Comment Dieu impute-t-il sa justice ?

Question :

Comment vois-tu la doctrine de l’imputation ?
 Je sais qu’elle est plutôt d’origine luthérienne, qu’on parle de 3 imputations dans la Bible : le péché d’Adam à l’homme, les péchés des hommes à Christ, et la justice de Christ à l’homme. Mais je ne sais pas ce qui la sous-tend et surtout les travers de cette manière de voir ; j’en ai juste entendu parlé, je n’ai pas fait de recherche plus poussée.

Franck


Éléments de réponse :

Imputer c’est mettre quelque chose sur le compte de quelque chose ou de quelqu’un ; attribuer à quelqu'un des actions, des faits ou des comportements.

Quand on parle d’imputation, on parle d’une doctrine théologique mais on ne peut pas dire qu’on en parle « dans la Bible ». Tout est question d’interprétation.

Paul a expliqué en profondeur ce qu’est la justice de Dieu en Romains 1,19 à 4,251. L’un des passages clé se trouve en Romains 3,21-26 :

21Mais maintenant, en dehors de la loi, la justice de Dieu attestée par la loi et les prophètes s’est manifestée, 22justice de Dieu, par la foi de Jésus-Christ, pour tous ceux qui croient. Car il n’y a pas de distinction : 23tous, en effet, ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; 24et c’est gratuitement qu’ils sont justifiés par sa grâce, au moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. 25C’est lui que Dieu s’est proposé de constituer en expiation, au moyen de la foi, par son sang, pour montrer sa justice ; parce qu’il avait laissé impunis les péchés commis auparavant, 26dans sa tolérance, Dieu a voulu montrer sa justice dans le temps présent, pour être juste tout en justifiant celui qui relève de la foi de Jésus. (Romains 3,21-26)

Selon Paul, il n’y a pas d’échappatoire, pas d’excuse, pas d’autojustification possible : j’ai péché parce que je fais partie de ce « tous »2. Le v23 contient cependant en lui-même une partie de la réponse à la question posée : je suis privé de la gloire de Dieu (ce qui veut dire que je suis privé de la présence de Dieu autrement dit je suis privé d'une relation avec Dieu) parce que moi, j’ai péché. Il ne s’agit pas ici de savoir si je suis héritier de la culpabilité du péché d’Adam. Il s’agit de reconnaître que moi, j’ai péché ; comme Adam ; mais aussi comme tous les autres.

En Romains 5,123 Paul dit que la mort a passé à tous les humains du fait que tous ont péché. Le ἐφ’ ᾧ (éph hoï) de la fin du verset 12 ne doit pas être traduit par « en lequel »4 mais par « parce que » (Colombe, NBS, BFC, S21) ou par « du fait que » (JER). La référence à un seul humain, identifié à Adam au v14, ne doit donc pas être comprise historiquement ou temporellement. Il n'y a pas un premier être humain qui a péché et reporté une culpabilité sur ceux qui ont suivi mais comme le dit l’apôtre en 1Corinthiens 15,44b-48 :

S'il y a un corps naturel, il y a aussi un corps spirituel. C'est pourquoi il est écrit :
Le premier homme, Adam, devint un être vivant, naturel.
Le dernier Adam, lui, est devenu un esprit qui fait vivre.
Ce n'est pas le spirituel qui est premier, c'est le naturel ; le spirituel vient ensuite.
Le premier homme, tiré de la terre, est fait de poussière.
Le deuxième homme vient du ciel.
Tel est celui qui est fait de poussière,
tels sont aussi ceux qui sont faits de poussière ;
et tel est le céleste,
tels sont aussi les célestes

Il y a le premier humain, puis le deuxième humain. Mais tout cela explique ce qui se passe en nous, dans notre vie à tout un chacun. Certains en restent au premier homme. D’autres acceptent le don de Dieu, ce qui les fait passer au deuxième homme, homme nouveau. Paul expliquera le processus pour accepter ce don au chapitre suivant (6,4-5).

