Comme Tertullien, Cyprien est de Carthage. Il est donc aussi un africain qui écrit en latin. Convertit en 246, un peu plus d’une vingtaine d’années après la mort de Tertullien, il devient évêque de Carthage en 249. Immédiatement persécuté par les Romains, il doit fuir et ne dirige sa communauté pendant un an et demi en écrivant des lettres. La lettre N°63 traite de l’eucharistie. Cyprien cherche à défendre en premier lieu l’utilisation du vin et non, comme certains le faisaient alors, de l’eau.
… je me demande alors d'où a bien pu venir l'usage, contraire à l'enseignement évangélique et apostolique, d'offrir comme on le fait en certains endroits, de l'eau dans le calice du Seigneur, puisque à elle seule l'eau ne peut représenter le Sang du Christ. (…) Comme nous bouleversons tout et allons droit contre la pratique du Maître ! Lui, aux noces, a changé l'eau en vin, et nous, nous changeons le vin en eau, alors que ce miracle symbolique doit nous instruire et nous avertir d'offrir plutôt du vin dans le sacrifice du Seigneur !
L’eau dit-il sert au baptême. Le vin est pour l’eucharistie qu’il qualifie à plusieurs reprises de « sacrifice » (argumentant dans d’autres lettres qu’un sacrifice ne peut avoir lieu que sur l’autel d’une église, et que donc les hérétiques ne peuvent l’offrir). Il concède plus loin dans sa lettre qu’il est bon de mélanger l’eau au vin pour symboliser l’union du Christ avec son Eglise.
Cependant il faut remarquer que pour lui le vin représente le Sang du Christ, et que l’eucharistie est un miracle symbolique. En effet comment pourrait-il comparer un miracle dans lequel un changement d’apparence a lieu (la transformation de l’eau en vin aux noces de Cana en Jean 2) avec un miracle dans lequel il n’y a pas de changement d’apparence (l’eucharistie que vivent les chrétiens régulièrement).
Un changement aussi a eu lieu concernant la pratique de la célébration. Alors qu’à Carthage à la fin du 2ème siècle et au début du 3ème on se réunissait le soir pour célébrer le dîner du Seigneur, au temps de Cyprien, le repas a lieu le matin. Face à quelques protestations sur ce point là, Cyprien écrit (toujours dans sa lettre N°63) :
Mais, dira-t-on, ce n'est pas le matin, c'est après le repas du soir, que notre Seigneur a offert le calice. Est-ce donc après le repas du soir que nous devons nous réunir, au sacrifice du Seigneur, afin de pouvoir ainsi offrir le calice mêlé ? Le Christ devait offrir, vers la fin du jour, afin de signifier par l'heure même du sacrifice le déclin et le soir du monde, suivant ce qui est écrit dans l'Exode : "Toute l'assemblée des enfants d'Israël l'immolera vers le soir". Et aussi dans les psaumes : "L'élévation de mes mains est le sacrifice du soir". Mais nous, nous célébrons la résurrection du Seigneur le matin.
On le voit, la tradition évolue pour des raisons pratiques qu’on justifie théologiquement.