Eberhard Jüngel disait :
« La foi chrétienne ne vit pas (…) de l'espoir que les morts ressuscitent,
mais c'est l'espoir de résurrection qui vit de la foi en Jésus-Christ,
donc, de la foi dans ce seul homme, Jésus de Nazareth, défini comme fils de Dieu, et comme notre Seigneur, par la résurrection d'entre les morts. La différence est non seulement subtile mais aussi décisive. (…) Si l'idée de résurrection faisait l’unanimité, on s’offusquerait à peine de la résurrection de Jésus, malgré son caractère pour ainsi dire prématuré. »1
Jusqu’à aujourd’hui un seul est ressuscité d’entre les morts : le Christ messie d’Israël. « Il s’est fait voir »2 à ses disciples qui ont eu eux-mêmes du mal à le croire parce que si la croyance populaire en la résurrection était bien vivante pour une grande partie de la population juive de l’époque, on y pensait en lien avec la fin du monde, et uniquement avec elle.
Les premiers chrétiens sont des juifs qui ont cru à la résurrection anticipée du Christ.
Mais il ne faut pas prendre des vessies pour des lanternes : la résurrection n’est pas seulement « la résurrection de Jésus » c'est-à-dire le relèvement ou le réveil3 d’un mort, mais en premier lieu la « glorification du crucifié » ce qui pour la culture du premier siècle constitue un oxymore c'est-à-dire une contradiction, une impossibilité. Ceci a plusieurs conséquences :
- d’abord comme la citation de Jüngel le montre, nous ne sommes concernés que dans la mesure où nous-mêmes acceptons la crucifixion et en particulier notre crucifixion4,
- ensuite, et cela est fondamental, parce que la résurrection n’efface pas la crucifixion : c’est bel et bien un crucifié qui ressuscite, un homme au corps abîmé par le mal5 mais glorifié par Dieu6.
Si comme je l’ai postulé en parlant de son incarnation Jésus n’est pas seulement représentant de l’humanité mais aussi de toute la création alors nous devons comprendre que la résurrection qui renouvellera la création n’effacera pas le mal qui lui a été fait. L’histoire de Jésus est à jamais celle que nous connaissons. Notre histoire, celle que nous construisons, sera à jamais la nôtre jusque dans l’éternité7.
Que ce soit pour notre résurrection personnelle à laquelle nous aspirons à la suite de celle du Christ ou que ce soit pour le salut promis à la création toute entière8 le mal sera certes défait mais les traces de ses méfaits seront encore visibles comme les cicatrices des héros revenant victorieux du champ de bataille. Ce qui veut dire que la résurrection n'est pas un effacement ou un oubli de la vie passée mais bien une exaltation de la vie malgré la mort « salaire du péché ».
La résurrection augure d’un monde renouvelé plus que d’un monde nouveau. La différence entre les deux c’est que le monde renouvelé sera bâtit à partir de l’ancien monde9 et non seulement remplacé par un monde totalement nouveau. Cela nous permet de comprendre combien notre vie ici et maintenant est importante vis-à-vis de notre vie future.
La résurrection c’est l’espérance mais pas n’importe laquelle. L’espérance selon Dieu.
En effet, les grandes civilisations (Assyriennes, Babyloniennes, Perse, Grecques, Romaines, Chinoises) espéraient unifier le monde en leur imposant leur culture, les juifs espéraient réunir le monde sous la bannière de Yahvé et de sa loi, les premiers chrétiens espéraient un retour rapide de Jésus comme roi sur le monde, Mahomet espérait convaincre le monde de renoncer à l’idolâtrie, l’église médiévale espérait unifier les nations temporelles sous la bannière spirituelle du Pape (par la politique et parfois par la guerre ou les croisades), les penseurs des lumières espéraient qu’en expliquant le monde par la raison les humains pourraient le dominer et accéder à un progrès sans fin, les communistes espéraient réaliser l’homme nouveau en abolissant la lutte des classes, les transhumanistes espèrent « augmenter » l’humain afin que celui-ci puisse accomplir toujours plus… Tous ces espoirs déçus parce qu’ils relevaient d’entreprise purement humaines n’effacent pourtant pas l’espérance d’un monde meilleur. Mais tout dépend de ce qu’on entend par « meilleur ». La résurrection nous appelle à espérer le monde comme Royaume de Dieu c'est-à-dire comme une utopie de justice, d’amour, de paix et de liberté (bien compris) aux yeux des humains mais une possibilité réelle (et donc plus un utopie) si l’humain se tourne sincèrement et humblement vers Dieu.
La destruction de notre environnement n’est pas la fin du monde en général, mais pourrait bien être la fin de notre monde en particulier : sécheresses, canicules, ouragans, inondations, montée des eaux, pollution aux plastiques, pollutions aux pesticides fongicides herbicides et autres -cides, maladies endémiques devenant épidémiques voire pandémiques, maladies oubliées qui resurgissent10, déplacement de populations, guerres, pauvreté, délinquances et violences urbaines… sont des conséquences en cascades prévisibles de notre mode de vie actuel. Pour autant tout cela n’efface pas l’espérance chrétienne née dans la résurrection du crucifié. Les chrétiens, s’ils luttent pour prêcher (dans le monde) et établir (au moins dans leurs églises) la justice, la paix, l’amour et la liberté, seront comme leur maître, crucifiés par le monde parce que celui-ci s’il n'est pas sans espèrance, n’espère pas la même chose11.
Les chrétiens ont une tâche de plus (parce qu'ils l'avaient oubliée) dans leur prédication du Royaume de Dieu : prêcher la réconciliation de l’humain avec la création, et en particulier le respect des équilibres écologiques qui évitera la cascade de catastrophes destructrices génératrices de péchés de plus en plus grands. Cette prédication qui est celle de l'espérance en la résurrection est aussi une supplication pour la sauvegarde de ce que Dieu veut renouveler en le relevant au dernier jour12.
Notes
1- Eberhard Jüngel, La mort, Labor et Fides, Genève, 19711, 2021, p.87
Théologien luthérien allemand (décédé en 2021) qui relança la recherche en théologie trinitaire dans les années 1970.
2- Traduction littérale du grec qui est souvent traduit par « il apparut » à ses disciples (Exemple en Luc 24,34 ou 1Corinthiens 15,6).
3- Les mots relèvement et réveil sont les traductions littérales de ce qui est souvent traduit par résurrection dans les Bibles francophones.
4- Il ne s’agit pas de subir une crucifixion réelle (comme certains rite brutaux qui ont lieu à Pâques aux Philippines) mais une crucifixion spirituelle, celle à laquelle les chrétiens s’engagent à travers leur baptême (Romains 6,3-7) et qui conduit à un renoncement de soi au profit de l’idéal du Royaume de Dieu.
5- Jean 20,27
6- Philippiens 2,6-11 passage dans lequel il y a une mise en opposition entre l’abaissement volontaire de Jésus acceptant la Croix et sa glorification par Dieu.
7- C’est pour cette raison que la notion de péché revêt une importance majeure dans la vie des chrétiens. Si notre vie était une peinture, le péché serait commune tache sur notre œuvre éternelle. Mais encore faut-il savoir ce qu’est le péché pour pouvoir le combattre. Ce n’est pas l’objet de mon propos.