Il n’y a donc pas d’imputation du péché d’Adam à tous les hommes. Cette doctrine vient d’une lecture influencée par des siècles de vénération d’Augustin et de lecture de la Vulgate. Pour les prophètes les choses étaient claires5 : En ces jours-là, on ne dira plus « Les pères ont mangé des raisins verts, et ce sont les fils qui ont mal aux dents. » Chacun mourra pour6 sa propre faute : tout homme qui mange des raisins verts, c'est lui-même qui aura mal aux dents (Jérémie 31,29-30).

Maintenant, qu’en est-il des deux autres imputations ? Elles sont liées l’une à l’autre car si on n’impute pas le péché à Christ, alors il n’y a pas de raison que sa justice soit imputée aux hommes. Si imputation il y a, celle-ci ne peut venir que de Dieu. Ce qui pose problème alors est la manière dont la notion d’imputation présente Dieu : il est un Dieu tout puissant imputant ou n’imputant pas la justice du Christ ; Dieu est une sorte de juge qui attribue ou n’attribue pas sa propre justice aux hommes. Selon quels critères ? Luther qui opposait si fortement la foi et les œuvres dira que le critère d’imputation, c’est la foi. Le problème n’est pour autant pas résolu car qu’est-ce que la foi ? Calvin tentera de résoudre le problème par la notion de double prédestination : Dieu qui est juge est dans les cieux et il fait ce qu’il veut : il peut imputer sa justice à qui il veut et ne pas l’imputer aux autres7. Le choix de Dieu est issu d’une raison divine objective, probablement meilleure que la raison humaine subjective.

En Romains 4 le verbe logizomai autrefois traduit par imputer (LSG 1910) mais plus souvent traduit par compter (Colombe, BFC, NBS, TOB, S21, JER) apparaît 11 fois. Dans ce chapitre à partir du v7 on entend souvent dire que le sang de Jésus couvre nos péchés. Et que Dieu en considérant ceux qui ont la foi ne verrait plus des pécheurs, mais Jésus son Fils. Sa justice nous serait imputée. Mais si on pousse le raisonnement jusqu’au bout : l'homme n'est finalement pas différent après la mort de Jésus et il peut avoir une relation avec Dieu, tout en péchant, puisque le sang couvre les péchés. Finalement le sang de Jésus change le cœur de Dieu, mais pas celui de l'homme !

Tous le problème de cette « imputation » vient d’une vision de Dieu comme un juge, mais surtout comme un juge humain dans un tribunal humain. Or la séparation que crée le péché entre Dieu et moi (Esaïe 59,1-2) n’est pas une barrière légale qui relève d'un tribunal, mais relationnelle : Ce qu’il faut réparer, c’est la relation, pas la justice légale. Le protestantisme bibliciste (qui interprète la Bible littéralement) a du mal à se séparer de cette vision légale de la théologie.

Mais le sang de Jésus versé pour nous sur la croix ne sert pas à couvrir nos péchés comme on cache la moisissure sous une couche de peinture neuve, ou comme on masque une mauvaise odeur par un déodorant ou comme on calme les symptômes par des médicaments sans s’occuper de la cause de la maladie.

En fait s'il faut changer quelque chose, c'est en moi ; pas en Dieu.

C'est là qu'agit le sang du Christ : il nous lave, il nous purifie. Mais comment  ? Il n’y a rien de magique : saisir (spirituellement) la croix, c’est comprendre l’amour de Dieu car Dieu se révèle par la croix. Or saisir et être saisi par l’amour de Dieu, c’est être apte à la relation avec lui, c’est pourquoi on dit que ce sacrifice est propitiation : c’est à dire qu’il a une « action de rendre propice » c’est à dire « bienveillant, prêt pour, disposé à ». Ce sacrifice me rend propice à une relation avec Dieu, non pas religieusement ni légalement mais parce qu'il change mon cœur envers Dieu (Actes 2,37). Et non parce-qu'il rétablit une justice légale vis à vis de Dieu. Si je suis «  propice à la relation avec Dieu  » je suis délivré de l'emprise du péché, je suis armé pour lutter contre le péché qui m’attaque encore parce que je peux constamment retourner vers la croix et la résurrection chercher la grâce et la force de me battre (pas uniquement la grâce).

