Question : Dans la mesure où Jésus s'est proposé comme rançon en échange de nous qui étions sous la domination de la chair et du diable, je me demande alors pourquoi Satan a-t-il accepté Jésus comme rançon en échange de nous ? Dit de façon un peu triviale : qu'avait-il à y gagner ? Certes, avoir le Fils de Dieu sous sa coupe, cela peut représenter un superbe pouvoir. Mais j'ai encore une deuxième question : Satan a-t-il été naïf au point de croire qu'il pourrait éternellement garder la domination sur Jésus dans la mort (Ac 2,24) ? Il devait savoir qu'il était écrit que Jésus allait ressusciter (Luc 24,44-45). Il aurait, en quelque sorte, accepté un marché de dupes … Et s’il a accepté cette rançon, pourquoi dissuade-t-il Jésus de vouloir aller jusqu’à la Croix ? En le tentant de choisir une autre voie dans la tentation dans le désert (du moins c'est comme cela que je le comprends en partie), ou lors de la prière à Gethsémané.
Marjolaine
Éléments de Réponse : Il y a plusieurs manière de répondre à cette question très pertinente :
D'abord, d'un point de vue purement analogique (c'est à dire en raisonnant uniquement bibliquement) il faut considérer que le diable est effectivement assez stupide : il faut l'être pour oser croire, quand on vit à la cour céleste (Job 1,6 ; 2,1), que l'on peut prendre (tout ou même une partie) du pouvoir à Dieu, et ce dès la genèse : ce serpent (qui avant Gn 3,14 n'a peut-être pas la forme d'un serpent) n'a rien créé et ose pourtant remettre en question l'ordre de la création voulu par le créateur.
Ensuite, toujours de manière analogique, il semble cependant que Satan soit moins bête qu'il n'y paraît. Lui aussi voulait croire qu'il pourrait duper Dieu en ayant le beurre et l'argent du beurre, c'est à dire en ayant le Fils de Dieu et tous les humains. Il voulait doubler Dieu. Le diable aurait même aimé avoir Jésus dans son équipe (Luc 4,5-8), bien vivant ! Ce dernier ayant refusé, il essaya de le soustraire à la croix (le récit de la passion est truffé d'opportunité pour Jésus de se défiler) tout en étant celui qui provoque l'évènement (Luc 22,3.53).
Mais Dieu n'a pas trompé le diable, il a juste utilisé l'appétit du Satan pour le pouvoir. Selon le principe de Matthieu 12,26, il l'a attrapé à son propre piège. Tout comme nous savons que certaines choses ne sont pas bonnes, mais nous les faisons quand même, dans l'espoir que nous y gagnerons plus que nous y perdrons, Satan, avide de pouvoir n'aura pu résister au plaisir de faire souffrir le Fils de Dieu et éventuellement par cela, avoir une occasion de le faire chuter. Le problème pour le diable n'est pas tant que le Christ fasse son œuvre, mais plutôt qu'il soit sans péché (Hébreux 4,15), ce qui fait que Jésus ne peut être retenu par la mort. Le faire chuter est l'occasion rêvée de montrer qu'il est plus fort que Dieu. Dieu prend un risque, son Fils se livre au diable, celui-ci peut-t-il refuser une telle chance d'asseoir sa puissance ?
Selon le même principe, si Satan est le mal incarné, il est probable qu'il ne se satisfasse pas de la mort de Jésus. Je crois que bien qu'ayant empoché le prix de la rédemption, il ne renonce pas à posséder l'humanité. Résurrection ou non, il aurait (et c'est ce qu'il fait) continué à attaquer l'humanité pour la détruire. Escomptait-il empêcher la résurrection ? peut-être qu'en essayant de faire chuter Jésus, il tentait d'éviter la résurrection (Actes 2,24 ; 4,12), car celle-ci lui enlève le pouvoir de la mort (Hébreux 2,14). Mais celle-ci n'est pas une fin en soi pour lui car il sait qu'il pourra encore détruire une bonne partie de l'humanité avec les mêmes artifices qu'avant. Car le diable est surtout un agent de destruction quand Dieu est l'agent de la création. La destruction pour la destruction, la rébellion pour la rébellion, n'est-ce pas aussi stupide ?
De plus, de manière analytique (en utilisant la raison) maintenant, si la théorie de la satisfaction est juste, il n'y a plus besoin du concept de Satan. Tout se joue entre Dieu et l'humanité. Tout au plus le diable a-t-il un rôle subalterne d'orientation des consciences dont on pourrait même se passer.
Enfin, je crois qu'il faut faire attention avec la notion de Satan et de Dieu qui seraient en opposition manichéenne. La fragilité des supports scripturaires qui servent aux deux théories ne doit pas être négligée, nous interdisant d'être dogmatique sur qui est Satan (hébraïsme qui veut dire "l'adversaire"). L'opposition manichéenne entre Satan et Dieu est une représentation cosmique du combat qui a lieu dans l'homme entre le bien et le mal (Exemple : Matthieu 16,23 ou Jésus assimile Pierre à Satan ou 1Corinthiens 7,5 où Paul mélange le coté « maîtrise de soi » et le côté « Tentation par Satan »). Mais qu'en est-il en réalité ? La Bible s'adresse aux hommes avec des concepts compréhensibles aux hommes. Jésus fait de même. A une période ou le judaïsme parle de Satan, Jésus parle (beaucoup) de Satan et du diable. Mais la réalité spirituelle nous est en réalité peu accessible sur ce sujet. C'est d'ailleurs ce qui permet l'existence de plusieurs théories : il ne faut pas oublier que la théologie systématique de Anselme de Cantorberry qui va s'infiltrer dans l’Église et que reprendront les réformés de manière encore plus systématique, n'est pas sans fondement logique. Cette théorie tient debout aussi, même si elle mène à mon sens vers plus d'impasses que l'autre solution que je défends. Il nous faut choisir, mais peut-être que la réponse ne réside pas dans cette question là.
J'ai repris tous les éléments de la question me semble-t-il. Il apparaît que ce n'est pas sur cette question que se dessine la supériorité de la théorie du sacrifice à Satan. Mais cette question n'affaiblit pas cette théorie non plus !
Bonjour,
Je ne peux pas m’empêcher d’ajouter une analogie à cet article en tant que joueur d’échecs:
Dans une partie d’échecs, on peut arriver à un moment où on sait que stratégiquement la partie est perdue. On peut même deviner tous les coups de l’adversaire jusqu’à la fin pour nous mater. Ce n’est pour autant qu’on abandonne une partie. On espère toujours une imprécision de la part de l’adversaire, on lui demande en quelque sort de démontrer qu’il sait gagner une partie gagnante même s’il est un grand maître.
Je comprends donc très bien la mentalité du Diable en acceptant faire partie d’un plan où il sait être perdant.