Une église pour le 21ème siècle

INTRODUCTION

On a tous remarqué que le sapin et le père noël ont fait le hold-up sur la fête de la nativité, que les sorcières à balais et les citrouilles ont kidnappé la Toussaint et que les cloches, les lapins et les œufs en chocolat ont confisqué Pâques. Il n'y a pas lieu de se lamenter face à cette constatation, car au fond cela n'a pas une importance spirituelle fondamentale, vous comprendrez pourquoi en lisant ces quelques lignes. Mais il s'agit d'un signe des temps. Depuis le siècle des lumières et l'avènement de la modernité, on peut dire que la chrétienté recule devant la laïcité. Si dans cette dernière proposition chaque mot est bien pesé, nous verrons que la laïcité ne consiste pas seulement à décorer des sapins de Noël ou à se déguiser en sorcière. Car modernité, chrétienté, laïcité sont des concepts dont la définition est ambiguë parce-que dans le brouhaha médiatique d'aujourd'hui, ils nous sont servis à tour de bras, sans éclaircissement sur leur réelle signification. Et ils sont souvent employés de travers. Sauriez-vous définir ce qu'est le christianisme, la chrétienté, la laïcité, la religion, ou encore la modernité ? Et sauriez-vous comment employer les qualificatifs biblique ou même chrétien ? Afin de bien se comprendre il est utile de débuter en précisant les termes qu'on emploi et les concepts auxquels on fait appel.

Commençons par la modernité1. Chaque discipline des sciences humaines pourrait en donner une définition différente. Mais ce qui constitue le fil rouge entre toutes ces définitions conceptuelles est l'usage primordial de la raison. Etre moderne, c'est tenter de comprendre le monde par la raison, ou pour le dire autrement, donner une explication du monde humainement raisonnable. Un épisode célèbre peut nous donner un éclairage sur ce que veut dire donner une explication du monde raisonnable : lorsque Napoléon Bonaparte demanda au scientifique Pierre Simon de Laplace pourquoi il ne citait pas Dieu dans la première édition de son livre « Exposition du Système du monde », celui-ci aurait répondu : « Citoyen premier Consul, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse ». Des tonnes d'encre ont coulé pour tenter de savoir si Laplace avait traité Dieu d'hypothèse ou s'il voulait simplement sortir Dieu du champ scientifique. Il faut savoir que Laplace était très croyant, ainsi sa réponse à Bonaparte, qu'elle soit réellement historique ou non, voulait dire : « mon explication va jusqu'aux limites de la raison, à l'intérieur de ces limites, je n'ai pas besoin de faire intervenir Dieu ». On peut donc dire que la modernité est une méthode de réflexion qui demande d'explorer le monde jusqu'aux frontières des capacités de la raison. Nous verrons que cette méthode est tout à fait compatible avec la pensée biblique pour peu qu'on considère la Bible pour ce qu'elle est c'est à dire un témoignage sur la Parole de Dieu (Jean 5,39).

Depuis une quarantaine d'année le post-modernisme réagit contre le modernisme en soulignant ses limites en particulier dans les résultats obtenus : échec du modernisme idéologique (communisme, nazisme...), échec du modernisme libéral (capitalisme). Bien qu'il n'en n'abandonne pas les fondements (bien au contraire : c'est toujours la raison qui doit guider l'homme) le post-modernisme pousse le concept au bout de sa logique : chaque homme doit être guidé par sa raison, et non par la raison. En effet une raison collective telle que la conceptualisait Kant, qui guiderait chaque homme vers les mêmes conclusions en réalité n'existe pas. L'histoire moderne en est la preuve.

La Bible propose à ses lecteurs depuis des millénaires d'explorer les frontières de la raison. Car les auteurs des divers livres qu'elle contient, issus d'époques et de milieux très différents2, ont en commun de nous proposer un témoignage sur l'au-delà de la raison humaine, là où se rencontre la foi3. Il est vrai qu'apparemment, si l'on tente de construire une histoire des idées (ce que les philosophes font très bien), on aura vite le sentiment que le royaume de la raison ne fait qu'agrandir son territoire tandis que celui de la foi ne fait que reculer. Mais nous verrons que ce n'est qu'une impression, car les vraies frontières ont toujours été les mêmes, et probablement aujourd'hui encore ne correspondent-elles pas avec ce que nous en percevons, même avec toute notre science d'hommes modernes.

Mais avant d'utiliser le texte biblique comme une possible carte des contrées inconnues et surtout de celles inconnaissables4 par la raison il nous faut faire le pas de la foi, c'est à dire de la confiance dans cette bibliothèque de livre, que l'on pourra considérer comme inspirée par l'Esprit de celui qui connaît l'inconnaissable de la raison humaine. Et si d'autres références que la Bible peuvent être considérés, et sont considérés par une partie de l'humanité, comme des guides d'exploration de l'inconnaissable, il nous faut faire un choix, non pas arbitrairement, mais en acceptant la méthode donnée par Jésus-Christ lui même dans l'évangile de Jean : Si quelqu'un veut faire sa volonté, il saura si cet enseignement vient de Dieu ou si c'est moi qui parle de ma propre initiative5. Il s'agit donc d'essayer, d'expérimenter l'enseignement de Jésus, pour savoir si cela fonctionne ; en quelque sorte comme une méthode expérimentale. L'objection principale à un tel argument consistera à penser qu'on ne peut pas essayer de mettre en pratique tous les textes religieux qui sont à disposition de l'humanité, mais un tri est possible a priori sur la base de … la raison6 car elle est le seul outil à notre disposition à ce niveau de notre réflexion. Mais si l'on choisit la Bible comme carte routière pour s'orienter au delà des frontières de la raison humaine, il faut apprendre à la lire. Car avec la bonne carte, on peut se tromper de direction si on ne sait pas s'en servir. C'est là que nous allons tenter de définir comment l'adjectif biblique peut être utilisé.