Conclusion

Imputation ou pas imputation ? en fait cela n’a aucune importance. Ce qui est certain c’est qu’il n’y a pas d’imputation liée à un jugement rendu dans un tribunal. Mais qu’il y a rétablissement d’une relation. Le jugement de Dieu (à cause du mot lui-même et suite aux réformateurs qui ont trop insisté) est trop souvent associé à la justice légale quand le but de Dieu n’est pas de nous juger (Jean 12,47)8 mais
1/ de sauver sa relation avec nous en se faisant connaître et en nous connaissant (cf. Matthieu 7,21-23 qui parle du jour du jugement en terme de relation)
2/ de nous faire participer à une nouvelle création (2Corinthiens 5,15 ; Galates 6,15 ; Ephésiens 4,24) voire même à sa divinité (2Pierre 1,4) - cf http://bereenne-attitude.com/question-4/

Il faut arrêter de voir Dieu comme juge dans un tribunal quand le vrai juge au fond, le vrai décisionnaire, c’est moi-même qui décide ou ne décide pas de devenir un homme nouveau grâce à l’anti-pouvoir de la croix et de rétablir par la repentante une relation avec Dieu que moi-même j’ai abîmée par ma vie d’idolâtre en voulant être autonome (roi de ma propre vie) ou en me soumettant à des directeurs humains (que je divinisais) et à des puissances destructrices (comme l’argent, le pouvoir, le plaisir vus comme des fins et non des moyens).


Notes

1 cf : Récapitulation des 7 discours sur la justice de Dieu selon Paul

2 πάντες γὰρ ἥμαρτον

3 ὥσπερ δι’ ἑνὸς ἀνθρώπου (comme à travers un seul homme) ἡ ἁμαρτία εἰς τὸν κόσμον εἰσῆλθεν (le péché dans le monde entra) καὶ διὰ τῆς ἁμαρτίας ὁ θάνατος (et à travers le péché la mort), καὶ οὕτως εἰς πάντας ἀνθρώπους ὁ θάνατος διῆλθεν (ainsi aussi pour tous les hommes la mort passa), ἐφ’ ᾧ πάντες ἥμαρτον (du fait que tous ont péché).

4 Cette traduction de la fin du verset 12 est liée au latin de la Vulgate (traduction du grec au latin par Jérôme) au début du Vème siècle. La traduction de Jérôme est influencée par la doctrine du péché originel qu’Augustin avait formalisée et rendue populaire un siècle avant lui. Ce qui est problématique c’est que Le concile de Trente (1545) appuie la pratique du baptême des enfants sur ce verset parce que les évêques du concile lisaient la traduction latine de Jérôme.

5 Même si au contraire certains textes législatifs indiquent que Dieu pouvait punir plusieurs générations d’affilée pour les péchés commis auparavant. Mais Paul est contre cette idée parce qu’en Christ Dieu montre « ce qu’était la justice, du fait qu’il avait laissé impunis les péchés d’autrefois, au temps de sa patience ».

6 ou plutôt dans (préposition ב), car le problème c’est le péché, pas Dieu qui condamne. C’est le péché lui-même qui détruit l’homme (Romains 1,27) et sépare l’homme de Dieu et non pas la colère de Dieu contre l’homme ou le péché.

7 L’incertitude spirituelle engendrée par ce raisonnement a amené les protestants des XVII et XVIIIème siècles à chercher dans la vie quotidienne des signes d’élection («suis-je sauvé ?» est une question angoissante). En particulier, ils en vinrent à penser que la richesse était un signe d’élection. Par ricochet, toute une théologie de la prospérité s’est développée pour montrer que si je suis riche c’est que je suis élu. Max Weber au début du XXème siècle a démontré que les protestants se sont enrichis plus vite que les catholiques à cette période là sous l’influence d’une telle théologie.

8 Le passage en Jean 12,44-50 est crucial pour la théologie du jugement car Jean arrête sa narration pour faire une première conclusion de son évangile avant que ne commence le récit du dernier repas de Jésus avec ses disciples en Jean 13.

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