Le péché est-il héréditaire ou contagieux ?

Question : J'ai tendance à penser que nous sommes de nature pécheresse dès la naissance mais que nous ne sommes pas conscients que nous péchons quand nous sommes enfants (on peut être égoïste , menteur, violent etc... obéissant à nos émotions, nos pulsions ; nous ratons la volonté de Dieu mais nous n'en avons pas conscience car nous ne la connaissons pas et ne sommes pas capables de comprendre le plan du salut ainsi que la signification profonde d'une relation avec Dieu).

Et je ne crois pas en la "chute". Mon opinion est qu'Adam et Eve étaient déjà imparfaits, sinon ils n'auraient pas pu pécher. Dans leur imperfection "latente" ils ont fait le choix de désobéir (de pécher) et il y a eu des conséquences pour le reste de l'humanité qui par héritage s'est retrouvé dans cette imperfection "immédiate", dès la naissance.

Quelle est ton opinion ?

Linda


Éléments de réponse : Nous savons aujourd'hui grâce à la science que l'homme est d'abord un animal en qui se trouvent l'instinct de survie, le désir de domination qui lui est associé et de nombreux comportements issus de son cerveau reptilien primitif. Mais l'homme est un animal évolué qui a acquis une conscience, ce que les autres animaux n'ont pas. C'est précisément ce que les textes1 de Genèse 1 à 3 décrivent de manière imagée et poétique. Lorsqu'un lion mange un homme, il ne fait qu'être un lion, peut-on le taxer d'homicide ? Mais lorsqu'un homme tue un homme, il est homicide. Par la conscience que Dieu lui-donne et qui renvoie à l'image de Dieu, l'homme peut choisir d'être ou de ne pas être cruel.

Ainsi ce texte ne raconte pas que l'histoire d'un premier couple historique, mais avant tout notre histoire à chacun. Nous avons tous, un jour, découvert que nous étions capable du bien et du mal. Et nous avons tous dû apprendre à gérer cela en conscience. Mais alors le mal est-il héréditaire ? Eh bien cela supposerait soit 1/ que le bien est la première nature de l'homme et qu'il « chute » dans le mal ; or nous avons déjà réfuté un tel raisonnement, soit 2/ que le bien aussi est héréditaire, mais alors la responsabilité du mal est aussi celle de Dieu qui met dans nos gènes le bien et le mal !

A la suite du prophète Ézéchiel (18,1-32) et de l'apôtre Paul (Romains 3,232) entre autres, il est plus simple de considérer plutôt que le mal est contagieux : le péché est imitable (1Corinthiens 15,33) et il s'est introduit dans notre vie parce que nous apprenons en imitant ou en étant conditionné par ceux qui nous entourent, en particulier nos parents. Mais Le Péché ne consiste pas à faire de mauvaises choses ou en une simple désobéissance : en effet il faut distinguer les péchés (actes visibles) et Le Péché (l'origine des actes). Nous en reparlerons plus loin.

En Genèse 2 et 3, nous assistons donc à notre propre histoire : nous avons eu accès à la conscience réfléchie3. A partir de cette capacité de discerner le bien et le mal, de laquelle naît la liberté, l'homme doit apprendre afin de devenir celui que Dieu veut qu'il soit. L'avenir n'est donc pas dans le passé. L'homme nouveau n'est pas une résurgence de l'homme ancien, car alors la Parole du Christ n'est plus qu'une rédemption, un rachat, qui ne crée rien du tout de nouveau. Or la Parole du Christ est créatrice, pas seulement rédemptrice, c'est en tout cas ce que nous dit tout l'évangile de Jean à commencer par 1,1-18 qui fait un lien textuel avec Genèse 1. Le christianisme c'est la nouveauté : il s'agit de vous défaire de l'homme ancien qui correspond à votre conduite passée et qui périt sous l'effet des désirs trompeurs, d'être renouvelés par l'Esprit dans votre intelligence et de revêtir l'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté que produit la vérité (Ephésiens 4,22-24).

