Pourquoi Jésus est-il crucifié avec
deux autres malfaiteurs ?
Question :
Il y a deux hommes crucifiés avec Jésus. Ils sont trois ; cela me fait penser à la trinité ! Ils auraient pu être plusieurs à être crucifié, quatre, cinq… ou Jésus tout seul. Non ils étaient trois.
De plus un sera sauvé et pas l'autre, ce qui me fait penser au choix qu'on a ; soit tu crois soit tu ne crois pas. Seulement deux choix avec les conséquences qui vont avec, tu es sauvé ou tu ne l'es pas ! A moins qu'il n'y avait qu'eux ce jour là pour être crucifié, mais avec Dieu, il n'y a pas de hasard, tout est planifié, et ce jusqu'à la fin. Il y a sûrement un sujet sur ton blog là-dessus ?
Laurence
Textes à lire : Matthieu 27,38-44 / Marc 15,27-32 / Luc 23,32-43 / Jean 19,18
Luc 23
32On conduisait en même temps deux autres, des malfaiteurs, qu’on allait exécuter avec lui.
33Lorsqu’ils furent arrivés au lieu appelé le Crâne, ils le crucifièrent là, ainsi que les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. (…)
39L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait en disant : N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous ! 40Mais l’autre le rabroua en disant : N’as-tu donc aucune crainte de Dieu, toi qui subis la même peine ? 41Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos actes ; mais celui-ci n’a rien fait de mal. 42Et il disait : Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume. 43Il lui répondit : Amen, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.
Éléments de réponse :
Que Jésus soit crucifié avec deux criminels n’est certes pas un hasard. Mais je ne crois pas que cela ait un lien avec la trinité qui n’est pas encore un concept bien maitrisé à l’époque de Marc (écrit entre 65 et 69) ou Luc et Matthieu (écrits entre 75 et 85). L’évangile de Jean est déjà plus conceptuel (écrit entre 90 et 100) et aurait pu intégrer ce genre de réflexion (cf. Jean 5,18), mais alors comment penser que le Père ou l’Esprit-Saint soit un voleur qui se repent ou pire celui qui ne se repent pas ? (Luc 23,39).
En réalité il fort probable que ce passage fasse référence à Marc 10,40. Les disciples Jacques et Jean veulent s’assurer d’avoir les meilleures places dans la gloire de Jésus : à la droite et à la gauche. Mais la gloire de Jésus passe par la Croix1 en témoigne la panneau qui indique le motif de la condamnation de Jésus, ce qu’en Marc 10 les disciples n’ont pas encore compris ! Et ceux à qui sont réservés ces places sont… les deux rebelles (λῃστής - voleur à main armée, brigand - mot utilisé pour désigner les rebelles juifs qui ont résisté à l'occupation romaine du pays)2. Jacques et Jean ne pouvaient pas être avec Jésus dans la gloire de la Croix à cause de leur peur (Marc 14,50-52).
Cela nous amène à la question du choix. Elle est d’autant plus importante qu’en réalité c’est le but3 des évangélistes de nous amener à un choix ! Ils écrivent dans ce but là. Et ce texte, que Luc rallonge par rapport à Marc sert à ça : nous poser les bonnes questions.
Je fais ici une petite parenthèse pour faire remarquer que l’important est la question que pose le texte et non l’historicité du texte. Celui qui a besoin que le texte soit historique pour se poser la question de ses propres choix, peut le considérer ainsi, mais il ne peut pas juger celui qui n’a pas besoin de ça. Celui qui par contre, prétextant qu’il pense que le texte n’est pas historique, évite la question, risque bien de rater la gloire dont Jésus parle.
Cette question est bel et bien celle d’un choix. Croire ou ne pas croire, certes, mais qu’est-ce que cela peut-il vouloir dire ? Le dialogue de Jésus avec les faiseurs de mal4 (ou malfaiteurs) est instructif.
En effet le premier pose la bonne question : N’es-tu pas le Christ ? Mais sa vision du Christ est fausse ! Il pense que le Christ est celui qui va le faire descendre de la croix : Sauve-toi toi-même et sauve-nous ! Il pense que le Christ est là pour le sauver des malheurs de sa vie. Mais Jésus le laisse dire, comme s’il n’avait pas entendu cette « prière » qui lui est (mal) adressée. En se trompant de la sorte non seulement il a raté sa vie, mais il va rater sa mort.
L’autre faiseur de mal au contraire, a saisi ce qui se passe. A travers un appel vers l’autre malfaiteur à craindre Dieu, à comprendre sa propre culpabilité mais aussi l’innocence de Jésus, il montre qu’il a compris le message de Jésus ! Et il replace la discussion sur un plan existentiel : Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton royaume. Autrement dit : je ne te demande pas de m’éviter les conséquences de mes péchés (ma culpabilité qui m’a conduite sur la croix) ni celles des péchés des autres (ces romains qui me font subir cette violence atroce), mais je te demande de m’amener à la vie du Royaume. La foi donc, ne consiste pas seulement à croire, mais à croire correctement. Et il s’agit de croire d’abord à ce Jésus qui peut nous faire entrer dans son royaume, pas à celui qui nous évite des problèmes ; croire au Jésus qui sublime notre vie commencée ici bas, pas à celui qui nous préserve des difficultés, des maladies, des accidents ou des catastrophes (cf.Matthieu 7,25.27). Parce que le deuxième malfaiteur a fait confiance (une autre manière de traduire πίστις - pistis - la foi) à Jésus qui allait ressusciter (alors qu’il ne l’a pas encore vu !) et le faire ressusciter, il a reçu la promesse que nous recevons aussi si nous croyons de cette manière. Le premier malfaiteur a cru au Dieu qui le sauverait des problèmes de la vie : il n’a rien reçu de Jésus, et a forcément été déçu.
Déçu ? comme bon nombre de « croyants » d'aujourd’hui (et probablement d'hier aussi !) qui ne saisissent pas que notre choix n’est pas uniquement de croire et de ne pas croire, mais de croire comme Jésus veut qu’on croit (Luc 18,8).
Quant au second malfaiteur, il reçoit la promesse d’être avec Jésus5.
Notes
1 L’apôtre Paul, plus de 20 ans avant l’évangile de Marc, a déjà largement et explicitement développé cette idée (1Corinthiens 1,18-25 entre autres exemples) et l’évangile de Jean 20 ans plus tard (Jean 8,28, Jean 12,23-26) le fera aussi de manière plus imagée.
2 François BOVON, Luke 3: A Commentary on the Gospel of Luke 19:28–24:53, Fortress Press, Minneapolis MN, 2012, p.306
3 C’est la raison pour laquelle les évangiles ne sont pas de l’Histoire au sens moderne du mot Histoire. L’Histoire moderne est une méthode de réflexion sur le passé qui tente de reconstruire des faits de manière la plus objective possible (même si les historiens savent bien que c’est impossible). Les évangélistes sont très loin de ça : il prêchent, certes en utilisant une base historique, mais ils ne racontent l’Histoire.
4 Luc n’utilise pas le même mot que Marc et Matthieu, il utilise κακούργων - kakourgôn qui veut dire littéralement « faiseurs de mal » souvent traduit « criminels ». Le mot malfaiteur est donc plus proche du grec que le mot criminel, mais il a perdu de son intensité.
5 Je pourrais parler du « paradis » dont il est question ici mais ce serait m’éloigner trop loin de la question et rallonger inutilement le propos.