Conclusion : que veut dire « croire » à Satan ?
Croire à (et non en) Satan et aux démons est une manière de donner du sens à beaucoup de choses et en particulier au problème insoluble du mal.
« Le mal est en nous, autour de nous ; le diable, invention admirable, est là pour l’assumer, l’éloigner, le sortir de ses repaires. Le diable est un grand exorciste. »1
Mais il existe d’autres manières d’expliquer les mêmes choses et de prendre le mal avec le même sérieux sans faire de Satan un personnage réel. Thomas d’Aquin avait déjà abandonné toute personnification « pour s’en tenir à l’intellect et à la volonté. »2
L'histoire de Satan est une histoire évolutive : elle n'existait pas dans la Genèse, elle n'a pas été révélée dans le livre de Job, elle n'a pas été clarifiée par Paul. Elle n'a été pleinement formée sous la forme que nous connaissons que des siècles après la rédaction de la plupart des Écritures Hébraïques.
Donner un sens au mal, à l'injustice, à ses traumatismes et à ceux des autres, ou encore à la souffrance en général, c’est humain. Et chacun de nous le faisons. Dans les temps antiques cette quête de sens a pris la forme d'une histoire. D'un nom. D'un personnage.
Appelez-le Satan, le Diable, Lucifer, Béelzéboul, Prince de ce monde ou Empire si vous voulez mais vous pouvez aussi l’appeler désir de toute puissance, honte ou culpabilité. René Girard l’appelait mimétisme3 et disait que :
« la conception mimétique de Satan permet au Nouveau Testament de conférer au mal un rôle à la mesure de son importance sans lui donner le poids ontologique qui ferait de ce personnage une espèce de dieu du mal… le christianisme ne nous oblige pas à voir en lui "un être qui existe réellement". »4
C’est pourquoi il n’y pas de raison de craindre la remise en question de la mythologie. Elle n’est qu’une mise en forme de la réalité du mal qu’on observe dans le monde, chez les autres, et en nous-même.
Beaucoup d'entre nous ont vécu des choses terribles et parfois inexprimables, des moments sombres des évènements terrifiants voire destructeurs. Nous avons vu des choses ; entendu des choses ; vécu des choses. Parfois il est même difficile de dire ce que c’était. Et tout cela est vrai.
Mais donner un nom à ma peur et à mes angoisses ne résout pas le problème. De même que de nier mon désir de toute-puissance en reportant ma responsabilité sur un personnage extérieur à moi-même (même s'il parle à l'intérieur de moi...).
Profiter ici et maintenant, dans la foi, c'est à dire dans la responsabilité et l'espérance, de la victoire de Jésus-Christ sur le mal (une autre histoire bien plus documentée dans le Nouveau Testament) est probablement la solution. Comme dit Paul :
oubliant ce qui est en arrière et tendant vers ce qui est en avant,
je cours vers le but pour obtenir le prix de l’appel céleste de Dieu en Jésus-Christ.
Si donc nous sommes des gens « accomplis », tenons-nous-en à cette pensée ;
et si sur quelque point vous pensez différemment,
Dieu vous révélera aussi ce qu’il en est. - Philippiens 3,13-16
Notes
1- Alain Rey, Dictionnaire amoureux du Diable, Plon, Paris, 2013, cité par Thomas Römer, « De la nécessité du Diable » dans : Entre dieux et hommes : anges, démons et autres figures intermédiaires, Actes du colloque organisé par le Collège de France, 2014.
2-Edouard Henri Weber, « démons », dans : Dictionnaire critique de théologie, Jean Yves Lacoste (Ed), PUF, 2007, 19981, p.376