Thèse sur la « crainte de Dieu »

Après ce parcours néotestamentaire1 en ce qui concerne la crainte de Dieu, j'aimerai formuler une proposition qui me semble à la fois conforme aux écritures et à la réalité de la vie et de l'amour. Pour cela j'aimerai lire le passage suivant

Jean 15,12-17

12Voici mon commandement :
que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés.
13Personne n’a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis. 14Vous, vous êtes mes amis si vous faites ce que, moi, je vous commande. 15Je ne vous appelle plus esclaves, parce que l’esclave ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père. 16Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et institués pour que [ἵνα], vous, vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure ; afin que [ἵνα] le Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en mon nom.
17Ce que je vous commande, c’est que vous vous aimiez les uns les autres.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce passage mais je l’ai choisi parce qu’il résume la vie chrétienne :
- Au v13 Jésus parle de lui et de son amour pour ses « amis ».
 Mais du fait qu'il dit que notre amour doit être « comme » le sien, il parle aussi... de nous ! Nous aussi sommes appelés à donner notre vie pour nos amis (il y a plusieurs manières de comprendre ce que veut dire donner sa vie, mais cela importe peu pour ce que je cherche ici).
- Au v14 il explique qui sont ceux pour qui lui, donne sa vie. Il explique dont qui sont ses amis : ceux qui font ce qu’il commande. La boucle est bouclée : les amis de Jésus sont ceux qui aiment comme Jésus, et qui donnent leur vie (non pas comme Jésus sur la Croix, mais en aimant les autres comme Jésus a aimé avant la Croix).
- V15 : ceux qui ont ce désir d’aimer comme Jésus ne sont plus des serviteurs : en effet les serviteurs n’ont pas de désir. Il servent un point c’est tout (et ils craignent leur maître : ils craignent son mécontentement et éventuellement sa colère). Ceux qui ont le désir d’aimer comme Jésus sont ses amis qui connaissent (parce qu’ils sont les amis et non les serviteurs de Jésus) la volonté du Père de Jésus, Dieu.

Cela rappelle Exode 33,11

11Le SEIGNEUR parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami.

ἐνώπιος ἐνωπίῳ (énôpios énôpiôi - LXX)

פָּנִ֣ים אֶל־פָּנִ֔ים (pânym èl pânym - TM)

Jésus ne veut pas des serviteurs (cf. Actes 17,24-25) mais des amis, des relations « face à face ».


Or « face à face » ça veut dire « au même niveau », d’adulte à adulte. Jésus veut faire de nous des adultes (spirituels) pour que nous puissions non plus être ses serviteurs mais ses amis.
 C'est d'ailleurs, soit dit en passant, rien moins que l'accomplissement du plan de Dieu (Genèse 1,27 ; 2Pierre 1,4). Il nous respecte à ce point.

- V16 : Il nous a choisis comme Noé, Abraham ou Moïse. Et institués pour une triple mission : 1/ aller ; 2/ porter du fruit ; 3/ faire demeurer le fruit.
Le Père de son côté, parce que Jésus nous a choisi et institué, nous donnera ce dont on a besoin pour cette mission.

- Au v17 Jésus répète le commandement. D'un point de vue littéraire cette répétition  crée une inclusion qui fait de l'ensemble du passage un tout dont on ne peut pas séparer les arguments.

Nous voyons donc que dans les écrits johannique, les plus tardifs du Nouveau Testament, la crainte de Dieu, la crainte de la Loi (Jérémie 44,10) ont évolué en une responsabilisation dans l'amour.

La thèse que je propose est donc celles-ci :

Il ne s'agit plus d'avoir peur de la divinité (comme dans le Proche Orient Ancien)
ni d'être motivé par la peur de Dieu ou de son jugement,
mais au contraire,
de connaître son amour (qui est premier),
de l'aimer et
d'être motivé par cet amour.

