La Didachè (Repas du Seigneur)

L’un des plus anciens texte que nous ayons de cette période est la Didachè (mot qui en grec veut dire enseignement). Elle est aussi intitulée : Doctrine du Seigneur transmise aux nations par les douze apôtres. Même s’il est douteux que ce soient les apôtres qui aient pu l’écrire, elle est néanmoins un écrit judéo-chrétien (écrit par un juif convertit au christianisme) qui date de la fin du 1er siècle ou du tout début du 2ème.

Dans ce texte, le dîner du Seigneur est appelé εὐχαριστία (eucharistia). On pourrait dire « Action de Grâce » ou « remerciement » selon ce que veut dire le terme dans le Nouveau Testament. Littéralement le début du passage dit ceci :

Pour le remerciement, remerciez ainsi...1

ce qui pourrait se traduire aussi :

Pour l’action de Grâce, rende grâce ainsi...

ou encore :

Pour l’Eucharistie, eucharistiez ainsi...

S’en suit une prière très libre d’abord pour2 (et non sur) la coupe, puis pour le pain avec un remerciement pour avoir rassemblé des grains de blé pour faire du pain comme l’Église est un rassemblement. Ainsi le lien entre le pain et l’église est toujours présent.

Un peu plus loin, la Didachè ordonne :

Que personne ne mange et ne boive de votre Action de Grâce, si ce n’est les baptisés au nom du Seigneur, car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit: ne donnez pas ce qui est saint aux chiens3.

Ici l’auteur trouve une interprétation de Matthieu 7,6 qui n’est pas évidente. Mais on a une précision que le Nouveau Testament ne nous donne pas clairement : seuls les baptisés devraient participer à l’Action de Grâce. Immédiatement après le texte continue :

Après vous être rassasiés, remerciez ainsi : Nous te remercions, Père saint, pour... etc.4

L’Action de grâce à cette époque est encore un vrai repas. Il est pris en commun lors de la réunion qui a lieu le jour du Seigneur, c’est à dire le jour de la résurrection : le dimanche (premier jour de la semaine juive – cf. Actes 20,7).

Réunissez-vous le jour du Seigneur, rompez du pain et rendez grâces, … 5

Là encore, après avoir étudié les passage du Nouveau Testament on a le sentiment qu’on y est encore, et pourtant, la Didachè introduit des éléments nouveaux qui n’étaient pas associés au dîner du Seigneur dans la période apostolique, puisque la phrase continue par :

… après avoir d’abord confessé vos fautes, afin que votre sacrifice soit pur.

Deux notions ici sont étrangères à la théologie du Nouveau Testament : confesser ses péchés pour pouvoir prendre le pain (il s’agissait certainement d’une confession de groupe)6 et considérer la fraction du pain comme un sacrifice ce qui est affirmé plus fort encore dans les mots qui suivent :

Celui qui a un différend avec son compagnon ne doit pas se joindre à vous avant de s’être réconcilié, afin de ne pas profaner votre sacrifice, car voici ce qu’a dit le Seigneur :
Qu’en tout lieu et en tout temps, on m’offre un sacrifice pur ;
car je suis un grand roi, dit le Seigneur, et mon nom est admirable parmi les nations.7

La nécessité de se réconcilier avec son « compagnon »8 pour pouvoir faire une offrande à Dieu sur l’autel est une allusion au Sermon sur la Montagne (Matthieu 5,23-24). Mais dans le sermon sur la montagne Jésus ne parle pas du dîner du Seigneur. Quand il fait allusion aux sacrifices, il parle des sacrifices faits par les juifs au Temple de Jérusalem toujours debout au temps de Jésus, mais détruit 40 ans après sa mort. On peut transposer le principe de la réconciliation au culte commun et donc au repas du Seigneur, mais le raisonnement qu'emploie l'auteur de la Didachè qui assimile le Dîner du Seigneur à un sacrifice est déjà un glissement par rapport au Nouveau Testament.


Notes

1 Didachè 9,1

2 Didachè 9,2

3 Didachè 9,5

4 Tout le texte est intéressant voir même inspirant, mais ce n’est pas notre sujet d’étudier spécifiquement la Didachè dont le texte se trouve facilement en bibliothèque ou sur internet.

5 Didachè 14,1

6 Voir Les Ecrits des Pères Apostoliques, Editions du cerf, Paris, 2001, p.51 note 13

7 Didachè 14,2-3

8 Ce mot est utilisé dans le Nouveau Testament mais uniquement dans l’évangile de Matthieu (mais pas en Matthieu 5). Il semble que l’auteur de la Didachè ait été influencé par l’évangile de Matthieu.