Se marier est-il utile et/ou nécessaire ?
Question :
Le 30 déc. 2020 à 14:32, Jean Folie a écrit :
Bonjour j'ai une question précise. je vis avec une femme sans être marié avec depuis plusieurs mois car je considère que passer devant la mairie au pire une église ou un temple sont hors de ma volonté car une mairie est l'expression bureaucratique du monde matriciel de satan tandis que les églises sont toutes corrompues
Autrement dit vivre en toute fidélité dans un concubinage en restant fidèle à son épouse morale, et non civile, sans perversion et sans adultère sans aller voir ailleurs est-ce acceptable du point de vue de Dieu en ne tenant compte d'aucunes religions dogmatiques ?
Dois-je m'attendre à périr dans les flammes de l'enfer pour l'éternité sous les applaudissements de tous les curés et Pasteurs de la planète entière satisfaits de mon sort ? d'avance merci.
Jean
Éléments de réponse :
Merci Jean pour ta question message. J’imagine que tu lisais un ou plusieurs des articles de la Béréenne-Attitude sur l’éthique sexuelle lorsque tu as rédigé ta question. Celle-ci laisse transparaître un fond de colère qu’il est bon d’exprimer et qui peut être légitime quand on considère la société. Au fond je crois que tu demandes : qu’est-ce qui fait un couple ? Si elle est légitime, cette question est aussi complexe surtout si on y ajoute le témoignage de Dieu : qu’est-ce qui fait un couple… devant Dieu ?
Écoutons ce qu’en dit Jésus en Matthieu 19
3Des pharisiens vinrent le mettre à l’épreuve en lui demandant : Est-il permis à un homme de répudier sa femme pour n’importe quel motif ? 4Il répondit : N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès le commencement, les fit homme et femme 5et qu’il dit : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux seront une seule chair. 6Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l’homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni !
Jésus est questionné sur la répudiation, mais il ne peut répondre qu’en parlant de ce qui fait un couple. Si le couple se défait, c’est parce que certaines conditions ne sont pas respectées. Les conditions qu’il énumère rapportent aux origines de l’humanité ; sa réponse n’est donc pas théologique (qu’en pense Dieu ?), mais d’abord anthropologique (ce qui est de l’ordre de la création de l’humain : comment l’humain fonctionne-t-il naturellement ?).
Évidemment si Dieu est le créateur de l’humain, il ne peut contredire ce qu’il a créé lui-même et les deux (théologique et anthropologique) se rejoignent. C’est une évidence que Jésus exprime en s’étonnant : n’avez-vous pas lu… ? Bien sûr qu’ils ont lu ! mais probablement mal compris. Ou bien alors, aveuglé par leur désir de prendre Jésus au piège, ils en ont oublié le fondamental.
Il est important pour nous de saisir que la réponse de Jésus est valable universellement : il n’est pas nécessaire d’être juif ou chrétien pour comprendre ce qu'il dit. C’est de l’ordre du fonctionnement de l’humain ! C'est de la psychologie... Vous remarquerez que Dieu n’intervient pas dans les trois conditions que Jésus mentionne, sauf que c’est lui qui met en place ces conditions lors de la création.
Alors quelles sont-elles ces conditions dont Jésus parle ? Eh bien il dit que pour faire un couple il faut trois choses :
- quitter
Il nous faut quitter l’enfance et ses représentations paternelles ou maternelles. Concrètement nous devons avoir quitté nos parents pour pourvoir être en condition de former un couple. Il nous faut changer de statut : passer de la dépendance à l’autonomie. En termes théologiques nous pourrions dire que nous rompons une alliance.
- s’attacher
C’est trouver un nouveau lien, qui n’est plus de l’ordre de la dépendance, de la soumission et de l’obéissance (dans le bon sens de ces termes), mais de l’ordre du vis-à-vis1 (Genèse 2,18) ce qui implique une égalité, un regard à la même hauteur. S’attacher à quelqu’un qui nous domine est de l’ordre du pathologique qui démontre que la première étape (quitter) n’est pas réalisée. Et de même s’attacher à quelqu’un qu’on veut dominer est de l’ordre du péché (Genèse 3,16).
- devenir2
C’est construire la relation de couple de manière à ce que cela aide chacun des partenaires à s’épanouir, c'est-à-dire à réaliser son identité complète. C’est un travail qui se fait à deux. Les deux deviennent ensemble. L’un ne peut devenir sans que l’autre devienne aussi, nonobstant les différences. Sinon, ce n’est pas un couple.
Ceci étant dit, quid du mariage ? A-t-on besoin de se marier pour être un couple ? Où est le mariage dans ce que dit Jésus ? A première vue, si l’on en reste à la définition des v3 et 4 de Matthieu 19 il semblerait qu’on puisse s’en affranchir !
