et le dialogue.

Quand l’épître à Tite (1,7-9) dit que :

Il faut en effet que l’épiscope soit sans reproche, puisqu’il est un intendant de Dieu ; qu’il ne soit ni arrogant, ni coléreux, ni adonné au vin, ni violent, ni porté aux gains honteux ; mais qu’il soit hospitalier, ami du bien, pondéré, juste, saint, maître de soi, attaché à la parole authentique telle qu’elle a été enseignée, pour pouvoir encourager par l’enseignement sain et réfuter les contradicteurs.

elle implique que la saine doctrine ce n’est pas simplement l’enseignement juste,
 mais un équilibre de tout
 (toujours dans le cadre appelé ici « parole authentique »)
. Cet équilibre on doit le retrouver chez l’épiscope
 comme un exemple de mise en pratique dans (tous les domaines de) sa vie
 depuis longtemps
 (bien avant sa nomination - avec des hauts et des bas certainement, mais cela n’a pas d’importance).

Mais alors il faut faire attention :
 cette écriture pourrait être une sorte d’« éthique des vertus » qui dirait :
 « est bon ce qui vient d’un homme bon » comme disait Aristote. Mais en réalité, remis dans la perspective de Jésus qui dit à l’homme riche :

Pourquoi me dis-tu bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul.

l’écriture ne demande pas à l’épiscope d’être parfait,
 mais de montrer un exemple de personne qui grandit
 (= est saine) dans toute les dimensions de son être
 grâce à la doctrine (saine) qu’il enseigne lui-même.

Je crois qu’un enseignement juste donné avec un mauvais désir n’est pas « sain ».
 Tout comme un enseignement qui n’est pas juste (qui sort du cadre) n’est pas « sain » non plus.

Et j’ai parlé d’efficience :
 un enseignement juste qui n’aide pas les gens à grandir/mûrir/s’épanouir
 n’est pas « sain » non plus
 (pas adapté ? mauvaise motivation ? autre problème ?). C’est ce qui est arrivé à notre mouvement en 2003
 (ceux qui savent à quelle église je participe savent de quoi je parle). Tout en restant dans le cadre, notre enseignement n’était plus sain
1/parce qu’il culpabilisait et infantilisait
 des gens qui avaient mûri
 et dont le besoin n’était plus d’être infantilisés
 (ça peut l’être au tout début de la vie chrétienne
 — cf. Hébreux 5,13)
 mais de devenir sujets (et non objets de l’église)
2/ surtout à cause de sa structure : 
l’enseignement était au service du système
 plus que l’inverse ! (là, beaucoup se reconnaitront surtout quand ils font partie de grandes églises).

L’enseignement sain implique donc à la fois
- celui qui le donne (ou l’église en général)
 qui a pour but de faire grandir en Christ son auditoire
 (dans tous les domaines)
- et celui qui le reçoit qui a pour but de grandir 
et donc faire des efforts — 2Pierre 1,5-8
 (dans tous les domaines).

Le but n’est pas seulement de baptiser des gens
 mais que les gens soient accompagnés, aidés, soutenus,
 jusqu’à ce qu’ils achèvent la course
 pour recevoir la couronne de justice (2Timothée 4,7). Pour que les gens accèdent à la vie éternelle,
 c'est-à-dire qu’ils soient définitivement sauvés
 (c'est à dire en relation avec Dieu définitive)
 ils doivent s’y préparer en grandissant, s'épanouissant, se transformant. La vie chrétienne n'est pas statique. Paul dit qu'en devenant chrétiens nous avons reçu les arrhes de l’Esprit (2 Corinthiens 5,1-5), ce n'est pas pour les enterrer en attendant notre mort ou le retour du Christ (Matthieu 25,18).

Collectivement, en tant qu'église il est nécessaire de faire attention à ne pas tomber dans le piège de la religiosité. Pour cela nous devons cultiver une culture interne (externe aussi) du dialogue,
 c’est à dire faire attention,
 à l’intérieur de notre cadre,
 et avec le bon désir,
 de permettre l’émergence de voix diverses voire même contradictoires.
 Et il faut non pas le tolérer comme un pis-allé ou une conséquence du péché,
 mais il nous faut le vouloir,
 c’est la seule manière pour nous de laisser l’Esprit-Saint
 nous faire grandir collectivement.

Un autre aspect de la compréhension collective de la saine doctrine,
 c’est de réaliser que Jésus est la saine doctrine
 (ce n’est pas la Bible qui est la saine doctrine,
 même si c’est dans la Bible et uniquement dans la bible qu’on trouve Jésus). 
Si nous plaçons quoi que ce soit au dessus de Jésus,
 et quand cela arrive nous n’en sommes généralement pas conscient,
 il faut donc des gens avisés (qu’on écoute) pour s’en rendre compte
. Par exemple si nous définissons notre christianisme par :
- lire sa bible et prier tous les jours,
- ne pas dire de gros mots,
- ne pas coucher avant le mariage,
- ne pas divorcer,
- être au culte tous les dimanche
s,
- être gentil les uns avec les autres,
Alors nous devenons religieux avec nos dix commandements
... qui pourtant sont bibliques !

Mais si nous définissons notre christianisme par :
- Jésus m’a sauvé (= donné une relation avec Dieu)
- et je veux me préparer à vivre une relation éternelle avec lui en grandissant
- tout en aidant d'autres à le connaître,
on comprend que chacun n’aura pas exactement la même manière de marcher sur l’unique chemin (Jean 14,6).
Ce que l’église doit intégrer c’est que l’important
 est que chacun soit sur le chemin,
 et elle peut et même doit favoriser des modes d’expressions de la vie chrétienne
 où tous sont ensembles
 mais différents. C'est difficile à mettre en œuvre mais si on le refuse, on ne peut pas de dire que nous sommes une église ouverte à tous.


Notes

1 Ce que je fais de mon corps, comment je l’entretiens, comment je fais attention à ne pas l’utiliser d’une manière destructrice — maitrise (et non refoulement) de ma sexualité, mais aussi forme physique, soins, santé…etc.

2 cf. la vidéo sur les étapes spirituelles de la vie de disciple et les dangers de rester bloqué à une étape de son développement spirituel.

3 Il n’est pas cohérent par exemple de dire que si je fais ce que la Bible dit, Dieu règlera tous mes problèmes. On ne le dit pas (ou rarement) ouvertement, mais c’est un « driver » très fort dans la culture des églises (la nôtre est peut-être moins pire, mais n’en n’est pas exempt). Quand je dis qu’on a besoin de Jésus, ce n’est pas pour qu’il fasse les choses à ma place (miracles), mais pour qu’il soit avec moi au travers de mes difficultés et qu’il me donne la motivation pour faire les efforts nécessaires pour y faire face et les surmonter.

4 Non seulement logique mais aussi en lien avec la réalité du monde.

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