Écritures : la crainte prescrite aux chrétiens

J'étudie ici les écritures qui parlent de la crainte/peur quand celle-ci concerne explicitement les chrétiens.

Actes 2,42-43

42Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres, à la communion fraternelle, au partage du pain et aux prières. 43La crainte s’emparait de chacun, et beaucoup de prodiges et de signes se produisaient par l’entremise des apôtres.

Ἐγίνετο δὲ πάσῃ ψυχῇ φόβος — Eginéto de pasei psuchei phobos — Il venait à toute âme une peur

Ici la crainte qui vient semble concerner explicitement les chrétiens puisque au premier abord ce sont ceux qui sont assidus à qui il vient une peur. Mais est-ce si évident ? Il est intéressant de comprendre d’où vient cette peur et de discerner qui a peur.

Cette peur venait à toute âme. Mais qui cela désigne-t-il ? On peut penser qu’il s’agit de chaque chrétien membre de l’église qui assiste au culte pendant lequel les apôtres produisent des prodiges et des signes (expression reprise du livre prophétique de Joël). Mais beaucoup d’exégètes pensent que ceux qui craignent sont plutôt ceux de l’extérieur. En effet chez Luc la crainte est très souvent associée aux miracles. C’est le cas ici puisque la deuxième partie du verset fait état des prodiges et signes produits par les apôtres :
- En Luc 1,65 la peur concerne ceux qui entendent la langue de Zacharie se délier.
- En Luc 5,26 la peur s’empare de ceux qui voient le paralytique marcher.
- En Luc 7,16 la peur s’empare de ceux qui voient la ressuscitation du jeune homme de Naïn.
- En Luc 8,37 ceux qui assistent à la guérison de Légion sont en proie à la peur.
- En Actes 19,17 il ne s’ait pas d’un miracle, mais de la défaite des sept fils de Scéva face à un esprit mauvais qui entraine la peur des habitants d’Ephèse.

Globalement quand un miracle est décrit dans l’œuvre de Luc, la crainte s’empare de ceux qui ne font pas partie de l’Église. C’est pourquoi on peut aussi penser que tel est le cas en Actes 2,43 que nous étudions ici. Probablement aurais-je dû mettre cette écriture dans l'article (ultérieur) sur la crainte de ceux qui ne sont pas chrétiens.

La seule écriture selon Luc qui fasse exception et dont je parlerai plus loin est un passage qui parle de la peur inspirée par le sort d’Ananias et Saphira (Actes 5,5.11). Mais ce n’est pas à proprement parlé un miracle.

Actes 9,31

31L’Eglise, dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie, était donc en paix ; elle se construisait, vivait dans la crainte du Seigneur et se multipliait par l’encouragement de l’Esprit saint.

La « crainte » est explicite. Mais elle est paradoxalement issue de la paix. 
Pour le comprendre le passage ne peut pas être complètement détaché de ce qui précède : Saul s’est converti, mais il inspire encore la peur dans l’Église.
La crainte ici n’est pas la peur du péché, ni la peur que Dieu nous punisse, mais l’étonnement : comme lorsqu’on parle de quelque chose de « formidable » mot qui littéralement veut dire « qui inspire la peur ». Cette mention de la crainte du Seigneur  correspond à une utilisation traditionnelle du terme. Les gens n'ont pas « peur du Seigneur », mais ils ont une foi sérieuse.

Ephésiens 5,21

21Soumettez-vous les uns aux autres dans la crainte du Christ ;

Ce passage fait partie de ce qu'on appelle un code domestique : c'est à dire un passage qui explique comment se comporter en famille. L’expression « crainte du Christ » est utilisée en référence à « crainte de Dieu » de l’Ancien Testament. Il s'agit d'imiter le Christ dans les relations familiales, c'est à dire imiter son amour extrême. Craindre le Christ c'est ici mettre en pratique l'exemple qu'il a donné au point de craindre de ne pas être comme lui (et je crains fort que ce ne soit pas possible !).

