Actes 15,1-3 - Une nouvelle menace sur la communauté
Quand un nombre significatif de non-juifs commencèrent à être convertis à Antioche, l'église de Jérusalem y envoya Barnabas (Actes 11,19-22) pour qu'il remette un peu d'ordre dans cette communauté. Mais au lieu de cela, il a encouragé et perpétué les pratiques de ces hellénistes. Et Saul, pourtant pharisien n'a fait que le soutenir (Actes 11,25-26). Mais ce que Paul et Barnabas faisaient déplaisait aux disciples juifs conservateurs qui décident d'aller enseigner à Antioche (à Jérusalem ce n'est pas la peine, il n'y a pratiquement que des juifs) que le salut1 passe par la circoncision aussi (15,1).
Littéralement « des prises de positions et des raisonnements pas minimes »2 commencent à Antioche et vont devoir se terminer à Jérusalem (cf Annexe 1), l'Église mère, l'Église des apôtres qui s'est aussi dotée d'anciens3 (cf 11,30).
Actes 15,4-6 - Quelle est la vraie question ?
La circoncision remonte à Abraham4. En Genèse 17,10-15 Dieu donne à Abraham l'alliance de la circoncision. C'est ainsi qu'Étienne l'appelle dans son discours (Actes 7,8). Discours que Paul a entendu. Si Jésus n'a pas donné explicitement de directives sur la circoncision (contrirement au Sabbat et à la nourriture), néanmoins il explique lui-même que l'alliance en son sang est une nouvelle alliance (Luc 22,20). La question qu se pose à l'Eglise est donc la suivante : cette nouvelle alliance remplace-t-elle celle passée avec Abraham, ou s'y superpose-t-elle ? L'Esprit va donner la réponse à cette question laissée en suspens.
Si à Antioche les pharisiens conservateurs avaient soulevé le problème de la circoncision (15,1), ils ajoutent ici (15,5) l'observation de la loi de Moïse (qui relève d'une autre alliance, celle du Sinaï). Les apôtres et les anciens se rassemblent pour examiner cette affaire (15,6). Ils prennent soin de régler les problèmes internes de grande importance (cf Actes 6 et 11).
Actes 15,7-35 - La réponse de l'Esprit et la décision de l’Église
La discussion est vive. Littéralement : beaucoup : tout le monde parle en même temps ! Alors Pierre se lève (comme en Actes 1 et 2). Il rappelle ce qui s'est passé en Actes 10 et 11 mais en généralisant : ce qu'il a vécu avec Corneille, Dieu l'a obligé à le considérer comme acceptable et même souhaitable. Luc le positionne comme défavorable à la circoncision des païens. Barnabas et Paul enchainent avec des témoignages allant dans le même sens. Enfin Jacques parle et prend comme point de départ le discours de Simon (15,14 - Jacques préfère utiliser le nom juif de Pierre, peut-être pour calmer les esprits).
Les recommandations alimentaires et sexuelles de Jacques, sont un résumé du Lévitique :
- Lévitique 19,4 parle de se détourner des idoles ce qui paraît naturel
- Lévitique 17,10-13 parle de ne pas manger d'animaux contenant le sang.
- Lévitique 18 parle des relations sexuelles contre nature (notamment incestueuses).
Ces écritures étaient des lois que devaient respecter non seulement les israélites mais aussi les étrangers vivant parmi eux (cf Lévitique 17,8). Ainsi pourvu que les disciples nés dans le paganisme, tiennent ces trois grands interdits, et ils pourront être reçus dans la compagnie de ses frères nés dans le judaïsme, comme autrefois les étrangers habitant en Israël.
Donc Jacques explique que
- l'ouverture aux non-juifs s'accorde avec les paroles des prophètes
- il ne faut pas leur créer de difficultés (c'est à dire les circoncire), mais leur prescrire ce qui convient aux étrangers en Israël
- les juifs eux doivent continuer à observer la loi
Jacques, contrairement aux pharisiens, ne place donc pas la circoncision dans les sujets essentiels au salut. Il s'agit maintenant d'une question de cohabitation entre Juifs et Gentils (pour aller plus loin dans l'analyse : cf Annexe 2).
Mais qui donc peut bien avoir raison dans tout ça !
Dans la rencontre de Jérusalem on a deux décisions :
- Une décision doctrinale : la circoncision n'est pas indispensable au salut (au moins pour les païens).