Pourtant, un peu plus loin dans le texte, les pharisiens parlent d’une attestation de rupture ce que Jésus ne nie pas en soi (v9), car il argumente sur la cause de la rupture qui est la dureté du cœur (v8 - τὴν σκληροκαρδίαν). Et les disciples de s’insurger : Si telle est la condition de l’homme par rapport à la femme, il n’est pas avantageux de se marier (v10 - γαμῆσαι).
On pourra alors se demander ce que veut dire se marier dans le contexte juif de l’époque de Jésus ou parmi les premiers chrétiens3. Mais ce serait faire fausse route. Il vaut mieux en rester à ce qui est de l’ordre de l’universel et se demander, quelle qu’en soit la forme et les modalités, à quoi sert-il de se marier ?
Dans toute construction du couple il existe trois composantes :
- Le légitime
C'est ce qui fonde la relation du couple. C’est ce qui répond à la question « pour quelles raisons conscientes4 sommes-nous ensemble ? ». A chaque époque le légitime change. Dans une société de devoir ou de survie, les raisons pour se mettre en couple ont rapport avec la mise en commun de biens ou de forces qui permettent de subsister. Dans une société de droit, les raisons seront romantiques, sentimentales ou d’ordre sexuel.
- Le légal
Il ne s’agit pas du légal au sens du respect de la loi, mais au sens de ce qui enracine le légitime dans la réalité. Le légal c’est répondre aux questions :
- comment montrons-nous que nous sommes engagés, l’un à l’autre ?
- comment montrons-nous que nous sommes engagés, à la société ?
C’est là que dans notre société interviennent le mariage et plus récemment le Pacte Civil de solidarité (PaCS). Nous en reparlons un peu plus loin.
- Le parental
C'est ce qui construit le couple. Ce qui lui donne « sa forme ». Au delà d’avoir des enfants (ce qui fait partie du parental) il s’agit aussi du projet de couple (d’autant plus important que les enfants sont destinés eux-mêmes à… quitter5).
Alors le mariage est-il nécessaire ? Ne peut-on pas vivre l’engagement dans le couple (le légal) en dehors du passage devant Monsieur le Maire, ou devant le prêtre/pasteur de la paroisse ? Je ferai trois remarques :
D’abord il s’agit de considérer l’aspect sociétal : comment montre-t-on autour de nous notre engagement ?
Jésus ne se soucie guère de la forme sociale, mais plus du message transmis à la société. En disant aux pharisiens de rendre à César ce qui est à César (Matthieu 22,21) il dit aux juifs de ne pas se soucier de la forme mais du message : payer l’impôt à César, c’est remettre César à sa place : il n’est qu’un garant de l’ordre social, il n’est pas Dieu. Mais en même temps il enjoint au juifs (et aux disciples, cf. Luc 12,20) de ne pas troubler l’ordre social pour des raisons de forme.
Nous pouvons extrapoler facilement l’ordre de Jésus à toute l’organisation de la société. Celle-ci est faite d’hommes et de femmes pour la plupart non-croyants et qui agissent en non-croyants mais parmi lesquels se trouvent des chrétiens qui ont un message à délivrer. Or ce message n’a rien de moral, et encore moins de politique : il est spirituel (il relève de l’Esprit). C’est la raison pour laquelle Paul dès le début des années 50 peut dire aux Thessaloniciens de mettre un point d’honneur à vivre en paix, à vous occuper de vos propres affaires et à travailler de vos mains, comme nous vous en avons donné l’injonction, afin que vous vous comportiez convenablement envers ceux du dehors et que vous n’ayez besoin de personne (4,11-12). Six ou Sept ans plus tard il dira aux Romains : Ne rendez à personne le mal pour le mal. Efforcez-vous de faire ce qui est bien devant tous. S’il est possible, pour autant que cela dépende de vous, soyez en paix avec tous. Ne vous faites pas justice vous-mêmes, bien-aimés… (12,17-19).
Ce n’est pas aux chrétiens de dire aux non-chrétiens comment doit s’organiser la société. Les chrétiens sont dans le monde sans être du monde (Jean 17,14), ils font tout sans maugréer ni discuter, pour être irréprochables et purs, enfants de Dieu sans défaut au milieu d'une génération perverse et dévoyée, dans laquelle ils brillent comme les lumières du monde, en portant la parole de la vie. (Philippiens 2,14-16), ils sont donc la lumière du monde et le sel de la terre (Matthieu 5,11-16). Ils respectent les lois de la société (dans la mesure ou cela n’entre pas en contradiction avec leur spiritualité - cf. Romains 13,1-76), ils les utilisent même pour montrer Dieu au reste de la société.
Ensuite, il est important dans un couple de communiquer sur les attentes respectives de chacun des partenaires.