Hébreux 10,26-31

26En effet, si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour les péchés, 27mais une attente terrifiante du jugement, l’ardeur du feu qui va dévorer les rebelles. 28Si quelqu’un a violé la loi de Moïse, il est mis à mort sans pitié, sur la déposition de deux ou trois témoins. 29Combien pire, ne le pensez-vous pas, sera le châtiment mérité par celui qui aura piétiné le Fils de Dieu, qui aura tenu pour profane le sang de l’alliance par lequel il a été consacré, qui aura outragé l’Esprit de la grâce ! 30Car nous connaissons celui qui a dit :
C’est moi qui fais justice ! C’est moi qui paierai de retour !
Et encore :
Le Seigneur jugera son peuple.
31Il est terrible de tomber aux mains du Dieu vivant.

Ici encore la « crainte » est explicite. Si on ne lit que les versets 26-27 alors on se dit : « il m'est commandé d'avoir peur de Dieu ». Mais si on va jusqu’à la fin du v29 on se rend compte que ce qu’il faut craindre n’est pas Dieu lui-même mais de négliger la Croix qui revient à outrager l’Esprit de la grâce.

A travers cette écriture la crainte de Dieu est plutôt la crainte de l’absence de Dieu (dont je parlerai plus en détail dans l'article suivant) c'est à dire de la perte volontaire de la connaissance de la vérité c'est-à-dire la connaissance du Fils de Dieu et de sa Croix.

Il y une valse des significations : avec le v31 on se dit à nouveau « Ah, si ! Finalement, c’est bien de Dieu qu’il faut avoir peur ». Et puis plus loin les v38-39 font à nouveau pencher de l’autre côté :

38Or mon juste vivra en vertu de la foi.
 Mais s’il se retire, mon âme ne prend pas plaisir en lui. 
39Quant à nous, nous ne sommes pas de ceux qui se retirent pour se perdre, mais de ceux qui ont la foi pour sauvegarder l’âme.

La Bible est ainsi qui dans un même passage peut alterner des images différentes. Ce qui est vrai dans un même passage ou dans un même livre, l’est encore plus dans des livres différents. Mais allons plus loin dans cette même lettre aux Hébreux :

Hébreux 12,4-9

4Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre combat contre le péché, 5et vous avez oublié l’encouragement qui vous est adressé comme à des fils :
Mon fils, ne prends pas à la légère la correction du Seigneur,
et ne te décourage pas lorsqu’il te reprend.

6Car le Seigneur corrige celui qu’il aime,
 il donne des coups de fouet à tout fils qu’il agrée.
 7C’est pour votre correction que vous endurez ; Dieu vous traite comme des fils. Quel est en effet le fils que le père ne corrige pas ?
8Si vous êtes exempts de la correction à laquelle tous ont part, c’est que vous n’êtes pas des fils, mais des bâtards. 9Puisque nous avons tous eu un père de notre chair qui nous corrigeait et que nous respections, ne devons-nous pas à plus forte raison nous soumettre au Père des esprits, pour que nous vivions ?

Ici encore la « crainte » est explicite. On comprend que Dieu va nous corriger ou nous corrige, pour notre bien en particulier si on oublie. Mais va-t-il le faire avec des coups de fouet ? Imagine-t-on Jésus donner des coups de fouet ? C’est la comparaison entre Dieu d’une part et nos pères selon la chair d’autre part qui est éclairante :
- les pères selon la chairs corrigeaient de manière humaine.
- Dieu corrigera de manière spirituelle. Donc différemment. Car il n'est pas un humain (cf. Osée 11 et en particulier le v9).
On n’a pas besoin de « s’inquiéter » de la correction de Dieu : elle sera juste.
 Mais on peut la voir de deux manières :
- soit il s'agit de subir la correction d'un père sévère, comme certains proverbes semblent y inviter - or ici il y a une citation du Proverbe 3,11-12.
- soit il s'agit de subir les conséquences d'une liberté que Dieu donne à chacun, celle de faire des choix.
Chacun appréciera ce qui lui semble le plus encourageant. Car tel est le but premier de l'auteur : encourager ceux qui souffrent à voir la souffrance comme un moyen de grandir.

Cette écriture en particulier peut apporter le trouble. Il est vrai que rare sont les écritures aussi violentes dans le Nouveau Testament. Celle-ci est même parmi les rares écritures aussi dures. Il faut donc garder à l'esprit qu'il existe des passages qui disent à peu de choses près le contraire (cf. les passages dans l'article intitulé Quand Jésus/Paul/Jean corrigent la crainte — en particulier 1Jean 4,17-21).