- Une décision d'ordre pratique : des prescriptions à suivre, pour permettre la communauté de table entre juifs et gentils. Pour un juif, manger le sang était une occasion de chute.
Ces deux décisions écartent d'emblée l'opinion des pharisiens car leur position ne relève pas de l'amour mais de la loi. Actes 15 nous enseigne donc que la loi doit se soumettre à l'amour et non l'inverse ! (c'est la position de Paul : cf Romains 14,15).
Jacques semble assez ouvert, et sa décision semble sage car elle permet « à moindre frais » à des gentils de côtoyer des juifs. Mais elle pose un problème car elle est centrée sur son expérience limitée à Jérusalem : elle est valable pour une église comme celle de Jérusalem composée d'une écrasante majorité de « judéo-chrétiens », mais elle ne prend pas en compte la possibilité d'une église composée à l'inverse d'une grande majorité de « pagano-chrétiens » (voir annexe 3). La menace de la division n'est pas vraiment écartée.
Jacques décide (ou juge, dans le sens de rendre un jugement – 15,19). Mais son autorité d'ancien se limite à Jérusalem. Pierre dit que Dieu ne fait aucune différence (15,9) en se référant à son expérience avec Corneille. Son autorité est celle d'un apôtre. Le texte occidental du verset 15,7 dit que Pierre se lève par l'Esprit.
Il faut se rappeler que Luc écrit aux alentours de 80 ap JC, à une période de séparation entre Judaïsme5 et Christianisme. Il veut montrer en composant ce texte que la suite de l'histoire (et Dieu qui maîtrise l'histoire) donnera raison à Pierre et Paul.
Conclusion herméneutique :
Le christianisme ne consiste pas à respecter des règles. Notre salut ne dépend pas de notre réussite. Nos actions doivent être motivées par la reconnaissance et l'amour pour Dieu. Ainsi nous ne devons pas nous sentir perdus quand nous ratons, ou nous sentir sauvés si nous réussissons, mais plutôt comme Pierre l'exprime en Actes 15,8-11 : (...) Dieu, qui connaît les cœurs, (...) n'a fait aucune différence entre nous et eux, puisqu'il a purifié leurs cœurs par la foi. (...) Mais c'est par la grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés, de la même manière qu'eux.
Jacques veut que les juifs se sentent bien dans la communion avec les païens et Paul veut que les païens se sentent bien avec les juifs. Nous devons donc nous adapter selon le principe de Romains 14 à nos frères et sœurs, afin qu'ils se sentent bien dans l'Église. Et non chercher à adapter nos frères et sœurs à l'Église en leur imposant des fardeaux inutiles.
Pour méditer :
- Est-ce que je me pose des questions sur le fonctionnement de l'église ? Ces questions concernent-elles le salut ?
- Est-ce que je suis capable d'écouter ce que pensent les autres avec calme ? Suis-je capable d'analyser bibliquement et raisonnablement ?
- Qu'est-ce qui me donne la motivation de vivre l'église ? La réussite du mouvement dont je fais partie ou l'amour de Dieu ?
- Comment est-ce que je vois le message de la Bible : comme une source de loi ou comme un principe d'amour ?
- comment m'adapter aux frères et sœurs qui arrivent dans l'église et qui ont une culture différente ?
Notes
(1) Il s'agit donc d'une de ces questions primordiales incontournables auxquelles il faut faire face. Car dans nos conviction il y a ce qui touche au salut, et le reste, toujours négociable. Quelques exemples : 1Corinthiens 1,10-14, Galates 1,6-9, 1Pierre 1,10 etc...
(2) Il est intéressant de noter que des débats (Actes 15,2) avaient lieu lors de réunions de l'Eglise : Un vif débat et une violente discussion (SER) ; violente dispute au cours du débat (NBS) ; Un conflit (...), et des discussions assez graves (TOB) ; de l'agitation et une discussion assez vive (JER) ; Une contestation (...) et une grande dispute (DAR).
(3) Parce que les apôtres n'étaient vraisemblablement pas forcément toujours présents (15,2)
(4) Les hébreux ne sont pas les seuls dans l'antiquité, à pratiquer la circoncision.
(5) Un judaïsme en pleine restructuration puisque il n'a plus de temple (donc plus de prêtres), plus de terre, plus de roi, et un judaïsme repris en main par les descendant des pharisiens.