Qu'est-ce qui est biblique ? Pour avancer un peu nous pourrions dire qu'est biblique ce qui relève de la pensée développée dans la Bible. Mais cela manque encore de précision : qu'est ce que la pensée biblique ? Bien que des livres entiers aient été écrits à ce sujet, c'est là qu'entre en jeu la compréhension de ce qu'est l'inspiration des écritures. Lorsqu'on réalise l'exégèse7 d'un texte il nous faut adopter (pour être moderne) une attitude critique, c'est à dire qu'en dehors de toute considération sacrée ou spirituelle nous abordons le texte pour ce qu'il est, comme n'importe quel texte, avec notre raison. C'est lorsqu'on passe de l'exégèse à l'herméneutique8, qu'intervient la notion d'inspiration9 : comment l'Esprit de Dieu peut-il se trouver dans un texte biblique et nous parler à nous au 21ème siècle ? Si notre exégèse est rigoureuse, elle nous sert de garde fou pour ne pas faire dire n'importe quoi au texte. En effet il ne s'agit pas de simplement répéter littéralement des affirmations bibliques pour être biblique car ces affirmations ne peuvent pas être comprises aujourd'hui comme elles l'étaient au 1er siècle. Et pour être fidèle au message initial, il est nécessaire soit de le reformuler, soit d'expliquer la formulation initiale. Finalement notre principe sera celui-ci : ce qui est important et qui a autorité, ce n'est pas le texte en lui-même mais ce dont il parle10. Ainsi l'inspiration n'est pas dans le texte mais dans l'esprit du texte. La textolâtrie, c'est à dire l'adoration de la lettre du texte, serait trahir l'esprit du texte et donc, si l'on considère que le texte contient un message de Dieu pour nous, ce serait aussi trahir l'Esprit.

Si tous les concepts ou qualificatifs évoqués ne sont pas encore définis, il le seront plus loin selon le besoin, mais nous venons très succinctement de jeter les bases de notre réflexion qui vont nous permettre d'articuler foi et raison de manière rigoureuse et … moderne. Nous pouvons maintenant entrer dans le vif du sujet pour tenter de comprendre les problèmes de l’Église ; ceux d'hier et d'aujourd'hui, afin d'anticiper ceux de demain et de construire une église moderne, mais biblique. Ou inversement.


Notes

A ne pas confondre avec le modernisme qui consiste à accepter les bénéfices de la modernité (la technologie par exemple). On peut refuser la modernité et accepter le modernisme, ce qui constitue un paradoxe facilement observable aujourd'hui. Les plus cohérents parmi ceux qui refusent la modernité sont les Amish anabaptistes qui refusent aussi le modernisme.

Ce qui implique des genres littéraires très différents à l'intérieur même des livres que contient la Bible.

Pour les plus théologiens, je tiens à préciser que ma position n'est pas « fidéiste » dans le sens où je ne propose pas une séparation nette entre raison et foi, mais plutôt l'idée que la foi peut s'appuyer sur la raison pour ensuite permettre d'explorer ce que la raison seule ne peut connaître.

Pour continuer avec a métaphore des frontières entre ce que peut connaître la raison et ce qu'elle ne peut connaître disons que l’inconnu et l'inconnaissable de la raison ne sont probablement pas identiques car la raison fait diminuer l'inconnu, tandis que l'inconnaissable restera toujours le même.

Jean 7,17 - Traduction Nouvelle Bible Second (NBS).

Bien que la question de comment faire ce tri soit en dehors de notre propos sur l'église, il n'est pas inutile d'en rappeler les fondements : d'abord, les grandes religions non monothéistes sont panthéistes et demandent l'adoration de la nature qui pourtant relève de l'exploration par la raison (cela devrait être encore démontré mais ne peut l'être ici). Ensuite parmi les religions monothéistes, qui relèvent d'un tronc commun de la révélation, il s'agit de comprendre l'oeuvre des grands prophètes dans l'histoire du salut : grosso modo dans l'ordre chronologique avec la Torah de Moïse nous avons une loi et la fidélité à Dieu consiste à faire ce que dit la Loi ; avec Jésus puis l'Esprit Saint nous avons Dieu personnellement avec nous, et la fidélité à Dieu consiste à avoir une relation directe avec Dieu, une relation édifiante qui nous pousse au delà de ce dont nous sommes capables ; avec Mahomet, nous avons à nouveau une loi à mettre en œuvre, et la fidélité à Dieu revient au même principe qu'avec la Torah, seuls les commandements changent. S'il y avait bien un sommet théologique avec Jésus-Christ Parole de Dieu ou Fils de Dieu, il y a bien un retour théologique à une ancienne tradition avec l'Islam, donc aucun réel progrès du point de vue de la révélation.

La recherche de ce que voulait dire l'auteur du texte à ceux à qui il s'adressait.

La recherche de ce que veut dire le texte pour nous à notre époque.

Mais l'inspiration, c'est à dire l'action ou le souffle de l'Esprit, ne consiste pas à passer de l'exégèse à l'herméneutique. Il faut les deux parties de la réflexion pour trouver ce que veut nous dire l'Esprit. Et il ne s'agit pas d'un concept post-moderne, car il s'agit de Dieu parlant à l'homme et non de l'homme se parlant à lui-même.

10  Entre les théologiens du 19ème siècle qui ne pensaient qu'à retrouver le Jésus historique (théologie historique), et ceux du 20ème qui distinguent de manière trop forcée Jésus et son message (théologie dialectique) il y a un juste milieu qui consiste à rechercher de quelle manière le message de l'Évangile nous parle, nous touche, nous concerne, et finalement nous engage.

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