 

 


Note

1 néotestamentaire veut dire « dans le Nouveau Testament ».

 

COMMENTAIRE - Bruno inec - Avril 2024

Je suis évidemment en plein accord avec toi sur la conclusion : la peur de Dieu et de son jugement ne devraient pas être la motivation pour obéir au Christ. Et si la peur définit notre relation avec notre Père céleste, on a bien mal compris le type de Père qu'il est et le genre de relation qu'il désire avec nous. Je suppose qu'en tant que père, tu n'aimerais pas l'idée que ton enfant n'obéisse que par peur de la punition, plutôt que par amour et respect pour ses parents, et que tu détesterais l'idée que ton enfant obéisse par peur de toi. Ça serait triste en effet comme relation. J'aimerais te donner mon avis sur la raison pour laquelle on devrait quand même prêcher la crainte de Dieu.

Ce qui me saute aux yeux en lisant Actes 5, c'est que par-delà leur péché de vouloir plaire aux hommes en paraissant avoir fait un geste plus grand que celui qu'ils ont vraiment fait, ils ont agi d'une manière qui exclu totalement Dieu de l'équation. Ils ont agi comme si Dieu n'existait pas. Pour moi, il est clair que Dieu est celui à l'œuvre dans la mort d'Ananias et Saphira. La plupart du temps, le fait que Dieu est l'auteur d'un miracle est implicite, je ne vois pas pourquoi ça aurait une signification spéciale ici. En agissant directement comme il l'a fait en faisant perdre le souffle à Ananias et Saphira, Dieu montre qu'il est bien là, qu'on ne peut pas se cacher de lui. (Qu'Ananias soit mort du choc est déjà très hypothétique et sans fondement scientifique dont j'ai connaissance, mais que Saphira soit aussi morte de la même manière et que Pierre savait qu'elle mourrait de la même manière me paraît mettre le coup final à cette théorie).

Pourquoi les miracles que tu décris ici : https://bereenne-attitude.com/crainte3-5/ , provoqueraient-ils de la peur ? Peur de quoi ? Un paralytique est guéri, il n'y pas de quoi avoir peur, mais il y a de quoi être persuadé : Dieu existe, il est vraiment là et il est tout-puissant. Si je vis comme si Dieu n'existait pas, j'ai de quoi avoir peur par contre.

Il ne me semble pas anodin que, les "craignant Dieu" soit utilisé pour désigner les non-juifs qui *croient*.

Genèse 20:11
Abraham répondit : Je me disais qu’il n’y avait certainement aucune crainte de Dieu en ce lieu et qu’on me tuerait à cause de ma femme.

Ceux qui ne craignent pas Dieu vivent comme bon leur semble puisqu'il n'y pas de Dieu et pas de conséquence.

Actes 9:31
L’Église, dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie, était donc en paix ; elle se construisait, vivait dans la crainte du Seigneur et se multipliait par l’encouragement de l’Esprit saint.

Luc était-il en train de dire que la communauté des chrétiens est une communauté qui vivait dans une relation de peur avec leur Père céleste ? Impossible ! C'est, en revanche, une communauté composée de personnes qui ne vivent pas selon leur propre sagesse, mais qui suivent la Voie. Qui vivent "comme si" Dieu existait, "comme si" le péché avait une conséquence.

En bref, je crois que craindre Dieu ou comprendre son amour est une fausse dichotomie. On comprend son amour par ce qu'il a fait et on le craint, parce qu'on comprend quelle est son essence. Il existe vraiment, il a tout pouvoir et il va établir un jugement qui va diviser l'humanité en deux pour l'éternité.

Quand, à 15 ans, j'ai vécu une double vie, mentant à mes parents et à l'Église sur ma vie, c'est à Dieu que je mentais. J'ai vécu comme s'il n'existait pas, j'ai cru pouvoir tromper Dieu lui-même. Je n'avais aucune crainte de Dieu. J'avais un grand besoin de réaliser que ce n'est pas un jeu.