Lorsque, comme Augustin d'Hippone ou Origène d'Alexandrie, on applique un filtre platonicien à la lecture de Genèse 1 à 3, on se rapproche dangereusement du gnosticisme qui postule que la plénitude se trouve dans le passé et qu'en faisant renaître le passé nous retrouverons cette plénitude. Mais si la fin de la création correspond au retour à son début, quel signification a la création ? Dans ce cas, il s'agit de la part de Dieu d'un coup d'épée dans l'eau ! Dans ces vieux systèmes dogmatiques le Christ vient réparer la belle création que l'homme à cassée par accident. Mais si on lit les Écritures en s'affranchissant de ces vieux systèmes grecques et gnostiques, on peut découvrir, que le Christ est le premier né d'un grand nombre de frères. Paul nous dévoile même la méthode de Dieu pour « créer » ces frères : Car ceux qu'il a connus d'avance, il les a aussi destinés d'avance à être configurés à l'image de son Fils, pour qu'il soit le premier-né d'une multitude de frères. Et ceux qu'il a destinés d'avance, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (Romains 8 ,29-30).

Donc : voici l'Homme4 : c'est Jésus-Christ, l'homme nouveau, l’œuvre parfaite de Dieu, celui qui est parfaitement uni à Dieu. Il est la Parole de Dieu : Il est le message de Dieu, le prototype de la nouvelle humanité, celui à qui nous voulons ressembler et c'est à bon droit que la première épître de Jean s'écrie : Bien-aimés, maintenant nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons ne s'est pas encore manifesté ; mais nous savons que, quel que soit le moment de sa manifestation, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. Quiconque a cette espérance en lui se purifie, comme lui est pur (1Jean 3,2-3).

Si Jésus-Christ a été le premier, c'est pour qu'il y en aient d'autres à sa suite : Dieu souhaite partager avec nous sa divinité (2Pierre 1,3-4) rien que ça ! Mais cela nous devons l'apprendre. Cette mission impossible (humainement), nous devons juste l'accepter et vivre en tant que créature douée de conscience qui a accepté le plan de Dieu. Cette vie consiste alors, comme Jésus l'a parfaitement réussit, à opposer le moins de résistance à ce plan, car cette résistance, qui consiste à vouloir être notre propre Dieu (Genèse 3,5) c'est manquer la cible (même verbe en grec que pécher). Vouloir se sauver soi-même c'est à dire se diviniser soi-même, c'est se perdre. Ce n'est en aucune façon la faute de Dieu. C'est un choix. C'est cela la racine des péchés. C'est cela LE Péché dont nous parlions tout à l'heure. Et il ne peut donc pas être « immédiat » dès la naissance. Le bébé ne nait ni pur, ni impur, ni pécheur, ni parfait, il naît bébé, c'est à dire un petit d'homme qui doit grandir et qui un jour accèdera à la conscience réfléchie et qui en imitant ses pairs les autres humains, immanquablement pensera pourvoir être son propre maître5. Et cela est d'autant plus vrai dans une société post-moderne ou l'on apprend que chacun est maître de sa propre vie et peut croire ce qu'il veut croire. Or c'est là l'erreur du post-modernisme : seul Dieu peut diviniser l'homme.

Cette divinisation de l'homme, non par lui-même, mais par Dieu, c'est ça l'essence de la grâce de Dieu. Elle existe donc avant le péché. Et elle est toujours accessible après le péché par La Repentance6. Elle consiste de la part de Dieu à proposer un devenir. Le péché consiste à refuser ce devenir et à vouloir rester à l'état naturel (1Corinthiens 2,14 dans le contexte des versets 6 à 15). La grâce de Dieu n'a donc rien à voir avec le principe : "péché entraine punition" que la lecture traditionnelle de Genèse 3 implique. La grâce, c'est une proposition. Le refus est possible qui implique que l'individu qui refuse essaie une autre voie pour trouver le sens de la vie. Mais l'acceptation implique la coopération. Celle-ci consiste à apprendre ce qui n'est pas naturel (comme par exemple – parmi beaucoup d'autres – les principes exprimés par les béatitudes, ou le lavement des pieds, Etc. Etc.).

