Le premier récit de la création nous explique simplement que l’humain est créé mâle et femelle à l’image de Dieu. L’humain est donc créé en deux parties différentes qui ensemble sont « image de Dieu ». Ces deux parties sont alter-ego, c'est-à-dire qu’il existe dans l’humanité une altérité fondamentale. L’humain n’est donc pas simplement « généré » mais bel et bien créé : parce que Dieu le fait en deux partie, il fait passer l’humain de l’état de nature à celui de créature.
Le deuxième récit1 de création nous donne d’autres détails sur la création. En particulier il donne deux conditions nécessaires pour que la terre produise des arbustes et des herbes : la pluie mais aussi l’humain qui les cultive2. La nature a besoin de la pluie pour son développement biologique mais elle ne devient création que lorsqu’elle est cultivée par l’humain. C’est un tournant majeur dans la compréhension de ce qu’est la création que nous apporte ce deuxième récit : il nous dit que c’est la culture qui fait de la nature la création, or la culture, c’est l’humain qui en est le porteur. L’humain est plus qu’un animal, l’humain porte en lui plus que la nature. Et sans lui la nature reste la nature dans sa totale indifférence. L’humain est bien le centre de la création (mais pas de la nature) comme les théologiens3 l’ont deviné bien avant le christianisme. Mais il ne peut le rester que s’il est à l’image de Dieu, dans l’altérité.
En hébreu l’humain se dit adam et la terre adama. Il y a un lien fort entre les deux : l’adam vient de l’adama. Pour tenter de rendre le jeu de mot en français on pourrait dire que « l’humain vient de l’humus ». Il fait donc partie de la nature. Il n’est pas un extra-terrestre débarqué d’une autre planète pour « coloniser » la terre. Il ne peut donc pas s’affranchir des lois de la nature. Au contraire : le verbe cultiver4 utilisé au v5 et au v15 veut d’abord dire servir. L’humain doit donc se servir de la nature pour qu’elle devienne et reste création selon Dieu. Toute la différence avec ce qu’on observe dans l’histoire de l’humanité c’est que l’humain a tendance à se servir de la nature pour se servir lui-même et non pour servir au plan de Dieu. Si l’humain cultive la nature pour en faire la création en collaboration avec Dieu alors l’humain, issu de l’humus, fait preuve d’humilité. Ainsi s’il veut participer à la création l’humain a besoin de l’aide de Dieu. S’il manque la cible il ne fait pas preuve d’humilité c'est-à-dire qu’il n’accomplit pas ce pour quoi il a été créé. La Bible dit qu’il pèche.
Dieu place l’humain dans un jardin en un lieu appelé Eden : il garde pour sa créature un endroit assez sécurisé pour qu’il puisse s’épanouir. Comment ? En cultivant et en gardant cet endroit réservé dans lequel il peut vivre et se développer, c'est-à-dire apprendre la vie. L’humain n’est pas maître de toute la terre. Et même dans le jardin qu’il maîtrise il est appelé à servir. Il est maître parce qu’il est responsable, mais dès l’origine on comprend que être maître c’est servir. Pour cela il ne peut pas se laisser aller à ses instincts naturels qu’il doit apprendre à maîtriser.
L’humain est appelé à donner un nom aux animaux. Il devient l’assistant du Dieu qui parle. Dieu voulait que l’humain trouve un vis-à-vis. On peut penser que chiens, bovins ou chevaux pourraient être un secours pour sa faiblesse, mais il ne trouve pas ce secours parmi les animaux, c'est-à-dire dans la nature. Ce n’était d’ailleurs pas l’intention de Dieu qui va créer ce secours. De manière surprenante le secours apporté à l’humain c’est d’être dédoublé en deux genres : femme et homme5 (et pas seulement en deux sexes, mâle et femelle, comme dans le premier récit de création). C’est grâce à la création du genre à partir de la nature, en séparant de lui un côté (et non une côte) de l’humain que Dieu va apporter à l’humain l’aide dont il avait besoin. Le secours vient de la création de l’altérité6. A l’humain indifférencié il ne manque rien corporellement ni relationnellement (ou alors il n’en n’a pas conscience). A l’humain homme « ou » femme il manque quelque chose : ce qui l’appelle à vivre l’altérité, sexuellement et relationnellement. Cela pourrait sembler futile mais en réalité l’altérité est la condition du désir, du désir de relation7, et ici, en particulier dans ce texte, du désir sexuel. Or le désir c’est la vie, c’est ce qui met en mouvement, ce qui donne envie de quitter son père et sa mère pour aller découvrir et construire (s’attacher à) autre chose, c'est-à-dire créer. Ce désir est encore une (des) manifestation(s) de l’amour qui est le moteur de la création et non pas celui de la nature dont le moteur sont les lois physiques, chimiques et biologiques.
L’humain a été créé, il a commencé à participer à la création avec Dieu, il a commencé à coopérer avec Dieu parce qu’il avait besoin de la sécurité nécessaire à sa croissance, et un jour il a cru qu’il pouvait s’émanciper. Mais en réalité dans ce processus, il continue d’être créé. On pourrait dire qu’il évolue. La création ce n’est pas un fait établit une fois pour toute. Dieu a créé et continue de créer la création à partir de la nature, avec l’aide des humains quand ceux-ci le veulent bien et ne font pas le contraire de ce que Dieu aurait souhaité.
Notes
1- A partir de la deuxième moitié du v4 du chapitre 2 de la Genèse.