On peut être dans l'Église et vivre comme s'il n'existait pas, on peut vivre comme bon nous semble. Ce n'est pas seulement les jeunes chrétiens que ça touche et sans aucun doute, c'est en train de se passer pour certaines personnes aujourd'hui, dans nos églises et peut-être que demain, ça sera moi à nouveau. À ce moment-là, j'aurais besoin de personnes qui m'aident à me rappeler que Dieu existe, que je peux me cacher de tout le monde, mais pas de Lui. Voilà pourquoi je ne suis pas d'accord qu'il ne faut pas prêcher la crainte de Dieu. L'amour de Dieu est plus souvent prêché dans le NT que la crainte et devraient encore l'être plus souvent aujourd'hui, mais on en a besoin régulièrement, pour aider ceux qui ont endurci leur cœur et ont besoin de se rappeler que Dieu ne peut pas être trompé.

Je n'ai personnellement jamais eu l'occasion de prêché la crainte de Dieu, mais je m'en détournerai pas si l'Esprit me montre le besoin. Thomas Gros-Dubois a pris la tâche de prêcher sur ce sujet difficile pour les frères à la retraite à partir du passage d'Actes 5 et j'ai pu constater les fruits tout de suite après. Je ne désire pour aucun disciple de vivre dans la peur, mais vivre avec une compréhension continuelle de la grandeur de Dieu qui nous amène à un profond respect et une révérence : oui.

Je vais m'arrêter là sur la crainte. Je suis globalement d'accord avec toi sur le sujet dans les grandes lignes. Dans les détails, pas toujours. Mais sur un point en particulier, je diverge sérieusement : https://bereenne-attitude.com/crainte4/.
C'est d'une beauté indicible que le créateur de l'univers veuille nous élever au statut de fils, veuille nous appeler ses amis, veuille mourir à notre place, veuille nous servir. Mais "quiconque s'élèvera sera abaissé, et quiconque s'abaissera sera élevé". Ce n'est pas à nous de nous mettre à cette place-là. Ce n'est pas parce qu'on est traité comme son égale, qu'on est son égale. N'est-ce pas pourtant le problème du christianisme d'aujourd'hui ? On croit que Dieu tourne autour de nous, qu'il est notre esclave. Au lieu que ça nous rende humbles l'idée que notre Roi nous invite à sa table et nous traite comme son égale, on se croit "entitled" (je n'ai pas trouvé meilleur mot en français).

Jean 13:13–17
Vous, vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné l’exemple, afin que, vous aussi, vous fassiez comme moi j’ai fait pour vous. Amen, amen, je vous le dis, l’esclave n’est pas plus grand que son maître, ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé. Si vous savez cela, heureux êtes-vous, pourvu que vous le fassiez !

Ils font bien de l'appeler Maître et Seigneur plutôt que poto. Ils ne sont pas plus grands que Jésus parce que Jésus s'est mis en dessous d'eux en lavant leur pied.

Actes 20:24
Pourtant je ne fais aucun cas de ma propre vie, comme si elle m’était chère, pourvu que je mène à bonne fin ma course et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus : rendre témoignage à la bonne nouvelle de la grâce de Dieu.

Et pourtant sa vie est chère aux yeux de Dieu ! Paul l'a bien compris et c'est pour ça qu'il est devenu l'un de plus grand serviteur et esclave du Roi Jésus. C'est un honneur que de pouvoir mettre un genou à terre et servir le Christ et encore plus de pouvoir manger à sa table malgré qui je suis par rapport à lui.

Je n'étais pas sûr de vouloir t'écrire tout ça, je ne sais pas si c'est forcément utile, mais je me suis dit que ça ne me fera pas de mal au moins à préciser et affiné mes propres pensées et tester mes dires.

Je te souhaite une merveilleuse semaine, à bientôt j'espère !

Fraternellement,
Bruno