Conclusion : C'est donc en changeant notre lecture, en s'extirpant des impasses qu'on donne cohérence au texte et à ce qu'il nous apprend sur la signification à la création. Il est regrettable que certains théologiens en parlant de "chute" détournent le sens du texte car c'est une des tâches de la théologie que de rechercher quelle est la finalité de ce monde. Et puisque je suis interrogé sur mon opinion je dirai qu'elle suit celle d'un théologien bien plus éminent que moi dont voici une citation : « Eh quoi? Dieu n'eut-il pu faire l'homme parfait dès le commencement? (…) les êtres produits (...) sont nouvellement venus à l'existence, ils sont de petits enfants, et, du fait qu'ils sont de petits enfants, ils ne sont ni accoutumés ni exercés à la conduite parfaite. De même, en effet, qu'une mère peut donner une nourriture parfaite à son nouveau-né, mais que celui-ci est encore incapable de recevoir une nourriture au-dessus de son âge, ainsi Dieu pouvait, quant à lui, donner dès le commencement la perfection à l'homme, mais l'homme était incapable de la recevoir, car il n'était qu'un petit enfant. Et c'est pourquoi aussi notre Seigneur, dans les derniers temps, lorsqu'il récapitula en lui toutes choses, vint à nous, non tel qu'il le pouvait, mais tel que nous étions capables de le voir : il pouvait, en effet, venir à nous dans son inexprimable gloire, mais nous n'étions pas encore capables de porter la grandeur de sa gloire ». (…) Ainsi fallait-il que d'abord apparût cette nature, qu'ensuite ce qui est mortel fût vaincu et englouti par l'immortalité, et ce qui est corruptible, par l'incorruptibilité, et que l'homme devînt ainsi à l'image et à la ressemblance de Dieu, après avoir reçu la connaissance du bien et du mal » Irénée de Lyon, Contre les Hérésies7 (IV, 38, 1-4)


Notes

1 Il faut se résoudre à l'évidence que ces textes ne sont pas un texte de la main d'un seul auteur.

2 Le péché originel héréditaire est souvent justifié par Romains 5,12 C'est pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort est passée à tous les humains, parce que tous ont péché... La fin du verset, qui renvoie à la thèse de 3,23 est importante car elle explique bien que c'est à chaun que revient la responsabilité. Sinon il eu dit : parce que tous sont pécheurs, à la voie passive.

3 C'est la raison pour laquelle quelqu'un qui n'accède pas à cette conscience réfléchie, au discernement du bien et du mal comme le dit le texte, ne sont pas concernés par Le Péché. Ceux qui la perde suite à un traumatisme ou au vieillissement ne sont plus concernés par Le Péché.

4 Jean 19,5

5 Cela ne ressemble-t-il pas à l'adolescence ?

6 Avec des majuscule pour exprimer la différence avec le repentir dans le même genre de distinction que nous avons fait plus haut en péché et Péché.

7 Le titre complet du livre d'Irénée de Lyon est le suivant : Dénonciation et réfutation de la prétendue gnose au nom menteur.

1 Comment on “Le péché est-il héréditaire ou contagieux ?

  1. Bonjour Pierre-Louis,

    Merci beaucoup pour cette explication très profonde et éclairante. C’est vraiment formidable.
    Puisque tu cites Irénée de Lyon, je pense intéressant de regarder ce qu’il a écrit à propos d’Adam et Eve dans “La prédication des apotres et ses preuves” que j’ai seulement en anglais: “And Adam and Eve -for that is the name of the woman- were naked, and were not ashamed; for there was in them an innocent and childlike mind, and it was not possible for them to conceive anything of that which is by wickedness through lusts and shameful desires is born in the soul”. (La prédication des apotres et ses preuves, 14). Ainsi l’homme et la femme sont des enfants sans péché avant la “chute”, c’est à dire la contamination du péché par Satan. Sans Satan, il n’y aurait pas eu de péché.
    Bonne journée

    Bonne journée
    Christian

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