Si l’un estime important que l’engagement devant la société soit officialisé, il est important d’en discuter. Qu’est-ce qu’un mariage au fond ? C’est un engagement envers l’autre reçu par un représentant de la société et attesté par des témoins. Or la société d’aujourd’hui n’a plus besoin du mariage pour reconnaître un couple. Le PaCs fait l’affaire, mais le concubinage notoire est aussi accepté et a lui-même des effets juridiques (fiscaux, parentaux...). Je serais enclin à penser que « l'expression bureaucratique du monde matriciel de Satan » (pour reprendre l’expression de la question) se trouve plus dans cette évolution de la société dans laquelle personne ne s'engage (probablement par peur) que dans la perpétuation de l’engagement par le mariage.
Si le Satan existe de manière personnifiée, il doit jubiler de voir des couples se former sans prendre le risque de l’engagement formel et officiel. Les liens non officialisés me semblent plus fragiles, précaires et faciles à défaire.
98% des couples se forment avec la ferme intention de durer. Seuls 35% y arrivent ; et encore, on peut se demander parfois dans quelles conditions… La question posée par un tel taux d'échec est bien plus large que la question du mariage, mais celui-ci a un rôle à jouer dans notre société. En effet comment satisfaire le besoin d’engagement dans notre contexte ? Comment témoigner publiquement de notre amour ? Comment montrer autrement la beauté de la liaison entre deux personnes qui s’aiment (et qui dans le cas des chrétiens, aiment Dieu) ?
Le mariage, dans le cas spécifique des chrétiens, est aujourd’hui encore plus qu’hier un témoignage de foi devant le monde : lorsque deux chrétiens (disciples de Jésus) s’engagent, ils montrent la gloire de Dieu7. Le mariage étant l’engagement le plus exigeant (en terme de conséquences) il est celui qui est privilégié par les chrétiens (même si être chrétien ne garantit pas le succès - cf. http://bereenne-attitude.com/question-38/).
Enfin, le témoignage de l'engagement c’est aussi celui de la micro-société dans laquelle le couple évolue. Un chrétien engagé ne peut vivre sa foi seul. Il ne peut le faire de manière cohérente qu’en étant aussi engagé, au delà de son couple (mais différemment que dans son couple !) dans une communauté à laquelle il participe à hauteur (pas en-dessous, ni au-dessus, mais c'est un autre débat) de ses capacités à donner (temps, argent, talents…). L’avis de cette communauté est important aussi. Si tout ce que disent les églises n’est pas toujours pertinent, et s’il est vrai que beaucoup d’églises sont corrompues (j’ai adoucit le propos de Jean dans sa question !), toutes à quelques exceptions prêt, préconisent le mariage, certaines le considérant même comme un sacrement (elles se donnent alors une autorité pour marier les couples qui est au-dessus de celle de la société).
Conclusion : s’affranchir du mariage dans notre société, c’est faire fusionner le légitime et le légal. Comment en effet marquer un engagement fort au delà des mots ? Il est peut-être possible de se passer du mariage mais alors ils faut trouver une forme d’engagement qui soit « supérieure » à celle du mariage, ce qui demande une certaine créativité juridique et éthique.
Il y a fort à parier que ce n'est pas parce que tu vis en concubinage que tu te retrouveras dans les flammes de l'enfer. Il semble que l'enfer tu le supportes déjà dès à présent en ne travaillant pas sur cette colère contre la religion mais aussi contre la société qui transparaît dans ta question. On peut être déçu par les églises et par la société qui sont faites d'hommes et de femmes charnels, aussi beau soit le discours qu'elles tiennent. Mais Dieu lui, est fidèle et ne jette personne en enfer (c'est-à-dire là où il n'est pas) car nous y allons tout seul ! On le (re)trouve en discutant avec de vrais disciples/chrétiens qu'il faut savoir repérer là où ils sont engagés, c'est à dire dans les églises et dans la société !
Notes
1 עֵזֶר ('étzèr) en hébreu qui veut dire aide, secours, salut.
2 En hébreu le texte parle de devenir ; Dans les évangiles Jésus parle d’être car le texte cite Genèse 2 d’après la traduction des Septantes.
3 Pour faire bref : dans le judaïsme le mariage n’est pas marqué par un acte religieux ni ne relève d’une autorité sacerdotale (…) Les textes pauliniens qui décrivent la vie du couple la replacent dans le cadre d’ensemble de la « maison » hellénistique. (Pierre Vallin, Article « Mariage » dans Dictionnaire critique de théologie, troisième édition revue et augmentée, Jean-Yves Lacoste (Ed), PUF, Paris, 2013).
4 Il existe aussi des raisons inconscientes puissantes qui nous poussent à former un couple. Toutes aussi puissantes que les raisons conscientes.
5 C’est pourquoi le légitime ne doit pas fusionner avec le parental : avoir un enfant ne suffit pas pour faire un couple, et faire enfant ne doit pas servir à renforcer les liens des couple.
6 Pour bien comprendre ce passage : cf. http://bereenne-attitude.com/romains32/
7 Voir le tableau dans l’article suivant :http://bereenne-attitude.com/sexualite8/